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Critiques de Anne Dufourmantelle (83)
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Puissance de la douceur

Chère Anne,

Je voudrais démarrer cette lettre par une citation de Platon : « Il y a une admirable énergie dans l'obstination de la douceur. » Et dans votre magnifique essai, Puissance de la douceur, vous avez introduit votre propos par celle-ci de Marc-Aurèle : « La douceur est invincible ».

J'ai commencé à venir vers vous lorsque vous n'étiez déjà plus là, à quelques jours près. Mais ce n'est pas pour cela. Pour des raisons professionnelles je devais effectuer une recherche sur le thème du risque et ainsi j'ai fait votre connaissance par hasard dans votre très bel essai Éloge du risque.

Puis une amie d'ici, Piatka, je lui en suis reconnaissante, m'a pris la main pour franchir la rive du temps et vous rejoindre de l'autre côté où vous étiez peut-être déjà, découvrir ce roman ultime, Souviens-toi de ton avenir, que vous veniez de transmettre par courriel, à votre éditeur, quelques minutes avant de descendre sur cette plage de Méditerranée d'où vous ne remonteriez jamais plus...

Chère Anne, comment parler de douceur après cela ?

Et pourtant c'est possible et je suis sûr que vous le désirez. Je suis sûr que vous allez m'aider un peu. À votre tour, prenez-moi la main pour éviter que je ne tombe dans les pièges qui m'attendent ici à chaque pas que je franchis : ne pas parler de ma vie, de la douceur que je ressens ou celle qui me manque, tout cela n'intéresse personne et l'autre piège : éviter de vous paraphraser, résumer votre magnifique essai en des phrases picorées pêle-mêle et qui n'auraient plus de sens ôtées de leur contenu et de leur contexte...

Allons-y, je me lance, tant pis si je trébuche, je me relèverai avec douceur...

Déjà ne comptez pas sur moi pour écrire ici des béatitudes dignes d'un livre de développement personnel. Je pense que la douceur est subversive. Voilà, c'est dit. C'est peut-être ce que nous dit Platon, Marc-Aurèle, vous aussi. Quant à nous lecteurs, nous sommes impuissants à trouver les mots qu'il faut pour le dire, alors nous avons recours à des philosophes, des poètes, des auteures comme vous, pour comprendre cette chose insaisissable qu'est la douceur.

La douceur est une forme d'anarchie dans notre monde lisse qui expose l'individuel et la performance comme seuls modèles valables d'existence.

Chère Anne, j'ai aimé votre regard pour chercher et visiter cette douceur à travers les âges, à travers la géographie du monde, à travers les arts. Rien ne vous échappe. Vous nous aidez à venir vers elle, à la déceler là où elle se cache, là où on ne veut pas la voir. On n'ose jamais parler de douceur.

La douceur vient sans doute de l'enfance... Est-ce pour cela qu'elle demeure en nous comme une énigme ?

Tiens, un quiz à l'attention des quelques amis qui lisent cette chronique... Combien de fois avez-vous prononcé le mot douceur aujourd'hui ? Pas facile... Ne vous troublez pas, j'élargis le champ pour vous aider : dans la semaine ? Dans le mois ? Dans l'année ? Mais quoi, ce mot est-il si dangereux, plein de soufre pour qu'on n'ose pas le prononcer au risque de paraître mièvre ou mielleux... ?

Chère Anne, vous voyez, personne ne me répond... Vous aviez raison d'écrire ce livre, remettre ce mot, ce concept, ce sentiment, je ne sais pas comment on peut l'appeler, au cœur de nos vies. Nous en avions tellement besoin.

Pourtant, la douceur est partout, aux abords de nos vies, autour, en dedans, et après... Vous dites là où elle se pose, là où elle se terre. Vous nous aidez à avancer pas à pas, dans les méandres de nos vies tourmentées, soulever une pierre, ouvrir une porte, regarder la personne qu'on aime, soulever ses paupières, fermer les yeux à notre tour et sentir enfin cette douceur attendue au fond de nous prête à venir comme une vague, emplir le réceptacle de notre corps, pour peu que nos cœurs l'entendent venir aussi, ça c'est une autre chose merveilleuse, elle viendra aussi à cet endroit.

La douceur est une gourmandise, un geste sensuel offert à l'autre. Une invitation.

Chère Anne, j'ai aimé quand vous m'avez pris la main pour visiter quelques magnifiques classiques que j'ai appréciés par-dessus tout. L'Homme qui rit, de Victor Hugo. Y-a-t-il de la douceur dans le sourire de Gwinplaine, à jamais figé dans une cicatrice que des hommes lui ont infligés ? L'amour et la fidélité de Gwinplaine et de Déa sont aussi des marques de douceur infinie, parmi la brutalité qu'ils doivent affronter. C'est leur force.

Rimbaud, Baudelaire, Flaubert, Tolstoï, Dostoïevski, on ne soupçonnerait pas trouver de la douceur dans leurs phrases, mais vous, il est vous est arrivé de soulever des pages et des mots et de les faire surgir comme des rais de lumière dans le bruissement des arbres.

La douceur est puissante, alors qu'on la croit molle comme une chique ou simplement délicate comme une caresse, ce qui n'enlève rien ni à la caresse, ni à la délicatesse. Elle peut être violente aussi ou provoquer de la violence. Mais oui...

Comment avez-vous fait pour déloger cette douceur là où on ne la soupçonne pas ? Dans l'exil ? Dans la noirceur du jour, du chemin qu'on attend ? Dans l'aube qui traîne ses ramures... ?

La douceur est de passage.

