J avais loupé une marche. J avais fait du surplace. Je m étais interdit toute progression, tétanisé par une escroquerie, un rapt de mes talents. J avais encore moult calculs à inscrire sur la liquidité bleue de ma vie. Sans logiciel.
Cette femme va attacher son coeur au sien avec un ruban de notes dans le vent d'ici.
Le jazz m'offre l'éternité du ciel.
Il souffle jusqu'à la perfection, la sienne, il met sa propre musique au monde dans le rire tonitruant de Bride, dans le claquement sur l'omoplate de Climb, dans l'écoute de Ragus qui pianissime le monde en noir et le fait naître bleu. Magique.
Dans la nef de San giorgio, Fendinand lui avait glissé : »C est votre lumière qui m'a décidé à vous aborder à l aéroport Pas vos larmes Tout me semblait éteint excepté vous ! vision inmaculée d Un monde en renouveau. » Bien la première fois qu on lui affirmait qu’elle pouvait être le blanc du noir.
Elle lui est apparue derrière le tronc du poirier. Elle ne se cachait pas. Une courbe douce, bombée, du velous, dans un tee-shirt blanc. C’est tout ce qu’il a vu d’elle au départ. Son dos. Elle fixait le sol, les yeux rivés sur les lignes de vie de l’arbre, ses racines sinueuses qui émergeaient par endroits de la terre et dessinaient son espace généalogique. Elle s’est redressée, retournée, a souri. Un sourire avec de grands yeux bruns qui plissent ; on en oublie ses lèvres si pâles, sa peau si claire, ses cheveux châtains relevés, maintenus en chignon grâce à un crayon de papier, hypnotisé par la fente de la paupière. Et le pointillé de lucidité qui s’y abrite. (p79)
Elle respire, allongée sur le dos, respiration ample, écoute chaque pulsation, longue, si longue, martèlement, écho. Elle n’a plus besoin de cacher ses larmes. Ce soir, elle pleure. Larmes chaudes, ininterrompues, qui glissent le long du maxillaire, plonguent dans la courbe du cou, mouillent le lobe de l’oreille, le coton de la taie. Elle pleure de trouvailles. De la mercerie, du vase bleu qui l’attend sur un coin de table, de ses campanules qu’elle va laisser sécher dedans avec un bénédicité. Elle pleure du poirier et des dunes. De Vivien et du grenier à foin. De cafard et de bonheur, de peur et d’audace. Elle pleure mais c’est la dernière salve. Elle voit Sheenan veiller sur elle. Pour la première fois. Pas le décortiqueur. Encore tiède dans son linceul, embastillé pour l’éternité. Dans ce silence qu’il vénérait. (p 65/66)
Mais la littérature est increvable. Même si l'homme pense avoir déjà tout écrit, il cherchera toujours une voix particulière pour lui tendre des mots d'amour, des phrases de meurtres, des paragraphes de complots, des pages de douleur, des chapitres de prudence, de révolte, de corruption,d'envie, de grandiose, de bonheur. Instinctif : reconnaître l'âme soeur sur une feuille de papier, celle qui entend son coeur battre comme le votre, déploie sa propre vision de la problématique, la voix du témoignage, des fragilités, des non-dits. Des livres de Pensée. Parce que l'homme a le malheur de penser.
J’ai ouvert la porte du placard. Sur la troisième étagère, au milieu du fatras, je les ai vus. Bleu, rouge, jaune, vert, en pile. Un noir, un violet, un rose qui dépassait : les coloris que l’on utilise avec parcimonie. Tous là. Les protège-cahiers. Je ne les avais pas recomptés. Depuis le temps. Je les ai empoignés. Le noir m’a échappé des doigts. Le noir m’échappe toujours des doigts. Ce n’est pas ma couleur. Pas ma faute, non plus. Je n’ai jamais réussi à l’apprivoiser. Enfant, déjà je vidais systématiquement dans la poubelle le rond de peinture noire de ma boîte de couleurs neuve que ma mère m’achetait chaque année pour la rentrée des classes.