(Lu dans le cadre du mois thématique "Les feuilles allemandes")
La scénariste et autrice allemande Annette Hess (1967) signe avec Deutsches Haus (2018) un premier roman très intéressant et captivant sur le devoir de mémoire collectif et individuel. A travers le cheminement d’une jeune femme naïve qui découvre progressivement l’histoire nationale et familiale, Annette Hess nous plonge de façon très réaliste et immersive dans la société ouest-allemande des années soixante, une société aveugle et amnésique subitement contrainte de reconnaître sa responsabilité dans les abominations perpétrées à grande échelle sous le Troisième Reich.
Francfort, décembre 1963. L’interprète de formation Eva Bruhns est sur le point de se fiancer au riche héritier Jürgen Schoormann lorsque débute le second procès d’Auschwitz. Suite à un concours de circonstances, Eva est convoquée puis engagée par le Tribunal chargé de juger d’anciens dignitaires nazis. En sa qualité d’interprète du polonais, elle doit traduire devant la Cour les dépositions des survivants des camps de concentration. En acceptant cette nouvelle charge, Eva ne se doute pas un seul instant que ce procès sera à l’origine de révélations fracassantes qui bouleverseront sa vie toute entière.
Deutsches Haus se construit autour d’une double prise de conscience. Celle, collective, d’une société ouest-allemande qui a préféré occulter la barbarie nazie pour se concentrer sur un avenir économiquement radieux mais qui, dans les années soixante, n’a plus le choix et doit ouvrir les yeux sur son passé. Et puis celle, individuelle et familiale, d’une jeune femme qui découvre peu à peu l’ampleur des non-dits et des secrets familiaux.
A travers le Procès de Francfort, Annette Hess soulève les questions capitales du devoir de mémoire et de réparation historique et morale, de l’absolue nécessité pour un pays de reconnaître ses torts et d’endosser la responsabilité des crimes commis, ceci afin de pouvoir se reconstruire en tant que nation.
A travers le parcours personnel d’Eva, symbole d’une jeunesse insouciante et souvent ignorante du passé, l’autrice évoque les difficultés de ces jeunes devant subitement faire face à des réalités historiques abominables dont ils ne savaient rien jusque là. Comment cette jeunesse va-t’elle s’approprier ce passé? La prise de conscience de la responsabilité collective et du rôle qu’ont joué (ou pas) ses parents pendant la guerre est pour Eva non seulement extrêmement douloureuse mais engendre également une culpabilité historique:
« Die? Wer sind die? Und ihr, was wart ihr? Ihr wart ein Teil des Ganzen. Ihr wart auch die! Ihr habt das möglich gemacht. Ihr habt nicht gemordet, aber ihr habt es zugelassen. Ich weiss nicht, was schlimmer ist. Sagt mir, was schlimmer ist! »
* (Traduction personnelle) : « Eux? Qui sont ‘eux’? Et vous, qu’étiez-vous? Vous étiez une partie de l’Ensemble. Vous aussi, vous étiez eux! Vous avez rendu cela possible. Vous n’avez pas tué, mais vous l’avez autorisé. Je ne sais pas ce qui est pire. Dites-moi ce qui est pire! »
Le cheminement d’Eva permet par ailleurs à Annette Hess d’évoquer la condition des femmes dans la société des années soixante. Si la proposition du Tribunal ne représentait initialement guère plus qu’un moyen bienvenu d’atteindre l’autonomie financière, Eva se rend rapidement compte qu’il est pour elle vital de s’engager sur le long terme et peu importe si elle doit pour cela s’opposer à ses parents, de modestes restaurateurs propriétaires de l’Auberge « La maison allemande », et surtout à son fiancé, un homme austère et conservateur, qui refuse que sa future femme travaille.
Une très bonne lecture!
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