AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de Anne Lehoërff (120)


Pour subvenir aux besoins de tels troupeaux, il faut des prairies et du fourrage durant les mois d'hiver. De grandes superficies en herbe étaient donc nécessaires à l'entretien du cheptel et à son augmentation croissante à la fin du second Âge du fer. Cette intensification de l'élevage, par la création de conditions favorables, entraîne l'accroissement progressif de la taille des animaux domestiques. Par l'étude des restes osseux (archéozoologie), on peut avoir une idée de la gestion du troupeau : choix des espèces, âges d'abattage, pratiques de boucherie... Les données sont différentes sur les sites de fermes et dans les villes. Un déficit dans les campagnes de certaines catégories d'âge (les jeunes bêtes à la viande tendre), ou certaines parties d'animaux (les os longs des pattes arrière du cochon qui portent le jambon), atteste l'exportation de toute une partie de la production.
p. 493
Commenter  J’apprécie          00
Le parcellaire de l'Âge du fer est aujourd'hui une réalité identifiée dans une large partie de l'Europe, depuis la Scandinavie jusqu'à la Méditerranée. Ainsi, a-t-on pu établir que l'Europe du Nord-ouest est couverte, sur de très grandes surfaces, de parcellaires que l'on parvient à cartographier. Dans le Bassin parisien, le nord de la France, le sud de l'Angleterre, les parcelles fossiles, qui se succèdent parfois sur des chronologies très fines, démontrent l'existence d'aménagements de fossés, de talus pour structurer les espaces cultivés. La Bretagne, en revanche, contrairement aux idées reçues pendant de nombreuses années, est un espace ouvert, le bocage étant une création de l'époque moderne. Partout, des chemins et des voies permettent la circulation des hommes, des bêtes et des produits. Les paysages de la fin du Ier millénaire étaient donc très organisés, bien aménagés, propices à une exploitation agricole intensive. On comprend leur attractivité pour les Romains ! En outre, ironie de l'histoire, le réseau viaire celtique, très étendu, a même facilité la progression des troupes romaines...
p. 483
Commenter  J’apprécie          00
Les paysages
Au terme des longs siècles de la Protohistoire, le cadre de vie d'aujourd'hui se fixe au cours de la période “laténienne*”. C'est la naissance de la campagne que nous connaissons. Les derniers défrichements interviennent à la fin du Ier millénaire. Les paysages, déjà très transformés par l'homme au cours du Néolithique et de l'Âge du bronze, n'ont désormais plus rien de “naturel”. L'empreinte humaine est partout, qu'il s'agisse de son intervention dans les espaces cultivés, les pâturages et même les espaces forestiers qu'il investit largement. Les campagnes sont donc des espaces très anthropisés et fortement aménagés. Ce visage de l'Europe fut longtemps ignoré, masqué par une image erronée, héritée des sources textuelles antiques mal interprétées, et privées de données archéologiques qui auraient pu les infirmer.
(-500 ans av. JC)
p. 481
Commenter  J’apprécie          00
Parmi les légendes tenaces sur les “Gaulois”, il en est une qui domine, encore une fois largement tributaire des écrits de César et plus généralement des auteurs antiques, celle de leur vie dans des huttes rudimentaires, perdues dans des forêts profondes et sauvages. L'origine de ces propos est double : tout d'abord, le monde celtique, à la veille de la conquête romaine, était sans doute complexe à appréhender pour un homme venu de Rome ou d'Athènes dans la mesure où les codes y étaient bien différents des siens ; ensuite, cette approche était stratégique, motivée par des intérêts de conquête qui n'impliquaient pas le souci de décrire, de comprendre et d'admettre l'existence de sociétés différentes mais respectables.
Si les manuels scolaires ont longtemps véhiculé cette image erronée, les ouvrages actuels tentent de rétablir une vérité mieux connue, grâce à l'archéologie : celles de populations de paysans, installés dans des espaces majoritairement mis en culture, vivants dans des fermes qui n'ont rien à envier à celles du Moyen Âge, qui ont développé un modèle urbain différent de celui de “l'urbs”, qui ont su s'appuyer sur une économie dynamique, nourrie par un artisanat d'excellence et des réseaux performants d'échanges.