Chère Anne, si la douceur est de passage, pouvons-nous la retenir encore un peu près de nous ? Saisir sans violence, ou peut-être faut-il le faire avec violence, le geste qui la retiendra encore un peu près de nous. Car la douceur prend soin de nous.

Mais la douceur est un chemin aussi. Un chemin qui part, qui revient.

La dernière page du livre parle de paix, du moins d'une forme de paix, une trêve parmi la guerre. Un témoignage beau qui montre que la douceur est possible dans les moments les plus improbables.

La douceur est beauté.

Chère Anne, je referme votre livre et les mots bruissent encore comme des abeilles autour de la ruche. Le miel viendra après comme une douceur...
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Éloge du risque

Anne Dufourmantelle, philosophe, romancière et psychanalyste, a écrit cet essai magnifique, Éloge du risque, autant pour dénoncer une société de consommation lisse et aseptisée, empêchant justement la prise de risque, que pour nous parler de joie, d'amour et d'errance.

Tour à tour, l'auteure visite les endroits où se pose le risque : la sphère privée, celle sociale, professionnelle, nous passons de l'intime au collectif. En quelques courts chapitres, elle explore nos vies amoureuses, les séparations qui s'ensuivent parfois, nous parle de la dépendance avec des mots magnifiques et étonnants, nous parle de notre vie sociale, de l'entreprise, de nos autres univers, de la vie associative, des engagements humanitaires, du langage c'est-à-dire les mots que nous disons et leur force performatrice...

Cet essai est en effet avant tout un éloge à l'amour et je l'ai reçu comme cela. Mais auparavant, Anne Dufourmantelle nous rappelle ce qui ne fonctionne plus dans notre monde. Elle pose un constat impitoyable : aujourd'hui, dans notre société, le risque est constamment cerné et annihilé par des codes et des logiciels et ce calcul nous étouffe, il aboutit à une servitude volontaire, peut-être bien plus dangereuse que si le risque s'avérait démontré. Par une forme de loyauté étrange à ces codes, nous sommes pris en otage dans cette forme surprenante de dépendance, consciente ou peut-être inconsciente. Notre société vise le risque zéro et elle y parvient, mais à quel prix ? Nos enfants ne prennent désormais aucun risque, puisqu'à chaque instant nous sommes derrière eux à empêcher le moindre geste qui pourrait les mettre en danger. Ici, loin de moi l'idée de laisser nos petits chérubins saisir des casseroles bouillantes à portée de mains, mais tout de même... Anne Dufourmantelle dénonce une société qui nous infantilise.

Ce livre est un livre d'amour et d'émancipation. Ainsi, venons donc au sujet amoureux. Anne Dufourmantelle nous incite à nous laisser porter par les risques à tomber amoureux et les risques de la passion amoureuse. Bien sûr, il y a un risque et nous le savons tous et plus nous nous prenons des revers amoureux et moins forcément nous prenons le risque d'y revenir dans les jours qui suivent, les mois, les années...

L'auteure nous dit de ne pas avoir peur d'aller vers nos passions négatives : la dépendance, l'angoisse, la tristesse, la peur, car elles sont nos alliées, c'est en explorant les bords et les abords de ces passions négatives, c'est en les visitant et les revisitant que nous pouvons nous déployer plus largement, et y compris aussi vers la joie.

Anne Dufourmantelle nous dit de prendre le risque d'aimer, de vivre afin de s'extirper de toute dépendance.

Anne Dufourmantelle nous rappelle aussi qu'il n'y a jamais eu autant de livres sur la recherche de l'autonomie de soi... On pourrait s'interroger sur le bien-fondé de ces ouvrages. Ici, je ne vais pas jouer les donneurs de leçons car il m'arrive aussi d'en acheter.

Nous avons à peu près peur de tout à chaque grande étape de la vie. Nous avons peur des risques à prendre. Cela commence par la peur d'être abandonnée en premier lieu. Lorsque l'enfant naît, son premier cri est un cri de peur. Sortant de la vie intra-utérine, il découvre d'emblée un monde qui lui est hostile. Les peurs nous rattrapent constamment. Ce n'est pas tant la peur qui est dangereuse, mais la peur de nos peurs. Il ne suffit pas d'être né pour être vivant. Pour autant, nous avons peur d'être vraiment vivant. Dans un apprentissage de la dépossession, notre foi, notre espérance, notre joie, notre manière de vivre et de rester en vie, permettent d'affronter ses peurs.

Anne Dufourmantelle nous dit que l'homme est en train de perdre son libre-arbitre, à peine consciemment, mais c'est très bien organisé. Il est très difficile d'être libre dans une société de consommation qui valorise beaucoup la dépendance aux objets.

Aller vers cette liberté intérieure est difficile. On s'enferme dans des protections non seulement inutiles mais qui nous fragilisent plus encore. Il est parfois difficile de se singulariser.

Anne Dufourmantelle nous dit que le chagrin d'amour est une des plus belles choses à vivre ; c'est à cet endroit qu'on explore les limites de son être et la perception du monde qui est nouvelle. Les textes, la lecture, peuvent nous aider à traverser cela autrement que comme une calamité ou un enfermement. Les mots de cette femme apaisent.

Elle nous incite donc à prendre le risque d'aimer, de vivre, de créer. Ce temps du risque, celui des résistants, serait le contraire miraculeux de l'aliénation. Notre pays a connu des résistances. Aujourd'hui, l'actualité nous montre d'autres formes de résistances. Elles sont souvent ailleurs. Serions-nous près à prendre le risque de nous indigner, de nous lever, de nous engager, si aujourd'hui nous étions menacés ? Mais au fond, sommes-nous vraiment lucides sur notre situation. Anne Dufourmantelle, d'une certaine manière, pose un regard cruel sur ce que nous sommes.

