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Citations de Antoine Volodine (313)


Antoine Volodine
L’étrange est la forme que prend le beau quand le beau est sans espérance,
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Le chant cristallin des gouttes retombant dans la vasque. Le goût de l’eau. Un lointain parfum de tourbe, de silice un peu poivrée. Une impression de transparence, d’éternité. L’émotion de pouvoir ressentir cela, de ne pas être mort encore.
Le silence de la forêt.
Le martèlement d’un pic creusant l’écorce avec violence, à quelques centaines de mètres de la fontaine.
Puis, de nouveau, le silence.
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Les panneaux d’interdiction et de danger rongés par la rouille. Sur une tête de mort encadrée de rouge et noir, des escargots qui, avant de mourir, avaient abandonné autour d’eux d’intenses traces de bave.
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Les êtres aimés disparaissent, la révolution mondiale s’éparpille en poussière comme une bouse sèche, dans l’espace noir on ne rencontre plus les personnes qu’on aime, les golems s’effondrent les uns après les autres, le sens de l’histoire s’inverse, les passions dérivent vers le rien, la signification des mots s’évanouit, les ennemis du peuple et les mafias triomphent à jamais, les rêves trahissent la réalité, mais la vengeance subsiste, un chicot irréductible de vengeance qui n’a plus aucune justification, qui se limite à un geste de violence sur une cible très douteuse.
Et ceci encore, le plus révoltant : on n’échappe pas à son schwitt.
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L’avion a commencé son épandage de napalm en haut du village. Je ne sais à quelle civilisation modèle il appartenait ni en quel charabia le pilote conversait avec sa base et les donneurs d’ordre. Une langue d’assassins, forcément, mais peut-être pas de l’américain militaire basique.
(Incipit)
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C’était un homme de haute stature, barbu, broussailleux, avec une grosse figure de héros irascible. Ses cheveux et sa barbe étaient restés noirs, comme s’il avait toujours la quarantaine ou la cinquantaine, alors qu’il avait à peu de chose près le même âge que la Mémé Oudgoul. Il dominait Kronauer d’une bonne tête et, en largeur, les deux hommes n’étaient pas comparables. Avec son coffre et ses épaules de lutteur de foire, son ventre dont les abdominaux débordaient, le président du kolkhoze donnait une impression d’invincibilité. Ses iris, d’une couleur fauve, cuivrée, empiétaient sur l’espace réservé au blanc de l’œil – particularité qu’on observe généralement chez les rapaces et assez souvent aussi chez les thaumaturges. On ne pouvait rencontrer un tel regard sans tout faire pour ne pas s’y noyer, et on détournait les yeux, mais alors c’était avec un sentiment de petitesse et de défaite. Ce Solovieï était habillé d’une chemise blanche sans col, serrée à la taille par une ceinture de cuir dans laquelle il avait passé une hachette. Son pantalon en toile épaisse entrait en bouffant dans d’énormes bottes de cuir noir. Pour résumer, il paraissait être issu d’un récit de Tolstoï mettant en scène des moujiks et des koulaks, à une époque préhistorique, antérieure à la première collectivisation des campagnes.
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– Tu n’as rien à te reprocher ? insista la mère de Dondog.
L’image des feuilles mortes aussitôt écrasa Dondog. Le prolétaire victime du sabotage avait eu le temps de se plaindre, ou un témoin du méfait, le crémier, par exemple, avait téléphoné au cinquième étage pour dénoncer les criminels.
Dondog rougit, les larmes lui vinrent aux yeux.
– Tu n’as rien à te reprocher ? répéta la mère de Dondog.
Elle avait cette attitude qu’adoptent les adultes quand ils savent tout.
– Non, dit Dondog éperdu.
Il ne songeait soudain qu’à sa honte et craignait affreusement d’afficher celle-ci sur son visage.
– Cherche bien, Dondog Balbaïan, dit la mère de Dondog.
Elle tenait une enveloppe déchirée. La lettre avait été repliée à l’intérieur. Les mains étaient énervées, auréolées par le jaune sombre de l’orage magnétique. Elles ne tremblaient pas. Dondog se tut pendant dix secondes, terrassé sur la chaise dont le paillage croisé lui talait les fesses. Il sentait s’embraser ses joues, ses oreilles. De l’autre côté de la table, face à lui, sa mère à son tour s’assit. L’ocre du ciel se salissait de noir à grande vitesse. Il y eut encore dix ou douze secondes de lourde accalmie, d’anxiété, puis l’interrogatoire proprement dit débuta.
– Je n’ai jamais été autant humiliée de ma vie, commença la mère de Dondog.