Les terres s'étendant du Danube à Ouessant ou du Rhône aux Highlands, que les Romains finirent par conquérir en partie, auraient pu poursuivre leur histoire selon leurs propres choix : enracinés dans un passé lointain, ayant évolué au fil des siècles, à la fois capables d'affirmer leurs modèles et d'être ouverts à d'autres horizons que les leurs. Aucun peuple celte n'avait “besoin” des Romains et cette invasion militaire n'était nullement programmée dans une destinée « naturelle », qui a longtemps alimenté une histoire téléologique de l'Europe occidentale. À la veille de changements aux conséquences durables pour eux, il convient de « rendre aux Celtes ce qui appartient aux Celtes » de la toute fin du Ier millénaire, en matière d'habitat, d'artisanat ou d'économie.
p. 465 et 67
Commenter  J’apprécie          00
Dans une trilogie sociale, devenue classique dans certains modèles, avec une répartition entre ceux qui combattent, ceux qui travaillent et ceux qui prient, les sociétés celtes ne sont pas en reste. Un personnage y tient même un rôle éminent dans les sources antiques écrites, aussi bien que dans les légendes anciennes ou populaires : le druide. Il n'a guère laissé de traces dans la documentation archéologique et il est aujourd'hui impossible de désigner une tombe comme la dernière demeure de l'un d'entre eux. Sa place et son rôle découlent des récits : César dans la Guerre des Gaules distingue deux classes sociales seulement, les chevaliers et les druides. Il insiste sur leur formation et leur rôle. Il relate leur réunion annuelle dans la forêt des Carnutes dans le Bassin parisien. L'importance des croyances, et sans doute des pratiques rituelles au quotidien, peut laisser penser qu'une catégorie spécifique d'individus a joué un rôle clef dans le dispositif et sa régulation.
p. 457
D'autres cérémonies plus communes et moins violentes ponctuaient la vie des populations, au sein desquelles les druides ont pu exercer leurs fonctions : les festivités liées au calendrier de l'année et des saisons, les temps agricoles, les alliances d'individus et de familles, les temps de la vie. En effet, si les combats occupent le devant de la scène dans les récits ou les tombes, la vie quotidienne était plus pacifique et plus laborieuse. Les druides ont joué un rôle majeur, non seulement au sein des pratiques religieuses, mais plus largement comme guides dans la société.
p. 458
Commenter  J’apprécie          00
La nudité de certains combattants, dans des circonstances particulières, décrite par des auteurs antiques comme Polybe, ne doit pas être trompeuse. Ce n'est pas là le signe d'une quelconque indigence, mais un choix de combat, technique et religieux. Ne porte sans doute pas l'épée qui veut. À travers les récits antiques, apparaissent distinctement différentes catégories d'hommes à la guerre. Il y a ceux qui accompagnent, qui portent ou font du bruit, et ceux qui combattent, eux-mêmes subdivisés en plusieurs groupes. C'est dans cette dernière catégorie, que se trouvent les personnages éminents de la société : les aristocrates.
Le terme recouvre plusieurs réalités : classe des nobles, de l'élite, de ceux qui détiennent le pouvoir. On ne sait sous quel mot précis la frange dominante de la société se désignait. Il ne fait aucun doute qu'elle existait effectivement et qu'aucun modèle social supposé égalitaire ne peut être appliqué aux Celtes. Au sommet de la hiérarchie, des individus, dont on ignore le nombre, le rôle exact et le mode de transmission d'une génération à une autre, disposaient d'un pouvoir décisionnaire particulier.
p. 456
Commenter  J’apprécie          00
La réalité du guerrier celte ne saurait donc être niée. Sa panoplie est composée d'armes très efficaces, offensives comme défensives. La fabrication courante d'armes en fer change les possibilités d'équipement des hommes, à la fois quantitativement (on peut produire plus) et qualitativement (le fer est très résistant).
Quelques inventions clefs ont été mises au service du combattant : un système de suspension de l'épée par une chaîne articulée assure sa mobilité et garantit la liberté de mouvements de son utilisateur ; “l'umbo de métal” fixé sur le bois permet la fabrication de grands boucliers ovales de protection ; la multiplication de petits anneaux métalliques en fer fixés entre eux donne naissance à la cotte de mailles, qui protège, tout en conférant également une mobilité que les cuirasses rigides plus anciennes (métalliques ou en cuir) limitaient. Des armes plus traditionnelles subsistent, mais adaptées …
p. 455
Commenter  J’apprécie          00
ÊTRE CELTE
Pour les Celtes, l'équilibre du monde semble reposer sur une harmonie triangulaire, combinant homme/animal/végétation, les dieux associant les trois composantes. Ce répertoire, omniprésent, connaît des évolutions stylistiques au cours du second Âge du fer. Les formes ont tendance à s'alléger entre le IVe et Ie siècle (av. JC), avec des rendus plus épurés alors que, dans le même temps, les figures anthropomorphes se font plus nombreuses. La diversité des registres, leur richesse, ouvrent des perspectives sur les capacités, les manières de concevoir et de représenter le monde des croyances. Les réalisations elles-mêmes attestent des moyens techniques mis en œuvre pour répondre aux besoins de tous les instants, extraordinaires et quotidiens.