Pour moi c'est une auteure à découvrir absolument, elle est une philosophe de la liberté.

Dans ce livre empreint de poésie, j'ai vu un engagement émouvant de l'auteure. Je vous encourage à regarder aussi des vidéos où elle parle de cet engagement. Ces instants sont très forts et vous serez sans doute, comme moi, impressionnés par la douceur de sa parole.

Anne Dufourmantelle a trouvé la mort le 21 juillet dernier, sur une plage de Méditerranée, dans des circonstances tragiques en portant secours à un enfant qui était en train de se noyer. Au cours de ce sauvetage, elle a succombé à un arrêt cardiaque. Elle avait 53 ans.
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Souviens-toi de ton avenir

Comment peut-on se souvenir de son avenir ?

Vous avez quatre heures pour disserter - original le sujet du bac philo cette année - ou, plus agréablement, quelques heures de lecture passionnantes et enrichissantes du dernier roman de Anne Dufourmantelle, philosophe et psychanalyste, pour nourrir votre réflexion et peut-être, vous faire découvrir des questionnements inattendus, tout en étant embarqué dans un roman d'aventures, riche en rebondissements.

Une fois commencé, je n'ai plus lâché ce récit. Rien n'est plus parlant, me semble-t-il, en terme de ressenti.



Pitch enthousiaste, soit, mais de quoi s'agit-il vraiment me direz-vous ?

Tout d'abord, plusieurs hypothèses, à la fois historique et métaphysique, ont servi de point de départ au roman et éclairent le propos :

« Les Mongols auraient découvert l'Amérique latine avant Christophe Colomb »

« Quelle assurance avons-nous que le temps existe ? »

Ce qui s'appelle bousculer des certitudes, mais l'imaginaire ne permet-il pas d'ouvrir des champs d'investigation, de progresser dans nos connaissances ?



Une double trame narrative, alternance de chapitres consacrés aux deux histoires se déroulant à sept siècles de distance, donne du rythme. D'un côté, 1321, des guerriers mongols entrainés par leur roi, descendant de Gengis Khan, partent en expédition pour découvrir à l'est un monde inconnu, un géomètre vénitien est chargé de relater leur épopée ; de l'autre, 2020, un petit groupe de passionnés, scientifiques et historiens, s'intéressent à des fragments d'un énigmatique manuscrit rédigé à la fois en dialecte mongol et en latin.

Plus les intrigues se développent, plus elles s'entremêlent, illustrant l'hypothèse que le temps n'existe peut-être pas, que finalement tout serait connecté, passé présent et futur.



J'aime penser que la troisième exploratrice de ce récit, c'est Anne Dufourmantelle elle-même. Forte de son expérience psychanalytique et philosophique, elle nous offre des personnages nombreux, d'une grande diversité et surtout d'une grande vérité, certes ancrés dans leurs époques respectives, mais qui finissent par se rejoindre grâce à la liberté…du roman.

Les changements de temps, d'espaces, de quêtes sont avant tout au service de sa réflexion sur l'âme humaine. C'est ce qui fait tout l'intérêt de ce roman, de son travail, malheureusement tragiquement interrompu l'été dernier, alors qu'elle venait de rendre à son éditeur ce manuscrit.



Kierkegaard, un autre philosophe (du passé pour nous) a écrit :

« Parce que je me retourne vers le passé, je vois l'avenir »

Une intuition ? Un souvenir ?

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L'envers du feu

Ce roman aurait dû me plaire. Un bon thriller doublé d'un roman psychanalytique. Malheureusement la sauce n'a pas pris. Un homme, d'origine russe vit à Brooklyn. Une femme dont on pense qu'il est amoureux, mais il n'en est pas persuadé, est retrouvée morte, elle est tombée du dixième étage. Puis il est à Paris et pour aller mieux, va voir une psychanalyste. Elle lui propose de venir la voir sur douze jours consécutifs et deux fois par jour. Il accepte. Chaque chapitre est consacré à une séance.

Ce que j'ai bien aimé : l'écriture originale du roman.Les réflexions de la psychanalyste.

Ce que j'ai moins aimé : le style brouillon et labyrinthique. Certaines bribes de l'histoire du patient étaient claires mais beaucoup d'autres m'ont parues obscures et incompréhensibles. Désolée mais j'ai capitulé. Pas pour moi.
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Souviens-toi de ton avenir

Souviens-toi de ton avenir est le dernier roman d'Anne Dufourmantelle, philosophe, romancière et psychanalyste, publié à titre posthume, l'écrivaine nous ayant quitté tragiquement le 21 juillet 2017. J'ai découvert cette auteure par son essai magnifique intitulé L'Éloge du risque.

Ce roman nous mène très loin. Il est possible qu'il nous mène plus loin que l'horizon, plus loin que le temps. Il est possible que le temps ne ressemble pas à l'image que nous nous en faisons. Et si nos rêves étaient une manière de trébucher dans le temps... ?

Ce sont deux histoires qui font écho à sept cents ans de distance. Deux histoires qui finissent par s'entremêler. Ce sont deux quêtes. L'une maritime, vers d'autres contrées lointaines, peut-être une manière de sauver et étendre un empire menacé en le projetant de l'autre côté de l'océan, vers des terres encore inconnues. L'autre, celle de désirer reconstituer l'itinéraire du roi mongol, comprendre, identifier la destination de cette épopée.

En 1321, sur les hauts plateaux de l'Altaï, un roi Mongol dénommé Akhan, descendant de la dynastie de Gengis Khan, pressentant une menace fatale des chinois sur son empire, décide d'entreprendre l'ultime voyage par-delà la Chine, vers l'océan.

