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Citations de Anne Lehoërff (120)


Certains lieux semblent avoir joué un rôle particulier de rassemblements réguliers de populations, pour certaines éloignées. Elles ont donc dû voyager pour s'y rendre. Ces endroits à part ponctuent les découvertes archéologiques et fascinent, sans qu'il soit toujours possible de leur donner un sen : Lascaux, Pont d'Arc, Stonehenge, Carnac, les roches portant des gravures rupestres dans les Alpes ou en Scandinavie, etc. Ces monuments soulignent une mise en commun des forces pour les construire, une répétition des réalisations qui les inscrit dans la durée. Ils étaient donc connus, localement, mais également en dehors du périmètre immédiat de leur visibilité dans le paysage. Le voyage des hommes vers ces destinations doit être conçu en deux temps : celui de leurs déplacements pour la construction (mégalithes) et celui des rassemblements ultérieurs. Ces sites étaient suffisamment importants pour qu'ils aient constitué des destinations précises, des centres possibles de pèlerinage où l'on se rend dans un but particulier, au terme d'un voyage dont nous ignorons la durée.
p. 254
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Pourtant, à bien considérer l'histoire des différentes implantations et des mobilités humaines, force est de constater que les principales catégories de motivations sont similaires depuis des millénaires : s'approvisionner, et plus largement se nourrir, se protéger et se soigner, échanger ou acquérir des biens, se rencontrer pacifiquement ou belliqueusement, accomplir des rituels. Il faut sans doute ajouter : connaître. De manière schématique, on peut distinguer deux ensembles : d'une part le nécessaire et, d'autre part, ce qui n'est pas strictement vital, mais qui peut apparaître comme tel aux yeux des sociétés concernées. La seconde catégorie semble beaucoup plus importante que la première, et elle intervient très tôt dans l'histoire humaine et le déplacement des individus.
Le nomadisme de l'homme du Paléolithique est, en partie au moins, motivé par une recherche de nourriture. Il suit donc les troupeaux et s'installe dans des zones favorables. Mais la saisonnalité de ses campements ne semble pas répondre uniquement à des logiques alimentaires. La transformation de l'esprit chez Neandertal d'abord, puis Homo sapiens accompagne leur histoire.
p. 253
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Le « menhir » est le plus simple des monuments de pierre dressés par les populations néolithiques de l'Europe. L'étymologie du terme vient du Breton men [pierre] et hir [longue]. Il est proposé en 1792 par La Tour d'Auvergne-Corret pour prendre le relais d'un terme local et populaire “peulvan”, dont l'étymologie bretonne, peul/ paol [pilier] et maen/man/van, [pierre], était plus juste puisque ces pierres sont effectivement dressées comme des piliers.
p. 193
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La prise en charge des défunts par les vivants est donc un signe fort d'organisation et de cohésion sociales. Les traces les plus anciennes de tels actes en Europe remontent au Paléolithique, dès Neandertal et les premiers Homo sapiens, soulignant ainsi la réalité précoce d'une conscience d'autrui et de sa place dans le groupe, jusque dans la mort. Au Mésolithique, certains regroupements de tombes signent une nouvelle étape.
Le début du Néolithique marque un double changement dans le domaine des pratiques funéraires : premièrement, la documentation est plus abondante, plus visible, au moins dans certaines sociétés, et il devient donc moins délicat aux paléoanthropologues de proposer quelques règles dès lors que les situations — et les rituels — se répètent, signifiant ainsi des choix et non des résultats aléatoires ; secondement, les questions funéraires intègrent pleinement les nouvelles logiques territoriales par l'attribution d'espaces dont les morts sont exclus et d'autres qui leur sont dédiés, avec des variations selon l'identité du défunt. L'homme qui va labourer son champ pour y semer du blé n'y enterre pas ses morts. L'organisation des espaces agricoles se fait en parallèle d'une organisation spatiale plus large et spécialisée selon les domaines, de vie, de culture, de prière, funéraire. Aucun schéma unique et uniformisé ne saurait être proposé. Les données archéologiques montrent à la fois des nécropoles au sens plein dès le début du Néolithique, mais également des pratiques de dépôt des corps dans des environnements différents, y compris au sein de la maisonnée dans certaines situations.