p. 453
Commenter  J’apprécie          00
Les actes religieux et leurs représentations
Quatre niveaux d'analyse peuvent être distingués dans le domaine religieux : les gestes, les lieux, le sens que les acteurs leur confèrent et la forme par laquelle ils représentent ces croyances.
Le geste est un acte, par essence, immatériel, qui laisse l'archéologue, interprète de la matérialité, quelque peu démuni. Cette difficulté l'oblige à déployer un ensemble de moyens qui lui permettent, au mieux, à partir des seules données matérielles, de remonter jusqu'à l'acte qui, lui-même, n'a pas laissé de traces. L'archéologue travaille donc sur les conséquences du geste (la trace laissée par un coup) et tente d'en retracer les différentes étapes, enchaînements et temporalités.
Dans le domaine des croyances, l'exercice s'avère particulièrement délicat parce que précisément, la pensée qui guide les actions cultuelles ne laisse aucune trace directe. Les indices mis au jour conduisent à penser que l'on peut isoler un univers complexe de croyances, qui intègrent à la fois des actes de nature religieuse qui s'adressent au monde divin et des pratiques concrètes qui touchent les vivants et les défunts. Ainsi, les actes de violence sur les corps ne doivent pas être considérés comme des actes gratuits, signe d'une quelconque « barbarie » — si tant est que ce terme ait encore un sens aujourd'hui, sauf à être détourné de sa définition première — mais comme un acte motivé par des impératifs d'ordre cultuel, qui n'a pas de place dans nos codes des pratiques considérées comme « acceptables », et dont le détail nous échappe.
p. 450
Commenter  J’apprécie          00
PRÉHISTOIRES D'EUROPE
UNE RICHESSE SANS PRÉCÉDENT ?
L'or blanc
Les sources de richesse au sein des sociétés anciennes sont multiples. Leur valeur tient à la fois à leur nature, à leur rareté, à leurs usages possibles et dès lors qu'ils sont considérés comme essentiels au bon fonctionnement d'une société, dans les codes qu'elle s'est fixés. Le métal, bien sûr, apparaît naturellement au premier plan, car il est resté une denrée précieuse dans le monde contemporain, avec une certaine hiérarchie puisque tous ne se valent pas. Pour le Néolithique, ou même pour les époques plus anciennes, d'autres matériaux sont associables à cette notion de valeur (coquillages, ocre, ambre, certaines roches, etc.). Dans un monde agricole marqué par des surplus et des productions de plus en plus variées, la conservation est non seulement vitale, mais elle peut également être le signe d'une richesse affichée et d'un mode de vie.
Qualifié “d'or blanc” le sel a assuré une place hégémonique à Hallstatt durant plusieurs siècles entre le ville et le ive siècle en Europe continentale. Le sel était alors indispensable à la conservation des aliments et comme complément nutritionnel pour le cheptel. Il devenait stratégique dans un modèle économique de production incluant des surplus conséquents et des échanges nombreux de denrées variées.
p. 382
Commenter  J’apprécie          00
Pour les débuts de l'Âge du bronze, force est de constater des modifications dans les pratiques funéraires, avec ces ensembles individuels très imposants, limités en nombre, riches d'objets nouveaux en liaison avec la métallurgie. L'importance des armes dans les tombes masculines montre une évolution commune des objets produits : hallebardes, poignards courts qui s'allongent pour devenir des épées. Des détails de forme, de décor, de fabrication soulignent des régionalismes, et donc des groupes de populations dont l'identité s'exprime à travers la production d'objets emblématiques. À ce titre, l'armement est une catégorie fonctionnelle clef : le signe d'une domination et d'un contrôle, que ce soit dans le cadre d'une conquête ou d'une défense. Il incarne matériellement le pouvoir de ceux qui le détiennent. Son développement comme catégorie spécifique peut difficilement être concevable sans changements structurels des sociétés qui produisent et utilisent ces armes, destinées à combattre d'autres hommes.