Sept cents plus tard, une équipe de chercheurs passionnés de textes anciens, renoue avec l'itinéraire du roi et de ses troupes, par le biais des fragments d'un texte, sorte de carnet de voyage, écrit par un géomètre génois, Adalberto, dans deux langues, l'une le phags-pa (l'un des alphabets mongols) et l'autre en latin. Ses fragments ont été dispersés dans le monde. L'équipe va alors tenter de reconstituer le puzzle, comprendre le message transmis par le temps, identifier la destination de leur fabuleux périple, vers l'océan Pacifique, puis l'Équateur. S'ensuit quelque chose qui ressemble à une sorte d'enquête, digne d'un thriller. Réveiller une hypothèse, contredire un pan de l'histoire liée aux origines de la découverte de l'Amérique...

Depuis une librairie de Paris, nous partons, nous voyageons ainsi de Bâle à Madrid, de Naples à Londres, de Budapest à Quito.

Les deux récits vont faire écho, s'alterner, chapitre après chapitre. Les deux quêtes, bien différentes, ont pourtant bien des points communs. Certains personnages se ressemblent aussi, comme si l'auteure avaient voulu jouer sur une forme de jeux de miroirs, jouer avec le temps, ce temps qui vacille lorsque les rêves s'en mêlent comme des chausse-trappes. C'est ainsi que l'auteure semble convoquer par instant quelque chose qui ressemble de près, non pas forcément à du fantastique, mais du moins à quelque chose proche du parapsychologique.

Nous voyageons entre deux rives du temps. Ces deux rives ne sont pas forcément si éloignées. Nous voyons les personnages de ces deux rives s'animer, parfois se quereller, s'affronter aussi. La passion les anime. D'autres sentiments aussi comme le désir, l'amour, la jalousie... Nous sommes les témoins muets comme si nous étions sur une barque entre ces deux rives.

Notre barque avance, nous avançons dans le temps abyssal. Il est possible que les méandres du temps nous emportent dans le fleuve immense qui serpente entre ces deux histoires. Quel en sera le lien ? Qui tendra les bras, appellera les gestes pour rassembler les fragments dispersés d'un puzzle à reconstruire ?

C'est un roman grisant, nous sommes happés dans le temps de ces deux histoires qui ne cessent de s'interpeler, comme si les personnages respectifs avaient le sentiment de se connaître, de s'attendre d'une rive à l'autre. Nous sommes appelés vers la fin du livre comme le courant qui nous entraîne inlassablement entre ces deux rives. Nous avançons dans la brèche du temps. Il est possible que nous trébuchions dans un rêve qui nous amènerait sur une jonque abordant un rivage sur une plage de l'Amérique, précédant de quelques années le célèbre navigateur Christophe Colomb.

Le rêve d'une terre promise...
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Éloge du risque

A la vie, à la mort. A la bonne vôtre ! ^^



A l'éloge de la fuite (*) , je préférerai toujours l'éloge du risque. C'est un acte peu ordinaire de chroniquer un livre avant de l'avoir lu, et c'est un autre risque que de l'annoncer. Double saut périlleux dans la confiance. Anne Dufourmantelle analysera de risquer la Vie et de l'engager sur un pari à un point de basculement. Un de ces carrefours mystérieux de tous les possibles qui dessinera ma vie et illuminera ma mort. Ou pas.





La lecture pour me rechercher, par l'écriture me révéler. Pour l'écriture : oser le je, le démasquer dans ces on, il, nous et même vous ; au direct du dit. Ce faisant, je risque de vous perdre, j'ajoute à l'inattendu de l'acte, transgressif, la peur de l'inconnu. Soudain je pense à Spinoza, l'isolement pour prix de ses idées. N'aurait-il pas été plus heureux polissant des verres de lunettes plutôt qu'à vouloir y voir clair par lui-même ? Réflexion faite, donner une sienne idée au lieu d'une idée de soi : quel risque ! Oui, je mise sur la profondeur de l'amitié au détriment de la séduction.





J'ai lu l'audace de vivre, Anne me soufflera autrement la joie d'Arnaud Desjardin ainsi que cette parole d'Evangile profonde et terrible : « Celui qui voudra sauver sa vie la perdra. » La vie, cet inespéré cadeau, éphémère certes, mais lumineuse. Comment prolonger cet éblouissement de l'enfance ? La Vie n'a que deux exigences, celle de la chérir et celle de la jouer, lançant tourbillonner si besoin cette pièce dont une face est ma vie et l'autre ma mort. Non par bravade, mais par nécessité m'en remettre au hasard, voguer vers l'incertain, à la rencontre de ce moi inconnu. L'éloge du risque est forcément un hymne à la Vie. Evidence.





Anne que pourrait-elle me dire d'autre que vivre c'est aimer ? Aimer à m'en oublier. Jusqu'à l'oubli de moi pour mieux être moi. Prendre le risque de me découvrir, dans tous les sens du terme. Aller me chercher par ce chemin tortueux et étroit, aux multiples embranchements hasardeux, m'engager pour approcher l'intime, fil de ferriste au-dessus des abîmes de la frivole dilution et de la frileuse intériorité. Oui je vais au devant d'elle sans armes et sans armure, osant le je.





Aussi je me dépouille de ce pressenti, ayant momentanément interrompu ma lecture au 5ème court chapitre : En suspens. Je le fais pour m'engager volontairement sur le chemin de l'abandon à une pensée que je sais plus haute afin de laisser de côté celui confortable de la confrontation, de l'argutie mentale. Je m'en vais confiant à une triple rencontre, celle d'Anne Dufourmantelle dont la mort lumineuse éclaire la justesse du propos, celle de cette amie babéliote qui m'encourage dans sa lecture, celle de cette autre part de moi-même à l'instant ignorée.