p. 170
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(-5000/-2500 ENVIRON)
La « Révolution » néolithique ne saurait se résumer à la naissance de l'agriculture. À compter des débuts de cette première période de la Protohistoire, les sociétés européennes affirment leur identité sociale, culturelle et territoriale, dans le temps et dans l'espace. Au sein d'un nouveau monde économique et de subsistance qui a conduit à une augmentation démographique, elles semblent avoir choisi des solutions propres, à des échelles spatiales plus restreintes, sans négliger pour autant les échanges à longue distance. Cette affirmation identitaire, visible dans les productions matérielles, l'est également dans un domaine sensible et universel, celui de la mort : les hommes du Néolithique ont fait des choix spécifiques, évolutifs, que les chercheurs spécialistes d'archéologie funéraire scrutent avec attention.
p. 149
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PRÉHISTOIRES D'EUROPE
Dans le processus de sédentarisation qui accompagne la mise en place d'une économie agro-pastorale, l'homme fait un choix décisif, individuellement et collectivement.
Il se « domestique » lui-même socialement en créant la maison en même temps que l'agriculture. En Europe, les maisons les plus anciennes et les mieux connues sont celles du Rubané (plusieurs milliers d'exemplaires répertoriés). Dans ce modèle, ces bâtisses ne sont pas des fermes isolées mais les composantes d'un ensemble organisé, le village, dans sa définition la plus large : un rassemblement d'habitations dans le cadre d'activités agricoles majoritaires. La mise en place de l'économie agro-pastorale va donc de pair avec le développement d'un modèle social incluant une dimension collective. Il faut y imaginer des temps qui rassemblent la communauté, liés à la vie quotidienne, au calendrier des activités et cérémonies, aux disparitions de ses membres. Avec la seule documentation archéologique, il est pratiquement impossible de restituer ces pratiques, immatérielles pour l'essentiel. L'analyse des villages ne met pas en avant l'existence de lieux particuliers consacrés spécifiquement à des cérémonies cultuelles. Les variations entre les maisons soulignent des différences entre les individus, peut-être également dans les usages. Il n'est pas exclu que les bâtiments les plus grands aient pu remplir aussi d'autres fonctions — sociales et cultuelles — que celles de la vie domestique.
Si la maison constitue l'unité de base, le village incarne en quelque sorte le deuxième cercle dans un modèle d'organisation territoriale où les espaces agricoles constitueraient le troisième cercle. La localisation du village dans le terroir et ses limites externes sont ici essentielles. Les villages rubanés sont le plus souvent ouverts, sans palissade ou fossé périphérique séparant le territoire de vie de celui des cultures.
p. 140
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Un autre mot-clef est d'ailleurs récurrent dans les travaux sur les débuts du Néolithique : celui de “sacré”. Bien évidemment, l'homme du Néolithique ne s'est pas réveillé un beau matin sensible au sacré, croyant. Cette dimension est présente, on l'a vu, chez notre ancêtre direct, Homo sapiens mais aussi chez Néandertal. Les grottes ornées, par exemple, attestent l'existence d'un système de croyances durant le Paléolithique. Au début du Néolithique, une multiplication de signes, de réalisations, a invité certains chercheurs à envisager une « révolution des symboles », comme Jacques Cauvin (1930-2001) dans ses travaux sur le Proche-Orient. Ses analyses reposent sur un rapprochement entre l'agriculture et les divinités féminines ou masculines qui en accompagnent le développement. Ainsi, les figurines féminines et celles, en Orient, du taureau, dotés d'organes sexuels très marqués, seraient pour ce chercheur à rapprocher d'un symbolisme de la fertilité. Ce changement cultuel et psychique aurait des répercussions directes sur les cadres sociaux. La place des facteurs religieux comme déclencheur de la néolithisation est aujourd'hui revue à la baisse, tout au moins dans ces termes. Les représentations féminines fortement sexuées sont bien antérieures au phénomène, telles les statuettes gravettiennes ou celles de la période du Natoufien (-12 500/-10 000 environ) au Proche-Orient. L'importance des processus cognitifs reste privilégiée dans les travaux sur les débuts du Néolithique oriental et européen, mais au sein de schémas explicatifs plus nuancés et complexes. Ces signes de religiosité liés à la fertilité accompagnent la néolithisation et non la précèdent. Quant aux mutations sociales, elles paraissent indéniables et sont le fruit de l'ensemble des changements que la mise en place d'un monde paysan provoque.