p. 354
Commenter  J’apprécie          00
L'équipement du guerrier du Néolithique semble d'abord être celui d'un archer qui agit en groupe. Son équipement est composé d'un arc, souvent fait d'if pour les bois conservés, d'un carquois et d'un lot de flèches, le plus souvent en silex, dont la qualité varie. Au Néolithique final (IIIe millénaire), le poignard en silex, avec une lame à double tranchant, s'intègre à la panoplie. On a tendance à penser que ce sont les hommes qui sont ainsi équipés plutôt que les femmes. Les seules représentations d'individus en armes sont en effet des figures masculines et, au regard des identifications possibles, aucune arme n'est présente dans les tombes féminines.
L'équipement du guerrier de l'Âge du bronze comprend le métal, tout particulièrement des alliages cuivreux communément appelés “bronze”, alliage de cuivre et d'étain.
p. 328
Commenter  J’apprécie          00
L'équipement doit donc être performant et résistant. Différents matériaux peuvent être employés, tel le cuir pour la protection du corps, ou la pierre pour l'attaque. Toutefois, le métal répond particulièrement bien aux exigences attendues d'un équipement guerrier, à condition de maîtriser les procédés techniques. L'histoire des techniques en Europe semble montrer que les hommes ont compris cette réalité entre la fin du Néolithique et le début de l'Âge du bronze. Plus encore, à partir de cette période, la fabrication des armes de guerre en métal peut être considérée comme un domaine privilégié d'innovation technique. À la fin du Me millénaire, le travail de la pierre souligne un grand savoir-faire artisanal, qu'il s'agisse du silex ou d'autres roches. Au cours de la même époque, en Scandinavie, en Bohême, près du Rhin, dans les Alpes, sont produits des objets métalliques nouveaux dont la morphologie est proche de celle des productions lithiques : pointes de flèche, haches, couteaux et poignards. La nouveauté est à rechercher au cœur de la matière et non à l'extérieur de l'objet. Le cuivre est en effet désormais allié à d'autres éléments : l'arsenic, l'antimoine, puis l'étain qui s'impose. Ce mélange de deux composants, dans un procédé équivalent de fabrication, a pour conséquence de durcir le matériau et de rendre l'objet plus résistant. Si pour une pointe de flèche de petite taille, l'intérêt reste limité, il est en revanche plus important pour les haches. C'est le début d'une audace dans le domaine de la métallurgie qui n'a pour seules limites que les contraintes du matériau lui-même. La production d'armes de guerre est le premier domaine qui bénéficie de cette nouveauté technologique.
Bientôt, de nouvelles formes apparaissent, rendues possibles par les vastes possibilités techniques du métal. Des haches sont emmanchées pour donner naissance à des hallebardes et à des haches de combat dont la forme ne laisse plus guère place à un quelconque usage agricole. Surtout, les poignards s'allongent pour devenir des épées. C'est la première création quasiment ex nihilo d'un objet dans le domaine de la métallurgie, dont il n'existe aucun équivalent dans d'autres matériaux. C'est également un objet qui incarne, matériellement et symboliquement, la guerre.
p. 323
Commenter  J’apprécie          00
GUERRE ET PAIX DU NÉOLITHIQUE À L'ÂGE DU BRONZE
La nature première de ces armes — des objets pour tuer — a été négligée des décennies durant. Il ne s'agissait pas d'un refus volontaire (les chercheurs connaissaient leur fonction), mais plutôt de l'absence d'une prise en compte de cet aspect particulier dans le cadre plus global d'une approche de la guerre.
Pourtant, l'histoire européenne est caractérisée par le développement précoce d'une activité spécifique, qui intègre la production des armes. Dans ce sens, la fin du troisième et le début du deuxième millénaire avant notre ère marquent le commencement d'une ère nouvelle. Ici, force est de constater que le développement de la métallurgie a joué un rôle majeur. Le travail du métal apparaît très tôt, au Néolithique, avant même les époques qui portent les noms d'Âge du bronze et d'Âge du fer en Europe.
