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Citations de Anne Calife (97)


En raison de sa vitesse, de son inconnu, le métro améliore les relations. Métro, confrontation oblique, et sans risque de l’inconnu.
Ce jeune homme, par exemple, il portait un costume rayé, de longues chaussures noires cirées. L’enfant qu’il restait se trahissait par une masse brune de cheveux volubile qu’il n’arrivait pas à discipliner ; à la main, il tenait ce sac opaque, loin de lui. Je devenais de plus en plus curieux, parce que cela paraissait bouger doucement à l’intérieur du sac tenu dans l’ombre du siège.
« C’est quoi ? » avais-je demandé en pensant que la promiscuité du métro court-circuitait les politesses embarrassantes ; on pouvait démarrer une conversation en entrant dans le vif du sujet très rapidement. Je m’approchai et m’exclamai tout haut : « Un poisson rouge ! ». Il leva de grands yeux heureux vers moi, rectifiant, « Non. Trois poissons rouges ».
Comme je m’inquiétais pour leur survie, et la distance qui les séparait de leur aquarium, il leva le menton et ajouta « deux stations plus loin ».
Trois poissons sous-terre avec un aquarium qui se trouvait deux stations plus loin.
C’était là tout ce qui avait été échangé et cela suffisait largement. Parfois les mots servent si peu.
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Paris. Gare d’Austerlitz.
Je respirais cette odeur, que je reconnaissais à présent, parfum singulier composé du beurre chauf des croissants, de la verdeur des fleuristes, sur un fond de poussière et de métal. Les femmes portaient des jupes, c’était le printemps.
Personne ne me regardait, je n’avais pas l’habitude de cet anonymat ; on parle d’anonymat quand cela arrange, et d’indifférence quand on est en difficulté ; je n’avais pas intérêt à être en difficulté.
Juste après les marches menant au sous-sol infernal, je me heurtai à une haie de tournebroches en métal.
À Paris, le temps vaut moins qu’un ticket de métro, compté, divisé en deux par une bande magnétique. La machine avala mon ticket d’un air glouton, et ce dernier ressurgit, loin, beaucoup plus loin, victorieux, presque un défi. Vraiment, une ville de fous, certains sautaient par-dessus le tourniquet, on se croyais dans une épreuve de haie sportive. Je tremblais aussi à l’idée de la foule, de toutes ces respirations oppressées, de partager l’oxygène avec tous ces inconnus.
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Avec mes clients, je prenais une feuille avec une belle marge, que je divisais en trois colonnes au crayon de papier. Première colonne : l’heure à laquelle je prenais le client, seconde colonne, le type de client, là, c’était le plus amusant, puisque je les comparais à des crustacés et fruits de mer avec les crevettes, les huîtres, les homards, les crabes, les éponges et les étoiles de mer. La troisième colonne correspondait à la somme encaissée, enfin la quatrième, ce que j’en ferai, le loyer, l’eau, tout indispensable, tout le futile, tout le plaisir, coiffure, manucure, massage-gommage, cette paire de chaussures vernies chez Dior.

Je vais donc détailler la seconde colonne, c’est-à-dire le type de client.
Les clients, les plus nombreux : les crevettes.

Les crevettes sont les plus tranquilles, presque toujours des hommes mariés, ils ont des sièges bébé, des problèmes de couple, et viennent chercher de la détente. Une foule de mignonnes crevettes roses, toutes identiques, toujours un peu affolées, toutes les mêmes. Besoin en eux de trouver une femme soumise, femme objet, femme désir.
Les crevettes ne savent pas comment se changer les idées, comment rêver, petits cerveaux, petites carapaces, et besoin d’une pute pour se sentir exister. C’est que ça parlait beaucoup, les crevettes, et il faut les écouter, les laisser parler, parler. Pas de filles à séduire, suffit de payer, pas d’efforts à faire, et hop, ça leur plaît aux crevettes. Fellation-sodo-éjaculation faciale, grand classique, que recherchent toutes les crevettes.