Le « pourquoi », ne saurait donc souffrir une seule réponse. C'est une convergence de facteurs (environnementaux, climatiques, économiques, démographiques, socio-culturels, techniques), réunis en un lieu, en un temps, qui a abouti à la naissance de l'agriculture selon des modèles différents selon les régions du monde. Il n'en reste pas moins vrai que, même lent, progressif et « arythmique », pour reprendre l'heureux qualificatif de Jean Guilaine (né en 1936), la révolution néolithique est bel et bien une « Révolution » dans l'histoire de l'humanité.
p. 123
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En 1960, l'Américain Robert Braidwood (1907- 2003) fut l'un des premiers scientifiques à oser la thèse de la mutation culturelle, dans un article court mais décisif : l'adoption de l'agriculture doit être comprise dans le cadre d'un développement intellectuel de l'espèce humaine et culturelle des sociétés. La néolithisation intervient donc à des dates variées, lorsque les hommes sont prêts à s'y impliquer. Dans ce modèle, l'homme est le moteur premier du processus et sa volonté est déterminante. Cette dernière l'emporte sur toute autre forme de contrainte « naturelle ». Il n'est plus question de subir, mais d'agir et de choisir. L'homme cherche à se mettre en position dominante par rapport à son environnement et à contrôler ce qui est possible de l'être, dans une nature assujettie à ses besoins. S'il ne peut tout soumettre à sa seule volonté (les aléas du climat par exemple), il tend désormais à entreprendre et à réserver son énergie en vue d'obtenir des résultats au plus près de ses attentes. La thèse se place dans le contexte intellectuel des débats sur le déterminisme en géographie humaine : la destinée humaine, ses choix d'implantations spatiaux sont-ils déterminés par son environnement, ou non ? La néolithisation et la dualité homme/milieux qu'elle intègre se prête parfaitement à ce questionnement.
On considère aujourd'hui que c'est là une donnée essentielle pour comprendre le choix mondial de l'agriculture et une donnée valide pour tout changement majeur d'ordre technique. Rien n'est envisageable hors de la volonté humaine, d'une maturité sociale et culturelle qui se prête au changement, qui, à son tour, modifie les cadres sociaux, économiques, techniques, cultuels, etc. des individus.