[…]
Avec le deuxième millénaire et, le bien nommé ici, « Âge du bronze », naissent des objets métalliques totalement nouveaux. Pour comprendre ce changement majeur, sans doute faut-il se pencher un instant sur la métallurgie, ses contraintes et ses possibilités. Le bronze est un matériau très particulier (dit « complexe de synthèse » dans les classifications) qui s'obtient par des procédés de transformation chimique au cours de passages en hautes températures, mais qui sont réversibles et qui permettent donc de recycler à l'infini un métal ou un alliage (mélange de plusieurs métaux). Trois caractéristiques physico-chimiques offrent une gamme très large de procédés de fabrication et de morphologie des pièces produites : fusibilité, plasticité, élasticité. Par ailleurs, en fonction de la composition précise (nature du métal, détail de l'alliage) et de la chaîne opératoire choisie, les caractéristiques varient, en particulier la résistance mécanique, qui induit des conséquences directes dans les usages des objets.
Un combattant a besoin d'un armement de deux types : l'un, offensif, qui lui permet d'agir directement : le second, défensif, oui lui assurera une certaine protection …
p. 321
Commenter  J’apprécie          00
SE DONNER LES MOYENS DE LA GUERRE
Inventer des armes de guerre
Le changement majeur dans la manière de vivre la guerre s'opère dès lors qu'une partie des actions d'une société est consacrée de manière exclusive au combat, sans confusion possible avec d'autres activités. Le premier indice clair en archéologie est celui de l'apparition d'armes de guerre comme catégorie fonctionnelle spécifique. Les lames en pierre du Néolithique n'ont peut-être eu qu'un usage de combat, réel ou symbolique, mais le matériau (pierre) et la forme (hache), ne permettent pas d'écarter totalement le doute et une éventuelle polyvalence. Si certains objets de cet ensemble ont pu être de véritables armes, d'autres, proches en apparence, ont eu un usage d'outils. Même les pointes de flèches, inutilisables en agriculture et qui n'ont servi qu'à tuer, ou au moins à blesser, ont pu être utilisées dans le cadre de la chasse autant que celui de la guerre.
Les armes anciennes de guerre, identifiables comme telles, sont mises au jour en Europe depuis longtemps, en particulier dans les tombes. Utilisées comme sources documentaires pour établir des typo-chronologies (donc une division temporelle) aux côtés d'autres mobiliers comme la parure, en particulier grâce à l'évolution des formes et des décors, certains anachronismes n'ont pourtant pas été évités, surtout au XIXe siècle. Les armes sont très typées et réputées propres à changer, dans le détail des formes et de la décoration, au fil du temps et selon les régions. Elles sont donc considérées comme de bons « marqueurs chrono-culturels » dans le vocabulaire archéologique, ce qui n'a pas empêché quelques erreurs, surtout au XIXe siècle.
p. 320
Commenter  J’apprécie          00
Une polyvalence des données
Les propositions d'André Leroi-Gourhan en 1964 étaient intéressantes. Le préhistorien, non seulement reliait les violences de guerre et de chasse, mais il introduisait également une dimension chronologique et évolutive avec la naissance d'une « classe des hommes d'armes » dans la nouvelle économie du Néolithique. L'idée était séduisante. Son application se révèle plus délicate, tout au moins pour le Néolithique. Tout en acceptant la réalité de la guerre au Néolithique, il faut décaler sa formalisation et son développement spécifique, à l'extrême fin de la période et au début de l'Âge du bronze, soit entre -2200 et -1800 en Europe.
L'association de la chasse et de la guerre n'est pas due au hasard. Pendant des millénaires, les moyens utilisés semblent avoir été les mêmes en Europe : des armes de jet constituées d'arcs et de flèches à partir du Mésolithique, des armes d'estoc composées de haches et de masses, de morphologies variables. La polyvalence de ces objets a conforté la possible ignorance de l'usage de la violence entre les hommes.
Leur emploi comme arme de guerre pouvait éventuellement être écarté dans la mesure où une autre légitimité leur était trouvée. Au regard des données sur les restes humains, force est de constater que ces objets — au moins certains d'entre eux — ont aussi servi à des combats entre les hommes, et pas seulement face aux animaux. Il faut donc aller plus loin et admettre la réalité des armes de combat au Néolithique. Plus encore, ces objets ont une place à la fois dans un cadre fonctionnel - tuer – et aussi social, en conférant un statut à leur utilisateur, qu'il soit réel — le guerrier en action — ou symbolique — une marque de distinction éventuellement déposée dans une tombe. Certains objets fabriqués ne semblent d'ailleurs plus réellement fonctionnels mais acquièrent le statut de biens de prestige, à l'image des grandes haches du Néolithique final mises au jour dans un cadre mégalithique.