Seconde espèce, aux plus grosses carapaces, les homards, ou les crabes, avec leurs pinces qui font mal. Les homards et les crabes ont plus d’argent, et logiquement, ils exigent plus. Quand ils en deviennent tordus, et qu’ils fonctionnent de travers, je les appelle alors les crabes.
Ça fait mal un crabe qui pince. Ça dépend aussi beaucoup de mon état moral, de ma fatigue, une gentille crevette pouvait aussi devenir crabe, si je n’arrivais plus à la supporter.


Les homards, les crabes, ont tout et veulent tout. Ils ne s’expriment qu’à l’impératif, lancent, crient des ordres, tous destinés à me transformer en objet. Ils me tournent autour comme de grosses abeilles excitées face à trop de miel ; suffit d’attendre que ça passe, que leurs exigences s’écoulent, comme s’épuise leur l’argent. Ils veulent toujours me faire souffrir, me brûler avec des cigarettes, m’attacher, me frapper, m’insulter. Il y en a eu un qui voulait que je sois comme morte, faire l’amour avec un cadavre l’excitait. Un autre, encore, qui m’avait payée pour que je fasse l’amour avec un ami, sans rien le lui dire. Au début, oui, j’acceptais tout. L’argent parlait, le client payait et je faisais. Mais j’ai appris à repérer les tordus. Ils ont les yeux comme des cigares éteints, paf, ils deviennent d’un seul coup imprévisibles, ça déraille, ça emprunte des chemins non connus : tout devient possible. Violence, jouissance, plaisir de faire mal, de torturer. Leur jouissance va pousser sur un impossible à satisfaire, un impossible douloureux pour moi. Car le crabe a payé, alors il a le droit et il le fait. Un autre client, un homard encore, qui voulait que je me déguise en femme de chambre, petit tablier noir et blanc, afin de me prendre par-derrière. Désirs, envies robustes et tordues, que l’on ne peut avouer aux autres femmes normales, cela peut se comprendre aussi. Tout peut se comprendre, tout peut se faire à condition que l’on paie. Et ceux qui ont de l’argent le savent mieux que les autres.
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Pourquoi rester, pourquoi ne pas monter ? Je tâtonne, palpe dans mon enfance, dans mes souvenirs. Aucune barrière, aucune limite qui ne m’interdise de passer à l’acte. Rien qui ne me dise stop, aucune aspérité, aucune bordure, c’est ouvert, c’est mouvant peut-être, mais c’est ouvert.
Petit rat dans une cage, je frôle des barrières invisibles, pousse des tourniquets, passant de zones obscures en zones éclairées. Quelle lisière entre un acte envisagé, et sa mise en action ?
Une simple bande de sable, une plage, comme ça, anodine, on avance, doucement, on ne pense à rien sur le sable, le vent souffle dans les cheveux, et soudain, ça y est, on est mouillée, la vague lèche les pieds. Trop tard, trop tard. Mais on ne le sait pas. Puisque l’on continue d’avancer, mieux de s’immerger toute entière, et puis tiens, tranquille de nager. On nage, on flotte, on est bien, on ignore que l’on flotte dans du poison liquide, brûlant.
Voici la frontière derrière laquelle je me tiens, blottie, recroquevillée sur ce tabouret, je balance, balance mes jambes, mes talons bleus, je balance mon hésitation, jambes pendues dans le vide.
Plus tard, je saurais que c’est une limite, une frontière à ne jamais franchir, c’est encore trop tôt.
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L’argent embellit tout, les relations, le voisinage. Les commerçants de ma rue, toujours accueillants, le sourire franc et gai de ma boulangère. Il faut dire que je laisse de larges pourboires en échanges de croissants et brioches joufflues dont j’abandonne presque tout à la fille devant le magasin, assise par terre.
Je reconnais que c’est un argent difficile à thésauriser, un argent qui doit être transformé immédiatement. Et la boucle se referme, le cercle recommence.
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La destruction, un abîme rougeoyant, un brasier, une incandescence, une inflammation, une déflagration, une crémation.
La destruction, c’est aussi une façon de se protéger du présent.
Précipice fait de doutes, de questions inutiles, pourquoi j’y tombe, pourquoi je recommence, un abîme, qui fait surgir, de par sa seule existence, une seconde existence, doublant la première, une autre existence rêvée, idéalisée, l’existence du sans. Chaque fois que j’allume une cigarette, je suis heureuse, puisque je me dis, c’est demain que j’arrête. Alors, je me persuade qu’il existe un second monde, un univers, plus facile, celui du «sans» : sans la destruction, sans tabac, sans alcool, sans médicaments, et surtout, sans eux, les clients.