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Il vient d’entrer dans une réalité parallèle, dans une réalité bardique, dans une mort magique et bredouillée, dans un bredouillis de réalité, de malveillance magique, dans une tumeur du présent, dans un piège de Solovieï, dans une phase terminale démesurément étirée, dans un fragment de sous-réel qui risque de durer au moins mille sept cent neuf années et des poussières, sinon le double, il est entré dans un théâtre innommable, dans un coma exalté, dans une fin sans fin, dans la poursuite trompeuse de son existence, dans une réalité factice, dans une mort improbable, dans une réalité marécageuse, dans les cendres de ses propres souvenirs, dans les cendres de son propre présent, dans une boucle délirante, dans des images sonores où il ne pourra être ni acteur ni spectateur, dans un cauchemar lumineux, dans un cauchemar ténébreux, dans des territoires interdits aux chiens, aux vivants et aux morts. Sa marche a commencé et maintenant, quoi qu’il arrive, elle n’aura pas de fin.
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Les herbes avaient des couleurs diverses et même chacune avait sa manière à elle de se balancer sous le vent ou de se tordre. Certaines résistaient. D’autres s’avachissaient souplement et attendaient un bon moment, après le souffle, avant de retrouver leur position initiale. Bruit des herbes, de leurs mouvements passifs, de leur résistance.
Le temps s’écoulait.
Le temps mettait du temps à s’écouler, mais il s’écoulait.
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Les proches du défunt rémunèrent les fossoyeurs, mais ils les méprisent, ils les craignent, et pour rien au monde ils ne s’aventureraient à leur serrer la main. D’ordinaire. Mais grand-mère Abazane ne l’entendait pas ainsi. Elle avait été élevée chez des gens de très basse caste et elle ne ressentait sans doute aucun dégoût envers les misérables du bas de l’échelle, les travailleurs chargés de remettre le défunt aux envoyés du ciel. Peut-être aussi souhaitait-elle vérifier de visu que grand-père Bödgröm allait bel et bien être tronçonné, tranché et malaxé en boulettes jetées aux oiseaux, selon le rituel établi depuis des siècles. Les boulettes seraient englouties par les oiseaux, elles feraient un très court voyage à basse altitude et, qu’on le veuille ou non, elles finiraient sous forme de crottes puantes.
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Elle avait récemment appliqué sur ses cheveux une teinture approximative, et il y avait dans ses mèches des reflets d’argent mauve, de suie mauve. Au-delà de ces irisations, Dondog huma une odeur de légumes à la sauce d’huîtres qui stagnait là depuis des jours. Un bol en céramique bleue était posé sur la table, à côté d’un couteau de cuisine chinois qui aurait pu servir de hache de défense, en cas d’agression. En cas de nettoyage ethnique ou autre. Les murs ruisselaient. Des journaux avaient été punaisés pour éponger l’humidité. L’actualité était locale, consacrée aux faits divers, peu parlante pour Dondog. De toute façon, depuis un siècle au moins, les nouvelles n’étaient pas bonnes.
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Le chant cristallin des gouttes retombant dans la vasque.
Le goût de l'eau. Un lointain parfum de tourbe, de silice un peu poivrée. Une impression de transparence, d'éternité. L'émotion de pouvoir ressentir cela, de ne pas être mort encore.
Le silence de la forêt.
Le martèlement d'un pic creusant l'écorce avec violence, à quelques centaines de mètres de la fontaine.
Puis, de nouveau, le silence.
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Le vent de nouveau s’approcha des herbes et il les caressa avec une puissance nonchalante, il les courba harmonieusement et il se coucha sur elles en ronflant, puis il les parcourut plusieurs fois, et, quand il en eut terminé avec elles, leurs odeurs se ravivèrent, d’armoises-savoureuses, d’armoises-blanches, d’absinthes.
Le ciel était couvert d’une mince laque de nuages. Juste derrière, le soleil invisible brillait. On ne pouvait lever les yeux sans être ébloui.
(Incipit)
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Les habitants de la Cité n’appartenaient pas à une seule ethnie, évidemment. Dondog tendait l’oreille, son oreille habituée depuis des décennies au sabir internationaliste des camps, et il reconnaissait ce mélange des idiomes qui ne s’épanouit véritablement que derrière les barbelés, et qu’il avait eu toute la vie pour apprendre. Pour autant, il n’arrivait pas à identifier avec certitude la moindre phrase. Tout était très déformé, comme cela se produit au coeur d’un mauvais rêve, ou encore quand on cherche à comprendre, par exemple, du mongol lentement ânonné par un Américain, ou du chiu-chow mutilé par un Allemand, ou pire encore.