On constate une double évolution : un savoir-faire technique sans cesse perfectionné qui manifeste l'investissement des sociétés pour ce type de production ; un changement progressif des formes des objets, jusqu'à la rupture à la fin du Néolithique et du début de l'Âge du bronze, dans ce domaine très particulier.
p. 317-18 – 19 et 20
Commenter  J’apprécie          00
À partir du Néolithique, les données factuelles deviennent à la fois plus conséquentes et les raisons de guerre sans doute plus variées. La néolithisation entraîne en Europe la mise en culture de territoires où l'homme s'installe et produit des stocks. Cette réalité a conduit à des migrations d'individus et à des implantations nouvelles dans des régions déjà occupées par des populations mésolithiques; il n'est pas certain que la rencontre entre les populations locales et les nouveaux arrivants ait toujours été pacifique. Les colons ont occupé des terres, bousculé les équilibres entre l'homme et le milieu en introduisant de nouveaux modes de vie et de subsistance. Sur le long terme, avec le développement de l'agriculture, d'une manière ou d'une autre, il y a eu appropriation des terres (le cultivateur, ou un autre membre du groupe) et création d'une forme de richesse. Naît ainsi une nouvelle et double motivation potentielle de guerre : occuper une bonne terre agricole et récupérer le fruit du travail d'autrui.
Les seules sources archéologiques ne sont pas en mesure de livrer ni la liste des conflits, ni leurs dates. Toutefois, leur augmentation et leur diversification permettent de percevoir la réalité des combats, à partir de -6000 environ en Europe, ainsi qu'un changement dans la conception de la guerre au sein de ces sociétés.
Pendant de nombreuses années, le paysan du Néolithique ancien a été envisagé sous un jour paisible et solidaire de ses voisins dans la mise en culture des terres. En 1950, la fouille de la grotte de Tiefenellern (Bavière), où se trouvaient les restes épars d'une quarantaine d'individus parmi les divers rejets, avait étonné mais était restée interprétée comme un cas marginal. Au début des années 1980, une découverte dans le Bade-Wurtemberg bouscula l'image de cet agriculteur sans histoire. Dans une fosse à Talheim, furent découverts les corps d'un véritable massacre remontant à -5000 environ. Les ossements fortement entremêlés de dix-huit adultes et de seize enfants portaient les traces d'une violence soulignant l'acharnement des assaillants qui les avaient mis à mort. Une étude fine des traces de coups démontrait que les victimes avaient été attaquées dans le dos, sans doute en tentant de s'enfuir, et parfois exécutées alors qu'elles étaient à terre. Les analyses ADN attestaient des liens de parenté entre les enfants et les adultes. L'absence de très jeunes enfants (les nouveau-nés jusqu'à quatre ans) reste inexpliquée. Une tuerie ne fait pas une guerre, mais elle met à mal l'image du pacifique paysan du Néolithique.
p. 312
Commenter  J’apprécie          00
PRÉHISTOIRES D'EUROPE
L'ENSEIGNEMENT DES ABORIGÈNES
«  Ce qui me passionne vraiment dans l'étude des aborigènes, c'est leur conception des choses, leur Weltanschauung, le ressort même de leur existence, le sens qu'ils donnent à leur univers, tout ce qui les guide et constitue leur raison d'être. Chaque culture humaine donne à ses membres une vision bien précise du monde, leur dicte une certaine façon de l'appréhender et de le goûter. En passant en revue toute l'histoire humaine, en parcourant la surface du globe, il est possible de voir la vie et le monde sous des angles divers, particuliers à chaque culture ; c'est cette diversité qui m'a toujours captivé au plus haut point et qui m'a inspiré le désir sincère d'étudier d'autres cultures, de comprendre d'autres genres de vie. […]
... il est une aspiration plus haute encore que la volonté de comprendre les multiples styles de vie des sociétés humaines : celle de transformer la connaissance acquise en ce domaine en sagesse. Même si nous parvenons à nous mettre un instant à la place d'un sauvage, à lire dans son âme, à voir avec ses yeux le monde qui l'entoure et à ressentir les impressions que ce monde déclenche en lui, en le faisant ce qu'il est, nous n'aurons pas pour autant atteint notre but ultime qui est d'enrichir et d'approfondir notre propre vision du monde, de comprendre notre propre nature et de l'améliorer au point de vue intellectuel et esthétique. Or le fait de saisir l'essentiel de la Weltanschauung d'autrui, pour peu que cela s'accompagne d'un sentiment de sympathie et de respect réel dû aux sauvages autant qu'aux autres hommes, ne peut que nous aider à élargir notre propre univers mental. »
Bronislaw Malinowski, « Les Argonautes du Pacifique occidental ».