L’argent, ça prend toute la place, et celle de l’amitié, et celle de l’amour.
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L’argent, sacré animal, à poils longs, à dents aiguës, crochues. Un animal qui peut voler, nager, sauter. Véritable parasite qui s’autoreproduit, qui se démultiplie, s’accroît, prolifère tout seul, amibe monstrueuse, tumeur gigantesque créant ses propres exigences. Il donne le goût de ce que l’on ne connaît pas. Il apporte des saveurs nouvelles, excitantes. C’est comme ça tous les jours.
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Austin noire, postée le soir, place de la Madeleine. Face aux lettres Gucci, j’attends, vitre à demi entrouverte. Véritable protection, carapace de métal. Depuis mon second téléphone privé, j’envoie un message à mon amie Fanny, escort girl, pour me protéger. Les phares allumés, j’attends la manifestation du désir qui peut se promener là, sur le trottoir. Les clients, je les guette. Il faut dire qu’on les reconnaît facilement, ils prennent un air dégagé, un air mine de rien, une main dans la poche, leur tête qui tourne à gauche, à droite.

Là, j’attends, le temps se dilate, s’étend, occupe toute la place sur le trottoir. Un temps à la Hédiard, à la Fauchon ; plus bas, rue Royale, s’étalent les lettres Dior, Chanel, Gucci, Cerruti, elles étincellent la nuit. L’argent rend fou, l’argent, comme la nuit, ouvre des portes inconnues, des portes folles, la vie est un labyrinthe.
GUCCI surtout, brille plus que la lune, les étoiles réunies. Le matin, je dormirai. Le matin, un gardien devant, on lavera les vitrines pour qu’elles brillent.
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La prostitution modifie de façon profonde la personnalité. D’un certain côté, on garde beaucoup d’orgueil et de l’autre côté, on n’est plus rien. Alors il faut rester fier, parce qu’on a que ça pour survivre. Les clients, on les déteste, on les aime, parce qu’ils nous détruisent, nous font exister.
Se prostituer, c’est avant tout une philosophie, un art de vivre, une ouverture vers les autres, vers le plaisir. Une pute, c’est l’abondance. De matières, de sensations, de sentiments. Du cuir, de la fourrure. Une pute, c’est des cris de plaisir, des chéri, c’est bon ; des encore encore, encore, toujours.
La pute étincelle avec du rouge, du doré, et les hommes s’approchent d’elle, les yeux brillants.


Les hommes, eux, ils jugent toujours et classent. Il y a celles qui sucent, sucent pas, celles qui font la passe à trente, à cent, celles qui ont un proxé, celles qui n’en ont pas. La prostitution permet de ranger les femmes dans des cases. Elle permet à l’homme de s’approprier le féminin. La femme ne s’attrape pas, ne s’attrape jamais. Personne ne peut comprendre ce qu’est le féminin. Sauf dans la prostitution.

