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Citations de Aurélien Bellanger (132)


Dans son article fondateur de 1985, « Indigenous Management of Tropical Forest Ecosystems : The Case of the Kayapó Indians of the Brazilian Amazon », l’anthropologue Darrell Posey tente de démontrer que les Indiens Kayapó cultivent la forêt amazonienne comme un grand jardin, afin que celle-ci s’adapte au mieux à leurs besoins. On sait que la notion de jardin possède, en Amazonie, des limites floues, passé un premier cercle de cultures manifestes : le fait que les plantes aux vertus curatives soient surreprésentées autour des villages et que les essences produisant le curare soient toujours abondantes le long des pistes de chasse plaide aussi pour des plantations raisonnées et permet d’attribuer aux Indiens une forte conscience des interactions écologiques. Mais Darrell Posey va plus loin et suggère que la forêt vierge, en totalité, pourrait être une création volontaire de ses habitants humains. Il examine, pour cela, différents aspects de l’activité écologique des Kayapó qui tendent à prouver que non seulement la forêt qui entoure leurs villages témoigne d’actions écologiques volontaires, répétées et conscientes, mais aussi que les Kayapó, anticipant sur leurs déplacements futurs et se souvenant de leurs déplacements passés sur des échelles très largement supérieures à la durée d’une vie humaine, ont probablement planifié l’évolution biologique de la forêt tout entière. La thèse de Posey sera après lui très disputée et largement remise en cause, sans que sa puissance en soit diminuée. Elle demeure encore aujourd’hui le seul équivalent possible, dans le champ ethnologique, d’une révolution copernicienne, révolution inversée, dans un premier temps, qui verrait d’abord l’homme rétabli dans ses droits cartésiens de maître et possesseur de la nature, d’aménageur de la forêt et d’urbaniste du monde végétal, mais révolution truquée, à double fond, qui viserait en réalité — on sait que Darrell Posey était un activiste, attaché à la défense des droits des Indiens, comme, au-delà, à la défense des droits de la forêt elle-même — à la réintégration de l’homme à un biotope dont il ne serait jamais réellement sorti.
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Le Prince lui-même avait dû intervenir au 20 Heures, et il n’avait pas été mauvais : « Vous pensez vraiment, monsieur Pujadas, que parce qu’il est mon fils, il aurait le droit à moins que les autres, que parce qu’il est mon fils, ses compétences devraient être systématiquement mises en doute ? Mais permettez-moi de vous le demander, monsieur Pujadas, est-ce que c’est ça votre conception de l’égalité ? Est-ce que parce qu’il est mon fils, il serait moins capable que d’autres ? Voyons, un peu de bon sens, monsieur Pujadas. J’en appelle à votre sens républicain et à celui des Français qui nous écoutent et qui sont, eux, attachés au mérite et à l’égalité, et je dirais même, à l’exemplarité. Parce que vous pensez bien qu’il en faut du courage à un jeune homme de vingt-trois ans pour affronter de telles insinuations, et bien du mérite à vouloir continuer à bien faire son travail dans de telles circonstances. Et vous pensez vraiment qu’il ne le sait pas, cela, et qu’il n’en est pas capable ? Mais c’est justement parce qu’il est mon fils, avec toutes les conséquences qui sont là sous nos yeux — et permettez-moi de vous dire, monsieur Pujadas, que c’est pas un beau spectacle, et c’est pas le père qui parle, c’est le président, c’est le garant des institutions, le défenseur des grands principes de notre belle République —, c’est justement parce qu’il est mon fils qu’il a le devoir de réussir. »
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Je me suis effondré sur l’herbe et j’ai pleuré là jusqu’à ce que le froid m’oblige à me lever. Le repas était presque fini. J’ai récupéré mon manteau au vestiaire et je suis rentré, en roulant très vite et en pleurant doucement.
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Nous aimions pour cela la façon dont il s’exprimait, sans respecter ni la grammaire ni la pénible majesté de la langue française — dans un pays où le souverain était le protecteur d’une institution chargée de légiférer sur la langue, la chose était particulièrement délicieuse. Ancien avocat, il avait gardé l’habitude de faire un usage presque exclusivement polémique de la langue française, qu’il utilisait, le doigt pointé sur son interlocuteur, presque comme une arme de guerre, une arme dont le violent recul se propageait à ses épaules, beaucoup trop mobiles.