Ainsi prendrai-je ma place dans cette cordée, l'esprit totalement libre et concentré à escalader cette voie escarpée du risque de vivre. Voilà, maintenant m'appliquer, m'accrocher aux prises proposées par cette guide hors norme, ranimer la flamme falote d'un cœur pourtant ardent.



Au passage, je tends la main à l'invite au copain Hugo (*) et à quelques autres^^.

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Puissance de la douceur

Par l'auteur de l'Eloge du risque, un autre aspect de la personnalité à développer selon cette philosophe psychanalyste, la douceur.



Tout aussi intéressant que le premier livre lu. Auteur à découvrir, que je recommande.
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L'envers du feu

Je poursuis mon voyage en ‘Psychardie', à peine terminée ma visite chez Jacqueline Harpman que me voilà installé sur le divan d'Anne Dufourmantelle, comme si un feu en moi… Mais concentrons-nous un instant sur cet intrigant thriller psychanalytique qu'est L'envers du feu, emprunté faute de référencement de ses essais à la bibliothèque, et qui nous offre un intelligent défoulement par l'entremise d'un refoulement.



« Eurydice revenue à la lumière toujours s'en retourne aux enfers. » p.194 C'est dans un de ces mystérieux passages en italique que nous est révélée une des clés d'interprétation les plus intéressantes, il est aussi brièvement fait mention d'Orphée quelque part ailleurs. Car des enfers il est bien question, et à une toute petite lettre près (et même très près sur le clavier AZERTY^^) les enfers s'immiscent jusque dans le titre.



« Deux semaines pas moins, matin et soir ; une cure intensive. » p.14 Et Alexeï de nous emmener de New York à Paris en passant par Amsterdam et Kushka dans le Caucase. Décortiquant son cauchemar récurrent, rarement les rêves heureux amènent à consulter. Un début qui démarre par une chute (de 9 étages) ; une fin qui n'est pas vraiment une chute, voilà de quoi épaissir le mystère qu'approche ce roman. Découvrir le lien ténu entre la chute mortelle d'une jeune fille au cours d'une soirée à Brooklyn et les réveils en sueur émergeant des flammes d'un gigantesque incendie, tel est l'objet de ces séances. « Une analyse est une anamnèse qui prend de court la censure par la confiance donnée à un autre. » p.209



La grande majorité des protagonistes sont émigrés d'origine Russe, un d'entre eux, qu'expressément je ne nomme pas, m'apparu rapidement très particulièrement dangereux, en relation avec tous les autres, je n'aimerais pas le rencontrer, lui ou l'un de ses semblables, araignée tissant sa toile, manipulateur de marionnettes. Dans la noirceur du récit, se déroulant principalement en des zones d'ombre que le commun des mortels préfère soigneusement éviter, apparaissent, inattendues petites flames vacillantes, quelques touches d'un puissant romantisme. Quelques rencontres improbables comme seule la vie en réserve : cette chamane indienne, ce jeune SDF qui au bout d'une conversation indique la piste à suivre pour atteindre la réalité recouverte par le rêve. « La vie est prodigue, même dans l'horreur elle offre des passages de lumière. » p.302



Cette photo de Vishniac prise dans un ghetto de Varsovie avant la deuxième guerre mondiale, en considérant l'amnésie du personnage principal, alors que le repli sur soi et le populisme commencent de nouveau à s'enflammer, est-ce un appel discret d'Anne Dufourmantelle à un nécessaire devoir de mémoire pour maintenir dans leurs abysses nos vieux démons ? « Eurydice revenue à la lumière toujours s'en retourne aux enfers. » p.194



Je vous laisse ma clé de cette maison des mystères. Vous pouvez jeter un oeil sur la 4ème de couverture dans l'espoir d'en apprendre un peu plus. Je vous engage quant à moi à attentivement examiner la photo en couverture. Si je vous dis Magritte ! The house of Mysteries (1892) certes moins connue que l'Empire des lumières (1954) en couverture d'En toute impunité emprunté en même temps.



Coup du sort qui serait probablement resté inaperçu si je n'avais il y a plus de 20 ans acheté en solde à la boutique du Art Institute of Chicago ce Taschen de Jacques Meuris simplement intitulé Magritte où, comme moi lorsque j'ai voulu vérifier, vous les retrouverez respectivement en pages 100 & 101. ISBN 3-8228-046-7

Pour le moins surprenant. « Mais le hasard existe-t-il ? » disais-je dans ma précédente critique. Les arcanes de la mémoire cette maison des mystères, allez savoir. N'oubliez pas la clé ! ^^
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Puissance de la douceur

Pas facile de parler de la douceur à notre époque qui fait plutôt l'apologie de la force, du marchandage, du rentable. Où alors, comme le souligne très bien l'auteure, la douceur est instrumentalisée, commercialisée pour finalement être diluée dans la violence du quotidien. La douceur renvoie, à l'enfance, à la régression, au ventre maternel. C'est en philosophe et en psychanalyste que Anne Dufourmantelle nous parle de cette notion galvaudée. Donc ce n'est pas toujours facile à comprendre. Nécessité parfois de relire certains passages, certaines pensées. Et puis, il faut savoir se laisser aller à la poésie des mots, comme on se laisserait aller à une régression assumée. La douceur et envisagée sous différents aspects, à différentes époques. Elle n'a pas représenté la même chose dans l'antiquité grecque ou chinoise. La notion de douceur sera perçue différemment selon notre propre vécu, notre éducation. L'auteure puise aussi largement dans la littérature, notamment russe avec Tolstoï et Dostoïevski, pour en faire surgir des sens différents et élargis.

