Citations de Anne-France Dautheville (22)
PELOUSE
Du latin pilosus qui signifie "couvert de poils". L'herbe est donc la fourrure de la terre.
Ludivine prend son temps - La première étape m’emmène vers les environs de Chartres. Si je prenais l’autoroute, j’y serais en deux heures à peine. Du nord de la Brie, il suffit de rallier Paris, un brin de périphérique et l’A10 remplace avantageusement l’A4. Mais une autoroute, comparée à une départementale qui se tortille, a autant de charme qu’un poireau surgelé comparé à des tagliatelles aux champignons.
Le plateau briard fut jadis couvert de forêts verdoyantes où abondaient le sanglier et le bandit. Le progrès a rasé les arbres, lancé les tracteurs sur la glaise et les agriculteurs sur les primes de Bruxelles. Terre gorgée de nitrates, farcie de pesticides, formatée par la chimie au nom du sacro-saint rendement. Terre forcée à produire comme ces chiennes que l’on accouple quatre fois par an pour en vendre les petits,sans jamais leur laisser le temps de se reposer, de respirer. Terre gavée de perlimpinpins scientifiques, à qui l’on interdit les papillons – danger chenilles — le coquelicot – danger manque à gagner – le campagnol – danger racines brisées. Le paysan savait chaque motte de sa parcelle, l’agriculteur ausculte chaque ligne de sa comptabilité. (20 /21)
"Cadmos est le frère d'Europe, l'une des innombrables conquêtes de Zeus. Le dieu, cette fois, prit l'allure d'un taureau doux comme un agneau. La jeune princesse eut trop envie de monter sur son dos. Aussitôt, le gentil animal l'emmène jusqu'à Gortyne, en Crète, et la viole. Mais Cadmos ignorait l'identité du ravisseur. Eut-il su qu'il s'agissait du roi des dieux, il n'aurait pas certainement pas pris la peine de le poursuivre pour sauver sa soeur. "
J'ai voyagé, j'ai écrit, je me suis apaisée.
Le spectre de la mort et de la bande Velpeau ne m'a pas détourné du grandissime projet qui me lance en ce dimanche de canicule - nous sommes en 2004 - sur les routes goudronnées de France : j'ai soixante ans, je vais faire le tour des copains un peu partout et nous allons fêter dignement l'évènement. (...) En bref j'ai fixé chaque rendez-vous avec une exigence précise : "je veux une cuite et un gâteau."
A la campagne, où les joies sont plus saines, les cinémas plus rares, et les curés plus autoritaires, la femme est encore faite pour se marier, porter des jupes et fabriquer des enfants. Quand elle se promène sur une moto, ce n'est plus une femme. C'est autre chose. Quoi? On ne sait pas au juste... Un être à moteur, une erreur de la nature.
Autrefois, les numéros de téléphone commençaient par "Jasmin", "Passy", ou "Opéra". Chaque fois que je tournais mon cadran, il se formait une image, une odeur, une musique. Un petit monde. Maintenant je compose froidement 073, ou 727. Dans vingt ans, on s'appellera par son numéro de sécurité sociale : 22.03.44, passe-moi le sel ! À quoi ça sert les images ? on ne rêve plus, on est précis, on a enlevé les plateformes des autobus, tant pis pour la brise de printemps ; les rémouleurs et leurs clochettes ont disparu ; dans ma rue, les enfants ne jouent plus aux billes sur le trottoir ; il n'y a plus de bateaux en papier dans les caniveaux.
Nous continuons à discuter, épuisant tous les sujets que l'on peut traiter en agitant les mains. Non, je ne suis pas mariée. Je ne t'épouse pas, tu es musulman, et moi, je suis protestante. Et puis mon papa ne serait pas content. L'autorité du papa est un argument de poids, en Orient. On arrive à se sortir presque de tous les problèmes en disant : "Papa ne veut pas". Même si l'on a trente ans , et des valises sous les yeux en guise de candeur.
Si la peur a une mère c’est l’imagination. Elle met en garde quand elle est raisonnable, elle terrorise le reste du temps.
Je continue à me demander pourquoi les gens sont tellement gentils dans ce pays. En règle générale, l’hospitalité croît en fonction contraire du niveau de vie. Le Canada est la preuve par huit millions d’habitants qu’il n’y a pas de loi qui ne puisse se contredire.
Dès que l’on commence à juger un individu sur ce qu’il fait, au lieu de ce qu’il est, le racisme est là. Et j’ai bien peur que l’on soit toujours le bougnoule de quelqu’un
Serpent d’or, serpent d’argent, nous flottons entre les étoiles. Où est le temps ? L’avant, l’après n’existent plus là où règne l’infini. Nous, nous aimons parce que nous sommes ; il en était ainsi lorsque nous nous trouvions parmi les mortels ; aveuglés par le bonheur, nous ne le savions pas.
L'Orient est revenu, avec ses couleurs, son odeur forte et tenace, son brouhaha et son désordre. L'Orient hors du temps, où les mêmes sous sont tendus d'un même geste, recueillis dans les mêmes escarcelles, en échange des mêmes légumes, tissus, ou paniers qu'autrefois. Où les êtres se meuvent dans leur monde à eux, avec la souplesse, la noblesse, l'aisance que donne l'habitude des siècles. Si j'avais vu Shinjuku un peu plus souvent, j'aurais peut-être aimé le Japon. Si Si je n'avais vu que Shinjuku, j'aurais adoré le Japon. Peut-être n'ai-je pas eu de chance.
Le fantôme ricanant de Newton, sa loi sur la chute des corps via l’attraction terrestre m’attendaient au milieu de nulle part, sur un pont.
Passés un certain nombre de kilomètres, l’obsession me quitte au profit d’un certain état de fatigue, délicieuse et totale, que seule la tendresse pourrait ramener à son point de départ. Mais, Dieu merci, les hommes ne connaissent plus ce sentiment, ce qui fait que je peux voyager vertueusement, et me reposer aux étapes.
Ils parlent farsi, moi français, nous inventons l’esperanto. Mekanik kaputt.
Je m’arrête, ahurie par tant de beauté. Les chameaux (ce sont des dromadaires) avancent de leur long pas souple. Au balancement de leur cou répond la vague des longues jupes pourpres. La caravane passe devant moi, je n’existe pas, ils ne me voient pas, ils sont rois en leur pays, je suis une intruse.
Un jour la terre entrera en combustion, et alors ? À quoi auront servi l'art, l'intelligence, la science ? Pas de réponse logique. La seule qui me semble acceptable réside en un seul mot : le plaisir. J'ai du plaisir à penser, à apprendre, à écrire, à partager, à vivre. J'ai dû plaisir à me promener sur ma moto et a vieillir. Si seulement il n'y avait pas cette fichue goutte d'eau.
Mai 68
Je me suis acheté une moto. Enfin presque. Une 50cm3 Honda, qui ressemblait à une moto. Mais comme je n’avais aucun permis, la loi exigeait qu’elle soit équipée d’un changement de vitesses au guidon et, pour la démarrer, il fallait pédaler. Quand septembre est arrivé, je suis partie en vacances sur ma presque moto. Et j’ai été heureuse.
Comment peut-on arriver à se perdre quand il n’y a que trois rues? J’y parviens amplement, demande mon chemin, sème la panique, pensez, une vieille sur une grosse et vieille moto, on n’a jamais vu ça par ici! Demain, tout le monde arrête le pastis.