p. 122
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Un certain nombre de faits analogues commencent à venir au jour, concernant d'autres agriculteurs primitifs de par le monde. On conclura négativement, et donc prudemment : les chasseurs-collecteurs ne consacrent pas plus de temps à se procurer leur nourriture que les agriculteurs primitifs. Extrapolant de l'ethnographie à la préhistoire, on peut dire du néolithique ce que John Stuart Mill disait de tous les procédés tendant à économiser le travail : rien de ce qu'on a pu inventer dans ce domaine n'a jamais fait gagner une minute à personne. Le néolithique n'a accompli aucun progrès par rapport au paléolithique en ce qui concerne le temps nécessaire par personne à la production alimentaire ; et on peut même supposer qu'avec l'avènement de l'agriculture, les hommes se sont vus contraints de travailler davantage. »
p. 119
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PRÉHISTOIRES D'EUROPE
« Marshall Sahlins Né en 1930 aux États-Unis, Marshall Sahlins est l'une des figures emblématiques de l'anthropologie contemporaine. Aujourd'hui Professeur honoraire à l'université de Chicago, il occupe le devant de la scène de l'anthropologie économique et culturelle dès la publication de son ouvrage Âge de pierre, âge d'abondance (1972 pour la version originale, 1976 pour la traduction française). Il y aborde la question de l'économie des sociétés primitives et de son statut. L'auteur s'attaque à une idée reçue, celle du monde impitoyable des chasseurs-cueilleurs, systématiquement envisagés comme des êtres soumis à un approvisionnement aléatoire et laborieux de leurs denrées alimentaires. Par une étude anthropologique sur des sociétés contemporaines (en Nouvelle-Guinée, en Afrique, chez les Eskimos, etc.), il met en avant, par différents calculs, que le temps passé par un chasseur-cueilleur à acquérir sa nourriture était bien inférieur à celui que le paysan devait consacrer à la réussite de ses cultures et de son élevage. Alors proche des thèses marxistes, il entend ainsi démontrer que la société des chasseurs n'est pas une société du dénuement mais au contraire, une société de l'abondance. Celle-ci repose en particulier sur une production et une consommation en fonction de besoins réels et non artificiellement provoqués. Le débat est ainsi relancé entre « raison utilitaire » et « raison culturelle » développées par le structuralisme, en résumé entre matérialistes et idéalistes. Sahlins conclut que la détermination des besoins relève avant tout de la culture. Cet ouvrage, en abordant la question de la subsistance des sociétés primitives, toucha directement l'archéologie, en particulier du Paléolithique et du Néolithique, de manière concrète et via sa matérialité. Au centre des débats, une interrogation clef: la naissance du monde agricole était-il un signe de progrès ou d'avilissement de l'homme ?
Aujourd'hui, les réponses des archéologues à cette abrupte et dérangeante question ont pris des chemins variés et multiformes, à l'image de la documentation elle-même. Marshall Sahlins a continué à explorer d'autres champs de l'anthropologie culturelle, en particulier la question de l'acculturation, de l'importance de la culture sur les actions et leurs perceptions. »
p. 118
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Pourquoi l'agriculture ?
Cette question, marginale il y a un siècle, est devenue centrale dans les recherches à partir des années 1970. En 1972, l'ouvrage de l'anthropologue Marshall Sahlins, « Stone Age Economics, » traduit en français sous le titre « Âge de pierre, âge d'abondance », eut en particulier des conséquences non seulement en anthropologie, mais également en archéologie, et tout particulièrement dans les travaux relatifs au Néolithique.
Avec cette démonstration, il devenait légitime de ne plus considérer la naissance de l'agriculture comme une inéluctable amélioration des conditions de vie. Plus encore, on pouvait se demander pourquoi l'homme s'était-il lui-même condamné à travailler plus... On comprend que les archéologues de l'époque aient été touchés — et parfois séduits — par cette thèse qui alimenta fortement les débats. Les termes de la réflexion ont aujourd'hui changé mais les interrogations sur les motivations de l'introduction de l'agriculture restent d'actualité.
Était-ce par nécessité, sous la pression de contraintes extérieures ? Ou bien, était-ce un choix volontaire, mais sans doute dénué d'une prise de conscience de toutes les conséquences induites ? La néolithisation a-t-elle été dictée par la nature ou, au contraire, l'homme est-il le premier acteur de cette mutation ? Les explications avancées par les chercheurs depuis plus de quarante ans sont multiples. Elles restent nécessairement dans le domaine des hypothèses pour ces sociétés dont les motivations profondes apparaissent difficiles à appréhender au travers de la seule documentation archéologique.