Comme on le voit, c'est un livre parfois difficile d'accès mais qui propose au lecteur une conscience élargie de soi et du monde, à travers cette notion de "douceur" dont l'humanité, a cruellement besoin de nos jours, que ce soit individuellement ou collectivement.
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Éloge du risque

A la croisée de la psychanalyse et de la philosophie, cet essai n'est pas toujours facile d'accès. Il faut accepter de s'attarder sur certaines notions, phrases où le sens n'apparaît pas immédiatement. Anne Dufourmontelle nous parle du risque dans toutes les acceptions possibles. Il s'agit ici de prendre le risque de vivre notre vie telle qu'elle se présente, accepter les désaccords avec nous-mêmes et avec ce qui nous entoure. Il faut dire que c'est véritablement un langage psychanalytique et parfois assez ardu. Cependant, l'auteure, par une empathie, une chaleur, une compréhension, que l'on ressent dans son texte, parvient à retenir son lecteur, à le mettre suffisamment en confiance pour en faciliter la compréhension.

C'est un livre vers lequel je reviendrai certainement.
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Éloge du risque

Composé de courts chapitres qui nous invitent à prendre le risque de notre vie, de vivre tout simplement, mais de vivre véritablement , l'écriture d'Anne Dufourmantelle n'en est pas moins compliquée. Trop peut-être pour passionner tout le monde et c'est bien dommage. Avec moins de digressions psychanalytiques ou de références aux mythes grecs, ce livre pourrait, devrait être mis dans toutes les mains.



Reste le propos de base : osons. Ne pas risquer, c'est déjà être mort et donc, vivons, en majuscules.
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Éloge du risque

Risquer de perdre du temps, risquer de se perdre, risquer l'éblouissement, risquer le rire...Oui Anne Dufourmantelle nous interroge. J'aime ses propos et ses réflexions mais ce qui m'a le plus étonné chez elle - moi qui la découvre - c'est sans aucun doute sa qualité d'écriture. J'aime les mots et les suites qu'elle livre, proches certaines fois de la poésie. Cela ne retire rien à la réflexion bien au contraire ça l'alimente. A noter tout partciluièrement pour les amoureux des lettres : le chapitre sur le rapport entre le lecteur et la littérature. Lire permet d'"entrer dans cette zone de ravissement où ce qui est affecté en nous nous échappe absolument"...
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Éloge du risque

Gorgio de Chirico a peint en 1916 un portrait d'Apollinaire « prémonitoire », avec une cible sur le front, précisément là où un jour de mars 1916, dans l'apocalyptique bataille de Verdun, le poète subit une terrible blessure.



Anne Dufourmantelle écrivit en 2011 cet « Eloge du risque » et quitta sa vie terrestre en 2017 dans les flots de la Méditerranée pour sauver deux enfants de la noyade.



Difficile de ne pas relever la cruauté dans cette tragique destinée, ô combien imméritée, qui nous prive d'un esprit bienfaisant et d'un style rare, d'une densité facétieuse ; des invitations pour l'esprit à fréquenter, à hanter au fil de ces pages des univers parallèles.



Il y a déjà des très belles critiques, Krout, Bernie…



Je laisserai la place aux mots d'Anne Dufourmantelle, l'émotion la plus vibrante, la plus chevillée à la vie.



« Au risque de l'inconnu



Au risque d'inviter une femme à danser un rock et lui chuchoter : « fermez les yeux »

Au risque de partir en voiture pour aller dîner en ville et finir à Rome, le lendemain après avoir roulé toute la nuit, parce qu'on a changé d'idée.

Au risque de voir votre homme pour la cinquantième fois décliner l'offre du petit vendeur de roses (fripées) pakistanais, et lui acheter toute la brassée pour l'offrir à tous ceux qui sont là dans la salle.

Au risque des nuits blanches.

Au risque d'écrire à un(e) presque inconnu(e) une lettre d'amour à partir d'un presque rien qui vous aura traversé dans une fulgurance inconnue de vous jusqu'alors.

Au risque de ne pas cesser de faire l'amour.

Au risque de prier sans le secours d'aucun Dieu, ou même avec.

Au risque de l'amitié cachée, folle, éperdue, infinie. Pire qu'un amour.

Au risque de l'ennui, et aimer cet ennui sans secours.

Au risque de marcher seul dans une ville et attendre que survienne, à cet instant, le sens de toute une vie ; savoir que demain tout disparaîtra.

Au risque d'écouter la Passion selon Saint Matthieu de Bach en boucle.

Au risque de prendre sur soi la responsabilité dévolue à un autre, tout sauf un principe de précaution.

Au risque de ramasser sur la plage des petits cailloux de verre dépolis par la mer et les disperser ensuite le soir.

Au risque d‘un communisme de pensée.

Au risque de la joie. »



(p. 115 et 116)
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Puissance de la douceur

Je suis un inconditionnel. J'ai presque lu l'intégralité des écrits de la psychanalyste philosophe.Le titre m'avait intrigué. Et à la réflexion, je n'aurais pas dû l'être. Quoi de plus pénétrant que la douceur ? Anne Dufourmantelle la présente avec sensibilité, érudition et grand talent littéraire.

