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Citations de Anne Calife (97)


Mon père me manque. La cavité grandit en moi. Le trou s'étire, prend toute la place nécessaire à son épanouissement.

Je me remplis de vide.
Je suis du vide avec de la peau autour.
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Peu importe la quantité de Nourriture. Seul compte l'instant. Que la Nourriture soit toujours avec moi, qu'Elle ne me quitte plus, que je ne La quitte plus. Que je L'étreigne, La baise à chaque seconde de mon existence. Tant pis si le baiser est mortel.
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– Les roses de serre ne sentent rien, parce qu’elles n’ont jamais connu le soleil.
Je levai la tête ; je ne m’attendais pas à tomber sur un sourire, les détenus n’en font pas souvent. Jamais je ne l’oublierai.
Autour se dessinaient des plis qui le vieillissaient ; à l’intérieur, des dents écartées qui le rajeunissaient.
Alors que la plupart des prévenus portent un jogging, des baskets, lui était vêtu d’un pantalon de toile beige. Les manches longues de son sweet-shirt bleu suivaient ses gestes lents.
Il jeta un œil noir sur les roses, enroulées drues comme des tourbillons de coquille d’escargot.
– En roses, je m’y connais. Dehors, j’étais horticulteur.
Il prononçait les « r » en les roulant un peu, comme des cailloux frottés. Puis j’entendis : « J’ai mal au ventre. »
Et fus à nouveau infirmière.
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Bien entendu, je déteste les fumeurs. Non, c'est faux. Je les plains, pauvres infirmes, cruellement amputés d’un guide infaillible. Le cigare du Doc m'ennuyait beaucoup.
Je charriais son odeur froide mais cuisante jusque chez moi ; elle franchissait toutes les limites, même celles du sas de décompression.
Je n’osais le lui dire, pas plus que je ne voulais user de ces désodorisants artificiels qui martèlent le nez de leur unique « fraise-fraise-fraise » en notes trop sirupeuses, pas assez vertes, ou encore ce « vanille-vanille », « muguet-muguet », trop réguliers, trop uniformes.
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Au bout de cinq ans d’hôpital, je ne supportais plus ces malades qui entraient, sortaient sans cesse, leur façon de sauter sans prévenir d’un service à un autre. J’aurais voulu quelque chose de plus fixe, stable.
Je quittais donc l’hôpital pour travailler en pénitentiaire. Là, au moins, je savais quand mes malades entraient, sortaient. Cage de pierre où l’on place les prévenus, la maison d’arrêt se situait en périphérie de la ville, au milieu des bandes vertes des champs.
Alentour s’y créait une sorte d’espace respectueux, comme si le temps s’arrêtait. Effectivement, il s’y arrêta.
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Toute petite, j'aimais déjà les prisons. À cinq ans, je tartinais de miel fondu les fonds des bouteilles transparentes pour attirer les abeilles. Le brun des cartons, je le doublais de vert en larges feuilles de salades pour accueillir des escargots. Là, j'aimais à veiller à leur nourriture, contrôler réserve d'eau et température de l'air.
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J’userai, abuserai du mot odeur. « Effluves » suggère plutôt le sillage, le mouvement ; « senteur », « bouquet », définissent davantage les fleurs ; « arôme », le goût ; « fragrance », le parfum.
Parmi les millions de substances reconnues, perçues, c’est celle de la peau, que je préfère entre toutes. À l’affût, mes narines tentent de capter cet élixir précieux, savant mélange de texture, de fossettes, plis et vibrations. Oh, la peau, son odeur…
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Ce sera la seule chose que je conserverai de cette correspondance, une liste de surnoms, notés sur un fichier Excel. Je n’en ai retenu qu’une centaine mais j’en aurai eu des milliers, autant que de mails et d’émotions.
Entre tous, je préférai celui de « ronce » (ma), pour ce qu’elle a de spontané dans la nature, son jaillissement naturel, ce tout donné. Il a raison. Pour exister, pour survivre, il faut être capable d’accepter l’incontrôlable, l’illogique, l’incohérence.
Du chaos que tout prend racine. Du chaos de mes mails que tout commença.
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Avec des émotions aussi violentes, le vouvoiement a cessa très vite. On commença à s’écrire tous les jours. Télépathie de mails ? Nos messages se croisent souvent, en général vers onze heures ou cinq heures. Il écrit de son domicile ou du journal.