p. 117
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Temps et espaces nouveaux
L'implication de l'homme dans le contrôle des cycles biologiques des espèces a des répercussions multiples, induites, qui s'inscrivent sur le long terme dans deux directions : le temps et l'espace. En effet, dès lors qu'il intervient directement dans la vie de la nature, l'homme entre dans une temporalité nouvelle, quotidienne et annuelle. Celle du chasseur est globalement organisée sur le temps de l'immédiateté, même s'il a en tête un calendrier articulé sur les saisons et qu'il peut se projeter dans une action future à réaliser à un moment précis. Il réalise une chasse, une cueillette et il consomme rapidement l'essentiel du produit de sa collecte. Marginalement, il peut boucaner ou fumer une viande, sécher des fruits, mais il va le plus souvent préférer une nouvelle chasse à une conservation de longue durée. Son mode de vie ne l'invite guère à garder de grandes quantités car le chasseur-cueilleur est pour l'essentiel nomade, ou semi-nomade, et peut donc difficilement transporter une trop importante réserve de nourriture au long de ses trajets. Son temps de vie s'inscrit pour l'essentiel dans la répétition de ces actions de courte durée. Pour utiliser une image très contemporaine, la chasse prénéolithique ressemble un peu aux courses de produits frais au marché aujourd'hui, faites en vue d'une utilisation très rapide des denrées.
L'agriculteur adopte un autre raisonnement et vit dans un rapport au temps différent : il planifie ses activités en fonction des cycles des espèces qu'il domestique ; il anticipe le fait que son calendrier est constitué de temps forts et de moments creux, mais aussi d'une quantité variable de telle ou telle denrée.
p. 112
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Toutefois, la cohabitation étroite nécessaire au contrôle des cycles et à l'obtention des denrées a aussi entraîné la transmission de certaines maladies animales à l'homme. Des pathologies liées au travail de la terre ou à certains artisanats voient le jour à ce moment-là. Les études anthropologiques sur les squelettes révèlent des problèmes d'arthrose, de déformations dues à de mauvaises postures ou à des efforts répétés. L'étude de la dentition des premières populations néolithiques met en évidence l'apparition des caries, semble-t-il inconnues des chasseurs-cueilleurs préservés par leur régime alimentaire dépourvu de sucres rapides et de purées. Globalement mieux nourri et plus confortablement installé, le paysan s'est lui-même exposé à des virus et bactéries qui l'ont aussi fragilisé. La naissance du monde agricole est loin de se présenter comme une simple opération de changement d'un monde vers un autre.
p. 112
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PRÉHISTOIRES D'EUROPE
La néolithisation introduit un rapport nouveau entre l'homme et son environnement. Le chasseur-cueilleur s'adapte à son milieu et aux biens qu'il lui procure. Pour préserver ceux-ci, il lui faut concevoir une bonne gestion des ressources naturelles. Ainsi, sauf accident, il ne tue pas les femelles pendant la période de gestation ou n'arrache pas en totalité des plantes qui ne seraient pas en mesure de se renouveler l'année suivante. Il connaît donc très bien les cycles, mais il n'interfère pas sur leur déroulement et les lieux de vie des plantes ou des animaux. Sans être passif, il n'opère qu'une action limitée sur son environnement. En revanche, l'agriculteur exerce une action forte sur le milieu qu'il cherche à dominer, à soumettre à ses pratiques. Au fil du temps, l'agriculture au sens large — sylviculture comprise — a supprimé toute forme d'espace “naturel” en Europe occidentale, y compris dans les lieux qui sembleraient “sauvages” aux yeux du promeneur contemporain. La main de l'homme a transformé en profondeur les paysages, dans le cadre d'une relation complexe. Il a également donné naissance à des espèces nouvelles, créées artificiellement par sa main, au terme de son travail de domestication sur les plantes et les animaux sauvages.