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Solovieï se piquait d'être non seulement révolutionnaire mais poète, et donc il estimait qu'il avait le droit de dire haut et fort ce qui lui passait par la tête. La perspective de devoir écrire des mensonges pour sauver sa peau le mettait en rage. Il sabotait ses autocritiques en y insérant des narrats ésotériques, des considérations sur l'apocalypse et des discours politiquement incorrects sur la sexualité et les rêves. Sur le papier officiel des dépositions, il exposait son espoir que viendrait un temps où chamanes, experts en sorcellerie, mages et disciples de l'oniromancie seraient seuls en charge de la lutte des classes et nomadiseraient librement dans les villes et les campagnes. Les relations de Solovieï avec les autorités s'étaient envenimées.
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Les soirs de tristesse, je me replie devant un morceau de fenêtre. Le miroir est imparfait, il me renvoie une image assombrie qu’un peu de saumure trouble encore. Je nettoie la vitre, mes yeux. Je vois ma tête, cette boule approximative, ce masque que la survie a rendu cartonneux, avec une houppe de cheveux qui a survécu, elle aussi, on se demande pourquoi. Je ne supporte plus guère de me regarder en face. Alors je me tourne vers des détails qui se situent dans le noir de la chambre : les meubles, le fauteuil sur quoi j’ai passé l’après-midi à attendre en songeant à toi, la valise qui me sert d’armoire, les sacs qui pendent au mur, les bougies. En été, il arrive que l’obscurité du dehors soit transparente.
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Je dansais d'un pied sur l'autre. Je n'avais jamais trouvé qu'il y eût trop de fractions dans le Parti. J'appartenais, il est vrai, à plusieurs tendances à la fois et, en particulier, à une tendance tolérante et oecuménique - "Les Marxistes de la grande compassion" - ma préférée. C'était une fraction secrète et il était déconseillé de s'en réclamer devant un flic, bien évidemment.
- A propos, s'interrompit Kaytel. Et toi, Breton, tu es membre de quelle fraction du Parti ?
- "Les Samouraïs prolétariens", proclamais-je aussitôt avec assurance.
Kaytel me giflait ou soupirait bruyamment.
- Tu mens, décidait-il.
Et il me giflait de nouveau. D'une manière générale, il n'accordait aucune confiance à ce que je débitais devant lui.
Autre séance, autre conversation, je sortais autre chose. J'avais le choix.
- A quelle fraction tu m'as dit que tu appartenais, déjà ? demandait Kaytel.
[....]
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Nous nous tenions au sommet d'une pente dont l'ascension avait été rude. Des couples, l'allure raidie et les lèvres tremblantes, des hommes isolés, en habit de soirée ou en tenue plus simple, continuaient à émerger de la foule, à traverser les mailles du service de sécurité et à escalader lentement, comme en un ralenti cinématographique, les marches. Une solidarité spontanée naissait entre ces gens. Sans se connaître, ils se saluaient, s'adressaient des gestes discret, dépourvus d'emphase, des sourires rassurants, tandis que dans leur dos s'amassait l'orage. Nous pénétrâmes dans l'atrium, le hall. Tout était éclairé normalement. Les vestiaires fonctionnaient, mais le climat d'incertitude, de précarité, incitait le public à ne pas se déshabiller.
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Il regarde par la fenêtre.
En fait, ce n’est pas une fenêtre, mais l’ouverture d’une caverne où habitent des oiseaux.
Dehors, tout est à pic, tout est bleu : nuages bleus, soleil bleu, abîmes bleus. Quand il se penche, il aperçoit des volcans, des lacs, des coulées de lave, des montagnes que couronne une neige d’azur. La brise est légère, tiède, embaume. Il se penche un peu plus à la lisière du précipice. Les étendues d’herbe scintillent, les oiseaux planent, traversent le ciel, plumes frémissantes.
Il sait que, malgré son aile blessée, il pourra voler.
Il écoute la musique.
Il écoute le murmure de Tchaki Estherkhan qui chante autour de lui et, quand il s’élance, il la voit.
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Elle se redressa, elle décroquevilla sous la lune sa forme jusque-là blottie dans les touffes de ginseng et de boudargane. Je vis émerger en haut d’un monticule son misérable manteau de marmotte, dont, à contre-obscurité, il n’était guère possible de détailler les nombreux rapiéçages et les enjolivures vermillon et les slogans magiques en ouïgour, et j’aperçus sa tête minuscule, comme lyophilisée par la vieillesse, cette petite masse de cuir granuleux et chauve dont la partie inférieure reflétait les étoiles quand des mots s’en échappaient, car elle était renforcée par un dentier de fer.
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