A 19 heures, tout s’arrête : il rentre chez lui, quitte son bureau, je ne sais pas très bien. Je sais seulement que je ne peux rien espérer au-delà du soir, et du vendredi. Tant pis, si j’attends. Le prochain mail n’arrivera que lundi, vers onze heures.
Pourtant, je continue à écrire, bille folle lancée dans les rouages d’un flipper. Sans discontinuer, vendredi-samedi-dimanche, sans limites d'heures, 19-21-22 heures, j’écris.
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-Ecrivez, avait-t-il dit, après avoir jeté son « adresse mail », comme on jette, dédaigneux, une pièce en or, « écrivez : on s’entendra mieux ».
Je soupire. Ai-je le choix ? Ai-je envie d’affronter, trente ans plus tard, le hic de l’informatique ? Je soupire encore, et contemple perplexe, très perplexe, l’icône de la boîte de réception : cette enveloppe blanche, timbre rouge à droite, ce couple de flèches pointues la ficelant, ne me disent rien qui vaille.
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Pour oublier, j’ai repris le travail lent, méticuleux de l’écriture. Tous les matins, je dois me confronter au chantier chancelant du roman. Parfois, je me demande si je ne m’épuise pas à construire ainsi « roman » après « roman », comme « maison » après « maison ».
Mais, si je n’emboîte pas des phrases, si je ne visse pas des chapitres uns dans les autres, j’ai le sentiment atroce de tourner en rond, comme une cinglée, portant à bout des bras des brouettes emplies de briques, de mortier que je ne sais où déverser. Plus facile, de ne pas se poser de question et d’écrire tous les jours.
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Établir une organisation dans ce désordre. Se donner des instructions, des règles. J’emprunte dans le bureau de mon père une machine à écrire. Je tape mon adresse sur l’enveloppe. Maintenant, il va falloir concevoir la lettre. À l’encre rouge de préférence, le ton semblera plus impératif. Date, puis titre de civilité. J’hésite, « Chère Maud » ou « Mademoiselle » ? Plutôt « Mademoiselle ». Après tout, je ne suis pas censée me connaître.

La lettre contient une série d’instructions dans des domaines très variés : scolarité, hygiène, rangement, et même alimentation. Des notes minimales en maths et français me sont imposées. Ma penderie doit être plus ordonnée. Tous les matins, sauf le dimanche, le réveil doit sonner à cinq heures afin de réviser mes leçons.
Enfin, le pain est supprimé de l’alimentation : un bourrelet a été remarqué sur mon ventre. Pas de formule de politesse, je n’en mérite pas.
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Ma mère regorge d’idées féministes : les suffragettes, le joug de l’époux, le droit à l’avortement… Elle a tellement milité pour l’avortement, que je me demande comment elle a réussi à nous concevoir.
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Au collège, quelques soi-disant amies m’accompagnent au premier rang. Elles ont de gros yeux de vaches assoupies, des jugements tout faits assortis à leurs bouclettes ; elles ont surtout des parents très exigeants qui regardent de très près leurs résultats scolaires.
Dans la cour, je suis souvent seule. La solitude on s’y fait ; on apprend le monologue intérieur qui tient finalement autant compagnie que le dialogue extérieur. Les autres en bande rigolent sans s’arrêter.
C’est fini la période où je m’entendais rire.
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Ma mère aussi se prive. Difficile de lui demander quelque chose quand on voit l’état de ses chaussures : elles sont si vieilles, écrasées par le poids de son corps, qu’elles se confondent avec ses chevilles. Nous, les enfants, nous avons droit à une paire de chaussures par an, pas une de plus et jamais celle que l’on désire. Enfin, tant pis, « c’est la vie ». C’est une expression que j’ai entendue en faisant la queue à la boulangerie. Maintenant je me répète sans cesse « tant pis, Maud, c’est la vie ».
Alors, moi aussi, je me prive. Pas très difficile de se priver. Il suffit juste d’un peu d’entraînement. D’abord, se regarder dans la glace, se dire qu’on n’est pas jolie du tout, qu’on ne vaut rien. Là, déjà, on a besoin de moins de choses, on peut mettre de côté les frivolités : robes, chemisiers, broderies… Puis se convaincre qu’on n’a besoin de rien.
Quand le désir pointe le bout de son nez insolent, répéter plusieurs fois « c’est la vie, c’est la vie ». Attention, là, c’est pire qu’à l’affût : il faut attendre et ne surtout pas bouger. Déçu, le désir va voir ailleurs.