p. 308
(voir sur "Babelio" : http://www.babelio.com/livres/Collectif-Gwion-Gwion/812247)
Commenter  J’apprécie          00
CHAPITRE VIII
GUERRE ET PAIX DU NÉOLITHIQUE À L'ÂGE DU BRONZE
(-6000/-800 ENVIRON)
Au XIXe siècle, au temps où l'archéologie et l'ethnologie se construisaient, les populations anciennes furent tour à tour envisagées comme les féroces assaillants d'un monde sans pitié ou, au contraire, comme les paisibles paysans d'une époque idéale mais révolue. La réalité ne correspond bien sûr à aucune de ces propositions qui ont nourri l'imaginaire et ont assuré un certain attrait à ces époques et à ces sociétés, longtemps qualifiées de “barbares”, voire de “sauvages”.
Considérée aujourd'hui comme un véritable sujet d'étude, la question des guerres au Paléolithique, puis au Néolithique et aux âges des métaux est relativement récente : une vingtaine d'années environ. Elle souligne que l'histoire des hommes va de pair avec celle des conflits. Ce qui change au fil du temps, ce sont les motivations, l'ampleur et les moyens que se donnent ces populations, selon un modèle bien peu remis en question depuis : elles consacrent une part de leurs innovations techniques à perfectionner les manières de combattre, jusqu'à inventer en Europe tempérée, au début du deuxième millénaire avant notre ère, la “guerre” au sens plein du terme.
Comme pour d'autres aspects de ces sociétés, il est difficile de séparer les connaissances de l'histoire de la recherche, tant celle-ci fut complexe et nourries d'« a priori » qui modelèrent les esprits.
p. 299
Commenter  J’apprécie          00
Les techniques de taille du silex présentent parfois des spécificités qui permettent de les identifier de manière très précise à la seule vue de l'objet fini, où qu'il se trouve. C'est le cas de la taille dite « pressignienne » qui correspond à une chaîne opératoire particulière. Outre son application à la taille des silex du Grand-Pressigny, il semble que des essais aient été pratiqués sur d'autres matériaux, pour lesquels elle est moins adaptée, en Dordogne ou dans le Vercors. Les chercheurs interprètent le travail dans ces petits ateliers comme une forme de diffusion de la technique, au-delà du support originel, par des hommes qui seraient venus se former auprès des artisans spécialisés du Grand-Pressigny. Si cette thèse est fragile aux yeux d'un esprit critique qui attend des « preuves » incontestables, il faut admettre que pour ces époques, c'est bien par déduction de ce type que les études sont faites par des chercheurs qui connaissent parfaitement lés matériaux, au point de les travailler eux-mêmes pour mieux les comprendre. La maîtrise des savoir-faire artisanaux dépend à la fois du matériau lui-même, des contraintes qu'il impose et de toute une gamme de choix de fabrication. La technique est donc une très bonne entrée pour une approche de la transmission des connaissances, en particulier pour les artisanats spécialisés.
La métallurgie entre également dans cette catégorie : une matière première complexe à extraire et à travailler pour l'obtention du métal à partir d'un minerai, dont la disponibilité est hétérogène à l'échelle de l'Europe ; des mélanges de métaux possibles mais selon des règles et une gamme de techniques très large pour un artisanat adopté en Europe. Une seule explication s'impose : un développement dans le cadre d'échanges, non seulement de matières premières à travailler, mais également de savoir-faire entre maître et apprentis et d'un lieu à l'autre.
p. 261
Commenter  J’apprécie          00



Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Anne Lehoërff (89)Voir plus

Quiz Voir plus

Harry Potter (difficile)

Quel est le patronus d'Hermione?

Un chat
Un perroquet
Une loutre
Un dauphin

9 questions
6 lecteurs ont répondu
Thème : J. K. RowlingCréer un quiz sur cet auteur

{* *}