Ces textes ciselés modèlent l'amplitude de la douceur, exposent les facettes insoupçonnées d'une qualité boudée par les philosophes. Peut-être parce que la majorité des penseurs ont été des hommes. Pourtant la douceur est à la portée de tous, nichée là où on ne pense pas à regarder. Merci à l'âme défunte de nous avoir doucement ouvert les yeux.
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L'envers du feu

Ce qui me trouble le plus, c’est que j’ai téléchargé ce roman le 20 juillet, pour mes vacances et que l’auteure est morte noyée, en tentant de secourir des enfants qui se perdaient dans l’océan. Bref, parfois, le hasard…



Brooklyn, fin juin, une fête d’étudiants, Alexeï rencontre une jeune femme, une image et en tombe amoureux. Quelques instants plus tard, la jeune femme est défenestrée, morte neuf étages plus bas. Alexeï en fait une obsession. Une petite fille lui a remis un mot mystérieux de la suicidée, « Vouchenko », village enchâssé dans le Caucase et disparu dans un dramatique incendie après la seconde guerre. Pris de malaise, en escale à Paris, Alexeï doit subir 12 séances chez une psy, Fleur. Il lui raconte l’histoire, en en respectant strictement la chronologie. Son périple depuis le décès de la jeune femme, son voyage d’abord jusque Rotterdam et ensuite au fond du Caucase. Pendant ce temps, des informations arrivent au compte-gouttes à notre héros mais aussi sur son passé qui semble occulté…



Quête de l’autre et quête de sois mêlées, thriller dense et psychologique, voyage, suspens, oligarchie, voilà qui donne tout son sens à ce roman à l’ambiance glauque et épaisse. Au début, le lecteur peut se sentir égaré, comme Alexeï, qui semble s’être engagé dans une histoire sans fond. Pourquoi cette obsession, cette amour pour une femme entrevue un furtif instant et soudain disparue ? C’est patiemment, ligne après ligne, chapitre après chapitre que l’auteur nous éclaire, nous guide avec une logique solide, maîtrisée. Le tout dans un style fluide. On sent aussi que l’auteure ne laisse rien au hasard dans son récit. Tout y est plausible, vraisemblable. Un roman qui fascine, qui envoûte, qui vous aspire. Ce genre de livre que quand on tourne la dernière page, on regrette qu’il s’arrête. C’est empli de culture, de belles phrases, d’ésotérisme, de suspens. La fin reste un mystère, la quête d’Alexeï ne fait peut-être que commencer…

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En cas d'amour : Psychopathologie de la vie..

Tomber amoureux, tomber malade, tomber enceinte : dans certains cas, difficile de dire d’où ça vient. En cas d’amour, je préfère être l’aimée si je veux être tranquille et connaître aussi peu de perturbation affective que l’électrocardiogramme d’un mort, mais je préfère être l’aimante si, soulevée par les variations de la jouissance, puis de la souffrance, et ainsi de suite, je ne peux finalement trouver mon salut que par la découverte d’un sursens. Dans tout couple, le hasard du sceau initial dont notre existence est marquée nous place dans l’un ou l’autre de ces deux rôles. Les cas d’amour ici évoqués appartiennent évidemment à la seconde catégorie. La recherche du sursens se fait élucidation de l’ignorance de l’amour.
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La sauvagerie maternelle

L’entrée en matière de ce livre laisse craindre un de ces éternels essais gynolâtre qui, depuis la pseudo libération féminine (parfois aussi appelée libération sexuelle, ce qui est contradictoire car le féminin n’est pas la sexualité mais la socialité), se plaisent à présenter le corps féminin à la manière d’une forêt primaire telle que nous ne pouvons plus qu’en imaginer : boue, sable, étendue aquifère moite, lianes, feuilles frémissantes, bourdons vrombissants, sève perlante, sang séché, torpeur, bouche qui colle. Nous aurions pu craindre, également, un de ces éternels éloges de la folie POUR la vie dont une femme pourrait faire preuve afin de sauver généreusement, pour ainsi dire inconditionnellement, en tout désintéressement, son enfant. Diantre ! il suffit heureusement de pousser quelques pages plus avant pour constater que rien de tel ne nous est proposé dans cet essai. La sauvagerie maternelle qu’évoque Durfourmantelle ne vise pas à faire de la femme un surhomme comme les autres – elle vise à montrer qu’à son terme, cette sauvagerie converge vers un innommable à la Beckett, aussi bien évoqué par Julia Kristeva dans « Soleil noir » - dans le piège d’une immanence spéculaire au creux de laquelle deux êtres, n’importe lesquels, ne peuvent que se regarder en chien de faïence avec, pour seules options : l’indifférence, la baise, l’agression.





Des analysants témoignent par le silence, les arrêts, la prise en circuit fermé, de leur impossibilité à dire. Le silence, la sidération, la captivité dans une loyauté sans nom, sont les refrains de la sauvagerie maternelle. Le sacrifice également qui, évoqué dans cet essai, prend tout son sens rétrospectivement de la mort de Dufourmantelle qui s’est noyée en mer, voulant sauver des enfants. Des analyses de romans ponctuent ces réflexions.





La psychanalyse devient pour ces captifs le cadre d’une naissance possible à la parole, de l’accès à sa jouissance de parler, à l’endroit où le silence ne traduisait autrefois que le faux sentiment de plénitude du sujet qui l’isolait du Logos. Tuer la mère, avant de tuer le père : tel est le sens non tronqué de l’Œdipe.