Je pense savoir plaire, aguicher un homme. Je sais lui faire monter le désir, grimper le désir, haut toujours plus haut. Un homme, rien de plus qu’un moteur deux temps, des pistons, un peu d’essence, et c’est parti. L’homme n’est qu’un mécanisme, et aime, de façon générale, les autres mécanismes, les moteurs et les putes.
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Une fois l’intimité sexuelle libérée, le bocal ouvert se répand partout et salit tout. Le sexe ou la flamme de vie doit rester enfermé en sa fiole de verre, sinon gare à l’incendie, la moindre petite braise rouge, et ça repart. Une fois qu’on a commencé, plus rien ne peut l’arrêter. Alors j’ai continué, les mains qui courent sur moi, les fermetures éclair partout. Je pense que ce n’est pas grave. Des hommes et encore des hommes, la porte s’ouvre, se ferme sur la nuit. Un peu comme dans un aquarium géant. La nuit envoie, propulse des muqueuses excitées, des bouches assoiffées, des peaux excitées et l’alcool gaine les nerfs irrités, recouvre d’apaisantes membranes. Cela se plie, déplie, ça souffle, ça hahane, ça halète, ça transpire.
Des billets se déposent, des pantalons s’abaissent, des peaux se touchent, des chaussettes se roulent, des draps se froissent, des préservatifs se déroulent, tout ça c’est moi, et ce n’est pas moi.
Après plusieurs heures, je ne connaissais de mon corps, que l’entrecuisse, seulement la bouche. Puis ramasser, rassembler, défroisser, s’habiller, se coiffer, se maquiller, gestes qui s’enfilent les uns dans les autres.

Durant l’acte, je deviens quelqu’un d’autre. D’abord, je ne pense pas, je compte. Table de multiplication de neuf ; puis j’imagine les poissons dans l’aquarium, et je les compte, admirant les nageoires qui se déploient comme des ailes, c’est déjà fini, déjà rangé l’argent. Je sais déjà comment le dépenser. C’est fini-fini-fini, ça va vite très vite. L’alcool aide pas mal, les tranquillisants aussi, Tranxène 50, Valium en gouttes, Lexomil. Faut juste s’arrêter de penser, monter sur son petit nuage rosé, et laisser les terriens cupides manœuvrer. Faut changer de planète, de personnage, de peau.

Le dégoût que j’éprouvais pour eux me rendait encore plus belle, plus provocante : pour vaincre ma répulsion, il me fallait susciter le désir, lui seul pouvait me sauver.
J’ai continué. Plus ils étaient hideux, vieux, plus j’étais belle, et jeune... Et je me nourrissais de leur désir marécageux. Plus ils étaient boues, plus j’étais fleur. Je ne savais pousser que dans la vase.
Je crois que je n’ai jamais été aussi belle de toute mon existence, je crois que je n’ai jamais autant plu.
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J’étais encore saine, j’étais encore jeune et belle, mais je ne le savais pas.
On comprend la vérité toujours trop tard, on dirait.
J’ai fêté mes vingt ans aux Sirènes.
Dans ce bordel, je ne porte que des pantalons léopard, des talons bijoux dorés, des ongles laqués, du brillant que du brillant. Univers chimique, rouge aux murs, univers musical, fumées de cigarette, la femme s’achète, tout s’achète et la cigarette que tu fumes, et la montre en or que tu portes et le verre que tu bois.
Il y a ces volutes de fumée, larges, veloutées, nappes de spirales molles, elles retombent sur les habits, elles voilent les sentiments, chaque homme caché, dissimulé derrière elles.

Cet excès de féminité me tord, comme le métal de mes trop nombreuses bagues, comme les nappes mauves de fumées qui me recouvrent lentement ; je me vide lentement de moi-même, me vide de ma propre substance, regarde au fond de mon verre, qui résonne, plein, de ce seul liquide qui imprègne mon être.
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— Il faut lui trouver un nom avant qu’elle ne commence…

Un prénom de femme prostituée contient souvent un y à l’intérieur, le y c’est la suggestion, l’ouverture, la brèche, l’embrasure, le rêve doré, Debby, Marylin, Myriam, ou bien le prénom se termine en a, le a suggérant aussi la féminité, la douceur, la rondeur : ils ont le choix. Lola, Sonia, Vanessa, Fiona, Rita, Carolina, il suffit de rajouter un a à la dernière consonne.

—Natacha, elle peut s’appeler Natacha, ça sonne bien, hein?
Immédiatement, j’ai accepté ce prénom, ça sonnait russe, sexy et fourré.