Nous avions assisté à des dizaines de meetings juste pour cela, pour le frisson de la scène, pour leur énergie physique et leurs outrances verbales dignes des meilleurs concerts de hip-hop — et ceux que j’avais ratés, je les avais souvent rattrapés en vidéo. Nous avions religieusement suivi chacune de ses interventions télévisées dans un bureau de la rue d’Enghien, et j’y avais pris plus de plaisir qu’avec n’importe quel livre, n’importe quelle chanson, j’avais été sans cesse ébloui par le plaisir de la langue, par l’inventivité verbale hasardeuse et brutale du candidat déchaîné. La candidate socialiste s’était, elle aussi, aventurée sur le terrain de la langue. Elle était ainsi venue jusqu’à la Grande Muraille en tunique blanche pour vanter la bravitude du peuple chinois. On s’en était amusé. Mais cela n’avait pas la splendeur sombre des approximations du Prince, cela ne concernait que la surface de la langue, que son vocabulaire — la candidate avait péché par excès et non par défaut, et la polémique de pure forme qui avait suivi ses justifications — l’évocation ironique du décalage horaire et de la grandiose plasticité de la langue — avait surtout témoigné d’un goût français un peu pénible pour les perles du bac, pour les approximations syntaxiques de ses comiques préférés, pour les bons mots des jeunes enfants.
L’inventivité verbale du Prince était à l’opposé. Elle concernait la grammaire elle-même plutôt que le vocabulaire : la clé de voûte du vivre-ensemble, les profondeurs secrètes du pacte républicain, le lieu célinien du grand dérèglement, le chaos des heures sombres. Le Prince ne parlait pas un français de convention, ni un français de fantaisie, mais un français de combat. Il parlait aux instincts du peuple, mis en perpétuelle situation de juré populaire d’un procès d’assises devenu grand comme un pays entier. Il répétait à voix douce les noms de ses intervieweurs, il abusait des pronoms personnels qui le mettaient en scène, avec ambivalence, en tant que victime et en tant qu’accusateur. C’était la seule structure qu’il respectait au fond, l’essence judiciarisée de la langue. Tout le reste, fautes d’accords, conjugaisons hasardeuses, oublis du sujet ou du temps, était subordonné à cette fonction unique : mettre le monde en accusation, s’excuser de sa bonne volonté, feindre une naïveté la plus absolue — c’était un effondrement de la langue sur elle-même. L’intervieweur, confronté là à un défi insurmontable, renonçait à chaque fois, et le téléspectateur, comme hypnotisé, oubliait la question désobligeante :
« Parce que vous croyez que parce que — excusez-moi du peu madame Chazal, ou bien alors c’est pas qu’on s’est pas compris, c’est que j’ai dû me tromper alors — que parce qu’un journaliste, ou supposé tel, a raconté à untel ou untel une histoire proprement stupéfiante, et qui, soit dit au passage on sait plus trop si elle me concerne vraiment, ou bien ma cousine, son voisin de palier et quand on y est pourquoi pas vous madame Chazal, puisque apparemment il faudrait qu’on soit tous coupables de quelque chose dans ce pays, à commencer par réussir, et vous avez bien réussi madame Chazal, alors je me demande… Non bien sûr je plaisante, mais c’est quand même un monde, que dans ce pays, plus on essaie d’être irréprochable, plus on a de reproches, et c’est tous les jours, et c’est sans l’ombre d’un soupçon. Et vous pensez que cette fois je vais laisser passer ? Vous croyez vraiment que je peux me permettre de laisser dire ça ? Eh bien je vais peut-être vous surprendre mais oui, parce que moi, je peux pas à chaque fois saisir tous les tribunaux de France, qui sont bien occupés croyez-moi, un peu trop occupés à mon goût, même, quand ils libèrent des délinquants, pour que je porte plainte. De toute façon moi mon seul tribunal c’est l’action, c’est là où je serai demain, et je crois que ça vaut mieux, d’ailleurs, vous verrez demain ça sera oublié, les Français ils ne sont pas dupes, ils oublient pas ce qu’on me fait subir, des fois, je vous dis, c’est pas toujours drôle. Mais laissons ça là, si vous voulez bien. Parce qu’à force d’expliquer l’inexplicable, car au fond je ne sais même pas de quoi on parle et j’aimerais si ça vous ennuie pas qu’on soit sérieux cinq minutes, on va finir par ennuyer tout le monde avec nos petites histoires, et croyez-moi, les Français méritent mieux que cela. »
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Il ne faut pas attendre trop des oeuvres de jeunesse : ce sont elles qui attendent pour nous. (Page 139).