Les recherches actuelles sur des espèces hybrides et des croisements variés sont un prolongement très contemporain d'une action entamée par l'homme il y a des millénaires. Ce serait toutefois une erreur de ne voir qu'une direction dans le mouvement lancé par la néolithisation. La naissance du monde agricole n'est pas synonyme d'un simple basculement entre l'homme dominé par la nature vers une nature dominée par l'homme.
Tout d'abord, on le voit aujourd'hui encore, certaines données ne peuvent pas être réellement soumises au contrôle humain, du moins sur le très court terme. Impossible pour lui d'agir sur des températures, sur un hiver trop rigoureux, ou sur une canicule préjudiciable aux récoltes. Il subit donc un certain nombre d'aléas dont l'ampleur et la durée lui échappent. Sa “domination” n'est jamais totale.
p. 110
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L'ENVIRONNEMENT DES HOMMES DE LA PRÉHISTOIRE
Des cycles sur la longue durée
L'histoire des milieux et des paysages s'inscrit dans la très longue durée. Les discours écologiques du début du XXIe siècle évoquent en général les changements climatiques, mais sans que l'on mesure parfois l'intensité des transformations depuis les premiers hommes (sans parler de l'histoire de la Terre), y compris au sein de l'Europe actuelle. Si “la pluie et le beau temps” restent des thèmes légers de conversations quotidiennes encore aujourd'hui, il fut des époques où le sujet se posa dans des termes plus délicats.
L'histoire de l'homme se concentre sur une période récente à l'échelle des temps géologiques, le Quaternaire. Le terme fut choisi en 1829 par le Français Jules Desnoyers (1800-1887) pour désigner stratigraphiquement des dépôts situés au-dessus de couches du Tertiaire (et donc plus récents). Le terme fut conservé et le concept affiné au cours du 'axe siècle, alors que les premiers hommes préhistoriques commençaient à être découverts.
[...]
Le Quaternaire est une longue ère au sein de laquelle se succèdent des cycles climatiques où alternent périodes froides et périodes chaudes (comme celle dans laquelle nous vivons actuellement). À l'intérieur de ces mouvements, des oscillations de moindre ampleur sont perceptibles. Ces variations sont à relier avec l'itinéraire de la Terre autour du Soleil, qui ne suit pas toujours un tracé bien circulaire, mais plutôt un trajet avec quelques écarts cycliques qui conduisent certaines régions à recevoir plus ou moins de chaleur ou de froid. Elles peuvent également avoir des origines catastrophiques comme, par exemple, l'éruption du volcan Toba (Sumatra, Indonésie), intervenu vers -75 000, qui est à l'origine d'un hiver volcanique d'une dizaine d'années, suivi d'un fort refroidissement global durant un millénaire environ. Depuis 800 000 ans environ (le Pleistocène moyen, puis le Pleistocène supérieur, puis l'Holocène) sept grandes phases froides et chaudes se sont succédé ...
p. 91
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L'homme de la fin du Paléolithique paraît, en moyenne, en meilleure santé que les populations les plus modestes du Moyen Âge en France !
p. 83
L'homme de la Préhistoire, en particulier à partir du Paléolithique supérieur*, a porté attention aux siens.
p. 85
* (+/- 45 000 ans)
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Celui qui frappe le silex sait, dès le départ, à quel résultat il veut arriver et selon quels gestes. Pour parvenir à son résultat, il prépare donc un « nucleus », sorte d'ébauche, à partir duquel il réalise toute une série d'opérations de débitage. Ce processus complexe d'anticipation laisse entrevoir des qualités cognitives chez Néandertal, bien éloignées du caractère primaire qu'on lui a parfois supposé au regard de son physique, jugé si peu esthétique par l'homme d'aujourd'hui. Sur une courte période, il y a 35 000 ans environ, et jusqu'à sa disparition quelques millénaires plus tard, il délaisse quelque peu, en France du Sud-Ouest, les techniques Levallois de production d'éclats au profit d'une autre, dite « châtelperronienne » du nom du site éponyme de Châtelperron (Allier), qui recherche la production d'éclats allongés, les lames.