Tout a commencé à l’âge de 18 ans, par cette annonce lue dans la presse locale, à Charleroi, en Belgique tout près de la frontière française «hôtesse de bar, bien payée». Oui, je l’avoue, je venais de passer mon bac, et je l’avais eu. Incroyable.
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Se prostituer, c’est avant tout une philosophie, un art de vivre, une ouverture vers les autres, vers le plaisir. Une pute, c’est l’abondance. De matières, de sensations, de sentiments. Du cuir, de la fourrure. Une pute, c’est des cris de plaisir, des chéris, c’est bon ; des encore encore, encore, toujours.
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Avec mes clients, je prenais une feuille avec une belle marge, que je divisais en trois colonnes au crayon de papier. Première colonne : l’heure à laquelle je prenais le client, seconde colonne, le type de client, là, c’était le plus amusant, puisque je les comparais à des crustacés et fruits de mer avec les crevettes, les huîtres, les homards, les crabes, les éponges et les étoiles de mer. La troisième colonne correspondait à la somme encaissée, enfin la quatrième, ce que j’en ferai, le loyer, l’eau, tout indispensable, tout le futile, tout le plaisir, coiffure, manucure, massage-gommage, cette paire de chaussures vernies chez Dior. [...] Les clients, les plus nombreux : les crevettes. Les crevettes sont les plus tranquilles, presque toujours des hommes mariés, ils ont des sièges bébé, des problèmes de couple, et viennent chercher de la détente. [...] Les crevettes ne savent pas comment se changer les idées, comment rêver, petits cerveaux, petites carapaces, et besoin d’une pute pour se sentir exister. C’est que ca parle beaucoup, les crevettes, et il faut les écouter, les laisser parler, parler. Pas de filles à séduire, suffit de payer, pas d’efforts à faire, et hop, ça leur plaît aux crevettes. Fellation-sodo-éjaculation faciale, grand classique, que recherchent toutes les crevettes.
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Jusqu’ici, je n’étais pas montée au premier étage, comme les autres, je n’y étais pas obligée, je me contentais d’être hôtesse, de faire boire les hommes. Cela a duré quelques jours, puis je me suis sentie un peu mise de côté, un peu ridicule avec ma paille, mon verre. Toutes les autres filles montaient en riant. Pourquoi rester, pourquoi ne pas monter? Je tâtonne, palpe dans mon enfance, dans mes souvenirs. Aucune barrière, aucune limite qui ne m’interdise de passer à l’acte. Rien qui ne me dise stop, aucune aspérité, aucune bordure, c’est ouvert, c’est mouvant peut-être, mais c’est ouvert. 
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INCIPIT
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– Il faut lui trouver un nom avant qu’elle ne commence…
Un prénom de femme prostituée contient souvent un y à l’intérieur, le "y" c’est la suggestion, l’ouverture, la brèche, l’embrasure, le rêve doré, Debby, Marylin, Myriam, ou bien le prénom se termine en a, le a suggérant aussi la féminité, la douceur, la rondeur : ils ont le choix. Lola, Sonia, Vanessa, Fiona, Rita, Carolina, il suffit de rajouter un "a" à la dernière consonne.
— Natacha, elle peut s’appeler Natacha, ça sonne bien, hein?
Immédiatement, j’ai accepté ce prénom, ça sonnait russe, sexy et fourré. Tout a commencé à l’âge de 18 ans, par cette annonce lue dans la presse locale, à Charleroi, en Belgique tout près de la frontière française «hôtesse de bar, bien payée». Oui, je l’avoue, je venais de passer mon bac, et je l’avais eu. Incroyable. Une femme, la quarantaine. Elle m’emmène loin, là-bas, dans cette ville inconnue. On a dû rouler plus de six heures pour atteindre la Belgique. Hôtesse de bar, ça sonnait bien.
— Être une femme, bien s’entretenir, ça coûte cher Natacha, très cher, répète-t-elle sans cesse au long du trajet.
Je l’écoute. L’envie. Elle est belle, longue, bien maquillée, bien habillée. De l’assurance, de la confiance. Tout ce que je n’ai pas. Elle me dépose dans un appartement, au-dessus du bar, appelé Aux Sirènes Bleues.