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Trois mois que je me pâme au rayon « hygiène », devant le shampooing aux œufs. Toutes mes copines l’ont. Cela rend la chevelure toute brillante. J’ai beau supplier, pleurer, bouder, utiliser toute la panoplie des caprices de mon âge, elle reste inflexible.
Elle dépasse le rayon « hygiène et beauté » et poursuit, imperturbable, sa croisière à roulettes. Quand elle a atteint « viandes et charcuterie », je sais qu’il n’y a plus aucun espoir.
Déçue et amère, j’observe la longue file des chariots aux caisses. Ceux des gens « normaux », avec des choses « normales » dedans, du shampooing qui mousse, des biscottes qui ne s’effritent pas dès qu’on les regarde, et puis des chaussettes « normales » avec élastique.
Ils n’ont pas l’air angoissés eux, alors que ma mère, si. Quand je rencontre son désarroi à la caisse, je me rends compte que je lui coûte cher. J’en suis navrée.
On doit vraiment être dans la Misère. Il lui faut au moins une majuscule à ce mot, parce qu’il est important pour nous.
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La nuit, je m’allonge sur le marbre glacé pour essayer de ressentir quelque chose. Au bout d’un certain temps, le froid me glace, cela me donne de l’espoir pour les jours à venir. Au matin, rien n’a changé. Les mouettes continuent de griffer le ciel et la lumière de m’éteindre.
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Passa un métro en sens inverse. Soudain j’aperçus mon visage, comme une eau un peu troublée.
Plus je scrutais ce reflet, plus je m’apercevais qu’il ne s’agissait peut-être pas d’un reflet, mais d’un véritable homme, qui me ressemblait terriblement : même cou, même poitrine mais un air fat, un brin dédaigneux.
Oui, un autre moi, nonchalant et ravi d’être là, alangui dans le mouvement du métro. Ce fut une seconde minérale, une seconde dense, transparente qui emprisonna à jamais nos deux visages entre eux vitres.
La rame démarra, à contre-courant dans un formidable bruit de succion.
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Métro, lieu d’authenticité et de vérité. Ici, personne ne ment, personne ne dissimule ou fait semblant. Chacun reste étonnamment lui-même, mieux : se révèle lui-même à l’extrême.
J’avais décidé de changer, d’être un vrai parisien, ou plutôt, je me disais que j’étais devenu un jardinier. Voilà, c’est ton nouveau métier, me disais-je, te voici devenu jardinier d’un verger souterrain. Au souffle chaud des rames, ondulaient des espèces humaines exotiques, véritables plantes tropicales avec tout un appareil de pétales, d’antennes, de corolles et de calices. Comme dans ces grands libres ouverts d’herbiers, je pouvais dessiner chacune de pied en cap, avec ses racines, sa tige, ses feuilles, ses pétales, ses fruits.
Il y avait les habitués d’abord, retranchés derrière leurs pensées, leurs rêves, visage clos et fermé. Combien de fois ont-ils emprunté cette ligne, devenue familière ? Leurs muscles, leurs os connaissaient le nombre exact de stations avant « leur » arrête. L’habitué se reconnaissait aisément : il s’adossait négligemment à la porte, s’y appuyant de tout son poids, colonne vertébrale alignée sur la charnière avec, derrière, le vide qui défilait.
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Peu à peu, je prenais mes habitudes, et devenais un véritable Métrolien. J’appelle Métrolien, cette plante exotique et affriolante qu’est l’usager du métro. Le Métrolien – à bien distinguer entre le provincial inquiet et le touriste ébloui par la Ville Lumière – emprunte tous les jours le métro, insensible le plus souvent aux miracles qui peuvent s’y produire, étant lui-même l’un des corollaires vivants de ce miracle.
Paris dévore, Paris a faim d’humains, entassés là dans ses rames, du matin au soir. Bien qu’habitué et rompu aux usages de la RATP, le Métrolien subit la fatigue de la ville comme tous les autres.
18 heures, heure de pointe. Comme l’abeille à la fleur, chaque occupant s’ajuste à sa destination. Peu importe la quantité, tout le monde doit rentrer dans le wagon. Malgré la fatigue, malgré l’épuisement, une politesse grognonne se met en place : quitter le strapontin, ne pas heurter son voisin, ne pas marcher sur les pieds de l’autre.
Le tout en quelques secondes. Sans heurts ni soupirs. On pourrait croire que c’est de la résignation. Faux, c’est autre chose. De la grandeur, humble et quotidienne. À supporter, tolérer tous les autres, on apprend à se tenir droit.
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