Les analyses chimiques des os révèlent un régime alimentaire essentiellement carné, tandis que celles de ses dents démontrent que les caries ne faisaient pas partie de ses maux. Ces derniers étaient constitués de pathologies liées au squelette et au mode de vie, telles des fractures, et aux problèmes articulaires, telle l'arthrose. La consommation de fruits et de légumes était réservée aux périodes estivales, en dehors de quelques oléagineux, comme la noisette.
p. 67
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Dès 1863, Charles Lyell (1797-1875), soutien de Boucher de Perthes et ami de Charles Darwin, proposa à son tour un ouvrage, qui fut aussitôt traduit en français, Geological Evidence of the Antiquity ofMan with Remarks on Theories of the Origin of Species 10, Variation. Il offrait la synthèse entre les propositions relevant des sciences de la vie et celles des sciences de la terre. Les 4 000 années de la Bible semblaient désormais quelque peu étroites pour contenir cette longue histoire de l'homme.
p. 59
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Fascinantes, les créatures imaginaires des Celtes sont loin d'avoir livré tous leurs secrets aux chercheurs. À cette époque, comme durant celles qui précèdent, l'homme, l'animal, le végétal et le divin ou le fantastique cohabitent étroitement dans un système qui ne distingue pas, d'un côté, le laïc, et, de l'autre, le religieux. Ces créations de la seconde moitié du 1er millénaire ont parfois été improprement baptisées de « monstres ». Ce terme, s'il rend compte de leur dimension imaginaire, l'associe à un répertoire chrétien plus tardif et renvoie à une notion négative, de peur, dont on ignore la réalité.
p. 40
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1. CONCEVOIR ET REPRÉSENTER LA PREMIÈRE EUROPE
LE LANGAGE PALÉOLITHIQUE
« La plus longue partie de l'évolution de l'Homo-sapiens s'est déroulé dans des formes de pensée qui nous sont devenues étrangères alors qu'elles restent sous-jacentes à une part importante de nos comportements. Alors que nous vivons dans la pratique d'un seul langage, dont les sons s'inscrivent dans une écriture qui leur est associée, nous concevons avec peine la possibilité d'un mode d'expression où la pensée dispose graphiquement d'une organisation en quelque sorte rayonnante. L'un des faits les plus frappants dans l'étude de l'art paléolithique est l'organisation des figures sur les parois des cavernes. Le nombre des espèces animales représentées est peu élevé et leurs rapports topographiques sont constants: bison et cheval occupent le centre des panneaux, bouquetins et cerfs les encadrent sur les bords, lions et rhinocéros se situent à la périphérie. Le même thème peut se répéter plusieurs fois dans la même caverne: il se retrouve, identique malgré ses variantes, d'une caverne à l'autre. Il s'agit bien, par conséquent, d'autre chose que d'une représentation accidentelle d'animaux de chasse, d'autre chose aussi que d'une « écriture », d'autre chose encore que de « tableaux ». Derrière l'assemblage symbolique des figures a forcément existé un contexte oral avec lequel l'assemblage symbolique était coordonné et dont il reproduit spatialement les valeurs. [...]
Si donc l'art est intimement lié à la religion, c'est parce que l'expression graphique restitue au langage la dimension de l'inexprimable, la possibilité de multiplier les dimensions du fait dans des symboles visuels instantané-ment accessibles. La liaison fondamentale de l'art et de la religion est émotionnelle, mais elle ne l'est pas de manière vague, elle tient étroitement à la conquête d'un mode d'ex-pression qui restitue la véritable situation de l'homme dans un cosmos où il s'inscrit comme centre et qu'il ne tente pas encore de percer par le trait d'un raisonnement où les lettres font de la pensée une ligne pénétrante, de longue portée, mais mince comme un fil.»
André Leroi-Gourhan, « Le geste et la parole ».
p. 19
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