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Citations de Antoine Volodine (313)


J’étais guettant, comme un loup.
À l’école notre professeur de brègne avait acquis un certain prestige parmi les élèves. C’était l’âge où nous accordions notre admiration à tort et à travers, comme des coups de dents au creux d’un troupeau. Nous avions besoin de nous raccrocher à quelque chose : l’univers s’était écroulé autour de nous ; dans les autres quartiers, les gamins nous écartaient avec des bâtons et se moquaient en criant de nos malformations.
Pour moi, c’était différent. J’observais.
Lorsque le professeur de brègne rentrait dans la classe, il y avait soudain un silence lourd. La poussière dans la vitrine des empaillés frémissait : sur le qui-vive, les buses et les ratons dressaient l’oreille. Il faisait moite et velouté à l’intérieur de nos mains, quand nous en avions.
La pénombre tambourinait le long de nos artères.
"Tirez les rideaux, il fait bien trop clair ici", disait le professeur de brègne.
La classe que déjà la noirceur aveuglait, la classe écartelée et pantelante devenait encore plus étouffante. Lorsque les persiennes terminaient leur course contre l’appui des fenêtres, il y avait une sorte de soupir effaré qui s’allumait de pupitre en pupitre : eh bien – pensions-nous -, ça recommence ; qu’est-ce qu’il va faire aujourd’hui ?
Le professeur de brègne ouvrait alors une caisse cordée de cuivre. Tout était réglé dès le début de l’année selon une chorégraphie impeccable. Un élève montait sur l’estrade et éclairait la scène à l’aide d’un chandelier à deux bougies. La caisse était obscure et profonde comme un four. C’était impressionnant et fantomatique.
Nous ne respirions plus.
"Regardez bien, sales petites bêtes", disait le professeur de brègne.
Et il nous montrait des mystères.
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Pourtant, il existe quelques écrits établissant la probabilité d’une enfance de Murgrave. Un des biographes assassinés, qui par ailleurs était un petit trafiquant d’opium dans un bidonville brésilien, était en train de terminer la copie d’un manuscrit assez éclairant lorsque la mort le surprit ; nous n’aurons eu sous les yeux ni l’original ni la fin de ces pages peu sympathiques. Cependant, tel qu’il est, ce petit opuscule nous présente quelques indications intéressantes. Il s’agit d’une série d’esquisses recueillies sous un titre déjà bien lugubre : "Le Non-rire". En fait de non-rire, nous assistons plutôt à un ricanement d’aliéné, dont les résonances sont profondément non humaines, et les allusions culturelles assez nettement non terrestres.
Le narrateur écrit à la première personne : cela devrait suffire à faire douter de l’authenticité du document. Peut-être y a-t-il eu là intervention fantaisiste du biographe, homme peu scrupuleux et dont la rigueur de pensée devait être ébranlée par la drogue. On imagine difficilement Jorian Murgrave s’abaissant à considérer sa petite enfance avec suffisamment de complaisance pour prendre la plume et la décrire, même succinctement.
Mais, d’autre part, il y a là un mépris du lecteur, un mépris du monde, un refus d’accepter les règles du jeu social, que seule explique cette brutalité grimaçante caractérisant Murgrave. Les lieux sont méconnaissables, l’époque floue et innommable. Plus que des précisions sujettes à caution, c’est cette recherche aberrante d’anonymat qui dénonce l’auteur de ces feuilles. A notre avis, s’il fallait absolument ajouter une signature au bas de ce texte, ce serait bien celle de celui qui se surnommait lui-même "un monstre sans foyer".
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Les vieilles avaient éjecté, des culasses, les douilles brûlantes, et elles restaient étendues dans la position dite du sniper couché, mais toutes avaient l’air déconcertées d’avoir raté leur cible, et elles hésitaient avant de lâcher une seconde mitraillade. Sous leurs narines errait de la fumée de poudre noire, mêlée aux parfums de jeune absinthe et à l’insistante puanteur de l’urine des brebis et des chamelles qui, à l’endroit où elles étaient couchées, avaient dormi nuit après nuit pendant des mois.

Lilly Young parlait de Will Scheidmann et elle parlait de leur mémoire de vieilles qui souvent maintenant était trouée et déchirée, et dont les trous et les déchirures s’agrandissaient, avec le temps. Elle prétendait soudain que seul Scheidmann pourrait rassembler leurs souvenirs quand ceux-ci seraient en voie de disparaître complètement.
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Une ultime palabre qui répondrait au premier mot de la toute première histoire, à ce “comancer” [...], clore son édifice littéraire [...] sur le verbe “finir” ou “terminer” [...], puis il se dit que son projet était puéril [...], et que de n’avoir pas pu écrire “finir” ou “terminer” sur une dernière page avant sa mort n’est qu’une défaite de plus.

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Il semblerait injuste de ne pas mentionner, en bonne place parmi les personnes à qui je veux exprimer ici ma gratitude, le chien Ramsès de ma soeur Brigit, qui plusieurs fois m’a averti de l’approche d’importuns, et, avec une intelligence rare, les a tenus à distance, le temps que je me cache dans la chambre d’amis pour y faire le mort.

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Sans établir de hiérarchie dans le mérite, je remercie ici vivement les codétenus avec qui j'ai partagé les quarante semaines de mon incarcération à Jogjakarta, et, en particulier, le chef de cellule Muslim Bang, qui a interdit aux prisonniers de l'étage de me sodomiser et m'a enseigné les subtilités de l'emploi des retardateurs plantés dans un pain de plastic, subtilités qui se sont développées dans Adieu nuages. p.78
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Parmi les personnes à qui je suis formidablement redevable de m'avoir soutenu dans les moments difficiles, une place toute particulière doit être réservée à Tatiana Vidal, à son mari Olaf et même à leur bébé Carmelita, pour les encouragements qu'ils m'ont prodigués alors que, songeant à me défenestrer, j'avais déjà enjambé le rebord du balcon de leur vingt-deuxième étage.
Sans leurs paroles réconfortantes, intelligentes et appropriées, et sans les sanglots stridents de Carmelita, je crois bien que je n'aurais jamais terminé mon roman Macbeth au paradis. p.76
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p.184/Ne perdons pas de vue l'angle littéraire sous lequel Breughel a toujours considéré son existence et celle des autres, ces quelques décennies de réalité diluée et ruminée qu'on appelle l'existence.
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Une vaste littérature qui a touché à peu près à tous les sujets et à tous les genres, dit-elle ensuite, mais qui n'a pas de nom.
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