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J'en suis ainsi arrivé, au milieu des tableaux de la maturité du plus sage de tous les peintres, à comprendre pourquoi les oeuvres de jeunesse n'existent pas, ou n'en sont pas vraiment : car elles sont à destination d'un seul spectateur, leur auteur, qui est précisément le moins apte à les apprécier. Ce sont, pour l'éternité, des oeuvres sans public. (Page 77)
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La vie vraiment bonne, pour moi, demeure celle de philosophe. Et je crois que c'est Poussin qui m'en a convaincu, car devenir philosophe, c'était vivre dans un tableau de Poussin. (Page 30)
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Il y avait Paris, tout au fond, puis la Défense, qui figurait, avec ses vitres brillantes comme des neiges éternelles, une chaîne de montagnes inaccessible, puis plus près de moi un lac aménagé en base nautique, et enfin, au premier plan, mais formant comme le précurseur chimique de ce paysage idéal, les petits monuments rationalistes que l’Axe majeur égrenait vers l’est. Tout était harmonieux mais l’harmonie ne se produisait pas dans ces effets de perspective, l’harmonie véritable agissait à un niveau tout autre, celui des ions chlores bleus et des acides rouges de mes schémas de la synapse — le seul espace, en réalité, l’unique lieu, le reste du monde n’étant qu’une fonction de celui-ci.
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J’ai relevé doucement sa robe imprimée, sa robe pleine de fleurs comme si toutes les fleurs s’étaient réfugiées ici, à l’état desséché de signes, attendant des jours meilleurs pour ressusciter. J’ai lentement approché ma main de son sein, que j’ai tenu comme un objet d’architecture divine, comme un objet parfait, isolé dans la nuit par des milliards d’années de sélection naturelle, un objet dessiné par quelques nanomètres d’ADN et destiné à provoquer, à travers ma main asymétrique, une érection venue elle aussi de la nuit des temps et des galaxies lointaines de mon code génétique.
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Le travail allait me permettre, pendant le reste de l’année, de surmonter mon deuil. Je suis devenu le meilleur dans toutes les disciplines et, ayant entendu un jour un professeur, plus pragmatique ou plus ironique que les autres, nous dire que la maîtrise du tableur Excel constituait l’essentiel de ce que nous aurions à apprendre en école de commerce, je me suis attaché à maîtriser Visual Basic, son langage de programmation, me procurant à la FNAC de la Défense la quasi-totalité de la littérature sur le sujet, lisant ces gros manuels du début à la fin et faisant tous leurs exercices. Cela m’a amené jusqu’au mois de juin, de case en case, opérant entre elles des mouvements de plus en plus complexes et coordonnés qui les entraînaient dans une cascade de réactions causales et d’effets récursifs qui mettaient toute la grille en mouvement et qui donnaient parfois au déplacement presque autonome d’une valeur dans toutes les directions possibles l’aspect d’un animal en fuite.
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Déjà malade, ma mère allait mettre rapidement fin à sa carrière professionnelle ; elle devait décéder d’un cancer du sein quelques mois plus tard.
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Aurélien Bellanger
La téléréalité est devenue comme la prison qu'elle a toujours été, au fond: tout y est détestable, mais quelle société aurait l'audace de se passer d'elle?
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Aurélien Bellanger
Sébastien était hanté par Loana, le patient zéro de la téléréalité. en France.
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Il compris qu'il n'avait rien inventé, que tout cela existait depuis toujours, et avait simplement manqué un peu de publicité _ La décadence n'avait jamais été une période de l'histoire, mais un type de spectacle.
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Il avait basculé du côté des puissants, du côté de ceux qu'on n'aime pas mais qu'on avait appris à craindre, et qui avait appris à savourer les flatteries hypocrites qu'on lui adressait moins comme des signes de respect que comme des signes de déférence.
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Il existe un mystérieux point de bascule où le public se met à le haïr, car il a perdu son aura d'anonyme.
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La phrase de Wittgenstein lui était alors revenue : la tâche du philosophe était d’aider la mouche à sortir de la bouteille.

p. 280
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[ ... ]comment les cent personnes les plus riches pouvaient
légitimement posséder autant que la moitié la plus pauvre de l’humanité ?

p. 230
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L'homme allait devoir se battre dans des écosystèmes hostiles dont il aurait été ironiquement le seul architecte - son destin était dorénavant lié à celui de ces jungles urbaines étouffantes.
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Ce que nous a montré Benjamin, c'est que le principal média de l'intellectuel, c'est lui-même, en tant qu'il est capable de donner à ses concepts un aspect féérique.
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