« La foule était assise autour de lui [Jésus Christ], et on lui dit : Voici, ta mère et tes frères son dehors et te demandent. Et il répondit : Qui est ma mère, et qui sont mes frères ? Puis, jetant les regards sur ceux qui étaient assis tout autour de lui : Voici, dit-il, ma mère et mes frères. Car, quiconque fait la volonté de Dieu, celui-là est mon frère, ma sœur, et ma mère. »

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Souviens-toi de ton avenir

Les peuples qu'il a assujettis depuis trois siècles se révoltent. Ils retrouvent le goût de l'indépendance ou tombent dans un autre asservissement. L'empire mongol s'étiole. Le dernier Khan rêve pourtant encore de conquête et projette une expédition maritime dans laquelle il entraîne une poignée de ses rudes montagnards des steppes, vers une destinée dont il ignore tout. Nous sommes au XIVème siècle. Les Espagnols n'ont pas encore fait main basse sur ses contrées auxquelles Amerigo Vespucci laissera son nom.



Anne Dufourmantelle construit son roman sur cette hypothèse selon laquelle les Mongols auraient devancé les Espagnols en Amérique du Sud. Dans Souviens-toi de ton avenir, par chapitres alternés, elle imagine en parallèle l'aventure romancée de l'arrière petit fils de Genghis Khan et les péripéties d'une équipe d'archéologues et historiens du XXIème siècle qui tente de consolider pareille conjecture.



Dans les derniers soubresauts de son empire moribond, Akhan a la volonté de faire connaître la civilisation mongole à la face du monde occidental, autrement que pour son art de la guerre. Il embarque avec lui un scientifique aventurier italien, le géomètre, lui confiant la mission de rédiger pour la postérité, dans la langue native, le phags-pa, mais aussi en transcription latine, le journal de son épopée. Pierre de Rosette d'un autre temps.



A la découverte des fragments d'écriture de ces textes que les siècles ont disséminés sur la planète, l'équipe d’archéologues moderne se fait à la conviction que cette épopée mongole a bien abouti en Amérique du Sud, sur la côte du Pérou.



Cet ouvrage peut se lire comme un roman d’aventure. Mais l'histoire des hommes ne serait pas ce qu'elle est sans l'implication des sentiments dans ses méandres et c'est bien dans la description des caractères et comportements de ses personnages que l’on découvre les compétences de psychanalyste d'Anne Dufourmantelle. Sans jamais forcer le trait, sans trahir l'impact du contexte culturel d'époques et de civilisations si lointaines et différentes, elle sait dresser des portraits psychologiques d'une rare authenticité. Que ses personnages soient sous l'emprise des rites chamaniques ou des paradis artificiels de nos cultures sans dieu, leur intervention dans l'intrigue relève de la même évidence qui fait du narrateur extérieur un véritable témoin de chaque lieu et chaque époque.



Bel ouvrage à la sensualité bien dosée, au suspens flegmatique et crédible, même si la thèse recueille peu d'adeptes parmi les personnes avisées, si l'on en croit la documentation que l'on peut trouver sur le sujet. Il y a pourtant bien une explication aux traits de type mongol qui se sont imprimés dans les gènes des indiens de la côte ouest de l'Amérique latine. Mais tout ceci n'est qu'un roman, au demeurant fort bien construit, d'autant plus prenant lorsqu'on progresse vers son dénouement.

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Puissance de la douceur

Ce livre redonne ses lettres de noblesses à la douceur.

Vertue oubliée, voir méprisée par notre société élitiste, obsédée par la performance.



Je conseille cette lecture aux doux bien sûr, aux hypersensibles, aux travailleurs sociaux, à toutes personnes qui s'occupe des autres et qui possède une conscience collective. Il prodigue beaucoup de force en ces temps troublés. L'église ayant perdue de son influence, les valeurs humaines ne sont plus prônées (et même si je suis presque Athée, je dois bien reconnaître que la religion a pu façonner notre esprit vers un mieux pour ce qui est de s'occuper un peu des autres)

De nos jours, le Dieu de la consommation ne faisant pas de publicité pour tout cela: il faut bien que des auteurs comme Anne Dufourmantelle nous incite à nous pencher vers le beau, ou la mise en pratique d'un regard d'acceptation et de bienveillance ... même si une telle disposition d'esprit est difficile à avoir dans le monde que nous vision: la compréhension de la petitesse d'autrui , y compris la sienne propre: aide à l'acceptation et au lâché prise. On ne peut pas tout changer dans ce monde, mais on peut au moins tenter de préserver son âme de la noirceur. Et souhaiter qu'un jour les être humains se tournent un peu plus vers leur être : Sa douceur a tant à nous apprendre.
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En cas d'amour : Psychopathologie de la vie..

[...] Ardue, parfois abrupte, souvent poétique et à jamais tournée vers l’humain, l’écriture de l’auteure est toujours aussi sensible. Moins linéaire que certains de ses autres ouvrages, il faudra s’armer, à certaines occasions, de courage et d’une envie puissante de comprendre pour justement, ne rien comprendre vraiment.



L’ouvrage semble court, mais est extraordinairement riche. S’il questionne l’amour et ses formes, ses blessures, ses passions, il questionne aussi et surtout le rôle du psychanalyste. Dans une auto-analyse distanciée, Anne Dufourmantelle interroge ses mots et ses actes face à des patients douloureusement atteints d’amour. Elle confie ses impuissances, ses sorties de cadre, sa manière d’être humaine et les transferts qui s’imposent à elle.



Comme toujours, l’auteure emporte le lecteur vers des voies inattendues. Elle confond celui-ci en le perdant entre promesse attendue d’un livre à découvrir et réelle lecture de celui-ci. Peut-être alors remplit-elle parfaitement son rôle : en forçant le lecteur a être déçu par ce qu’il lit, elle lui ouvre une multitude de fenêtre vers une propre lecture de lui-même, de ses déceptions et donc de ses attentes, de l’univers alors auquel, par ses attentes, il se ferme.

[...]
Lien : https://www.startingbooks.com
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