Nous sommes huit filles, là, si jeunes, si mignonnes, une très grosse, une autre très maigre, une blonde, une rousse, je devais être la brune manquante. Soir. Je me maquille. Au moins, c’est certain, là, avec ma bouche rouge et gonflée, mes cils noircis, mes collants, on me verra. De l’eyeliner, un trait noir, ou argenté qui se recourbe. Dans la glace, j’ai encore accentué la féminité, souligné les lèvres, de rose, de rouge-toujours, j’ai encore allongé, incurvé les cils, plaqué les paupières de bleu, de mauve ; le féminin est souvent long, fin, étiré, élancé, encore souligné les seins, offert la poitrine, le féminin est large, rond, et généreux.
Un masque, un déguisement, un appel : j’en ai pleinement conscience.
Hier soir, je ne me souviens plus très bien ce que l’on a fait, je crois juste que l’on a allongé un mec — qui était-ce? — non ce n’était pas un habitué, et qu’on lui avait aspergé le ventre, le bas-ventre de champagne — quel autre alcool, voyons? — et qu’on l’avait puissamment léché, sucé, avalé. Une belle soirée, sous la pleine lune rouge d’équinoxe. Dehors l’automne, dehors la lune éclairait les limaces, les orties et ces escargots qui sortaient, visqueux et mous de leurs coquilles. Le mec — enfin qui était-ce? — on l’avait léché, sucé, avalé. Jusqu’à la dernière goutte. Ils étaient trois à nous regarder et à nous jeter des billets au visage, des billets dans la raie du cul, des billets dans les fentes, dans toutes les fentes. On avait fumé du cannabis, on était ailleurs, on s’ouvrait, on se déchirait, alors on les avait tous déshabillés, et aspirés. Jusqu’à la dernière rosée, jusqu’au dernier centime.
À présent, nous voici, toutes les cinq, au matin, avec nos dix mains coupables sur les bols jaunes en faïence, et, les cinquante ongles rouges vifs à saisir les miettes des croissants. Oui, parce que c’est encore moi qui me lève pour aller chercher les croissants à la station essence juste derrière. Le seul endroit correct qui délivre de la bonne pâtisserie française.
Les bouches qui ont avalé le sperme sont encore présentes, les bouches oublient les couilles molles, les poils, et déchirent la pâte feuilletée, avalent le beurre.
En fond, on entendait Marguerite faire le ménage, frotter les murs, taper les tapis, ouvrir les fenêtres en grand, Marguerite ne mangeait jamais de légumes, ni de fruits, c’est pour les vaches, disait-elle, et ne buvait jamais d’eau, ça fait rouiller, affirmait-elle. Marguerite me posait sans cesse des questions, enfin elle répondait souvent à ses propres questions, ce qui me permettait de rester silencieuse.
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" D'une ville, on croit tout savoir, connaître, comprendre du haut de sa fenêtre. Pourtant, existent d'autre êtres mal connus: ni rats, ni algues mais humains, ils vivent à mi- chemin entre l'algue, le rat et le vol du canard sauvage. Ce sont eux. Ceux de la rue."
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"Et la Guerre est comme ce Printemps , cette herbe qui sort partout. Une femme, une trop belle femme, tournoyant sur elle - même, ivre d'air et de mouvement.

Dans sa robe de velours, elle tourbillonne, tournoie, gorge en arrière , bras écartés , tête renversée, deux lèvres rouges, ouvertes sur ses dents blanches- ces dents que Paul ne possède pas encore.
La violence est une reine dans un manteau de velours émeraude.Bien trop belle. Qui aura toujours raison.
Les nuages dessinaient une masse noire contre le rouge du couchant- si fort qu'il semblait suspendu en l'air comme un cri.
Puis le disque rouge disparut.
Comme si toutes les Guerres étaient combattues"
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ne pas ouvrir. Ne pas.
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De l’hiver lorrain on émerge avec un regard neuf. On n’a jamais vu de printemps aussi beau. Devant les cerisiers, pommiers, mirabelliers en fleurs, tous on attendra je ne sais quoi. On se dira que tout peut encore arriver.
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