Citations de Anne Calife (97)
Ma vie fut lamentable, ma mort sera magnifique.
Autour de cette table, tous jouent un double jeu, les dés sont pipés. Car ils ont juste oublié un détails: l'Artiste, le peintre c'est moi.Car je suis le Maître, celui qui capte les ombres, les lumières sur sa toile. Celui qui a droit de vie ou de mort sur ses personnages.
Tout part de l'humide pour rejoindre l'humide: voilà notre destinée. Nous sommes biodégradable.
- Tu en as mis du temps, Lucille.
Qui m'a parlé ? Qui est-ce ? Je ferme les yeux. Je souffre tellement que je ne sens plus rien. Que je peux même jouer : cela s'appelle le cynisme.
Il ne se rend pas compte que je saigne, moi aussi ? Que ça suinte, dégouline partout depuis que l'on m'a arraché mon fils, ma chair ?
Et toi, tu ne saignerais pas, aussi ?
Oublier tout ?
Peut-on seulement ?
Toi, moi, nous tous, sommes seuls. Oui, seuls, nous resterons. Isolés dans nos bulles de verre. A la naissance, l'oxygène a pénétré, déchiré nos poumons de nouveau-né. Seuls, seuls à crier, n'est-ce pas ? Tous, nous nous avançons dans un tunnel, clair, transparent, durant l'enfance, allant, s'opacifiant avec l'âge.
Parler, se livrer ? Ils en ont de belles ceux qui n'ont jamais souffert. Comme si c'était facile d'exhiber ces parties sombres. D'ailleurs, ça tombe bien: ma mémoire refuse de livrer ces instants Elle ne veut pas. Elle ne veut plus qu'on touche à ses plaies.
Passent des couples agglutinés, échangeant des baisers feuillus et je me suis soudain sentie si seule. Terriblement seule. Et dingue, dingue à se couper la tête, à se trancher les chevilles pour faire cesser la douleur. La rosée mouille mes mains nouées tandis que les larmes roulent sur mes joues.
Je me rends compte que plus je décris les progrès de Paul, plus je me rapproche du cadavre. Comme les sépales a présent vides de leurs pétales, les bourgeons de leurs feuilles. La maternité à ceci de lucide et déroutant qu'elle permet de constater - rose sur rose - la brièveté de son existence.
Et je me dis que les mots servent peut-être à gagner du temps, à raccourcir les choses. Un explication comme une autre.
Oh, ces coups accordés durant l'attente! Enceinte, on rêve, grosse, amollie; on attend rien de précis, alanguie. Soudain, un coup... Un seul suffit. Un choc à l'intérieur de soi. Précis, sec. Brutal comme un meurtre, doux comme un battement d'aile de paillon, " je suis là, je suis là!" dit le coup de pied. Une partie de soi, qui n'est pas à soi, dans le bas ventre. A peu près comme un sexe d'homme.
Arrêter les images n’aurait jamais arrêté la Guerre. Car tout était Guerre. Le mois de mars avec les bourgeons visqueux qui éclataient de toutes parts. Elever un enfant, le baigner, l’habiller, travailler pour le nourrir en était encore une autre, de Guerre.
A cet endroit du texte, je me rends compte que j’emploie l’article défini « elle » pour désigner le chat. Je l’ai corrigé puis rétabli. Le "il" ne sonne pas. Le Chat était devenu féminin, non par une logique de reproduction, mais en raison de sa division, de son hésitation.
Dissociée, divisée, elle relevait de la Mère : partagée entre soi et d’autres êtres.
« -Paul ! dis-je. Sa figure se fend en abricot, il remue dix doigts, entraînant autant de fossettes. Puis il retourne à sa principale occupation : retirer ses chaussettes ou arracher des brins d'herbe. Le Chat que j'appelle avec toujours la même intonation de la voix, tourne aussi la tête vers moi d'un air un peu distrait, orientant les oreilles dans ma direction. Il lève un début de queue pour montrer que, oui, il m’a repérée, puis fixe passionnément, parmi les hautes herbes, un éphémère, un papillon jaune – enfin, quelque chose que je ne vois pas. »
Donc, j'ai mon papier à lettres, son mail. Je le connais déjà par coeur. lui, possède aussi le mien. Question : qui doit écrire en premier à l'autre? Quelles sont les nouvelles règles de politesse mailienne?
[...]Je commence. Je me lance vers cet inconnu. C'est un homme qui me fait "aller vers". Moi qui appelle, écris ; lui qui disparaît, qui raccroche.
Je clique "envoyer". Le mail s'envole comme un oiseau par la fenêtre.