Storia Voce - 12 février 2020
Les Tudors: l'âge d'or de l'Angleterre ?
En 1845, la couronne du souverain dAngleterre Richard III est retrouvée dans la plaine boueuse dun champ de bataille, sinistre symbole de la chute dun roi. Les armées du dernier monarque de la maison dYork sont écrasées par celle dHenri, comte de Richmond. Bosworth signe la fin de la guerre des Deux-Roses, ouvre lère dune nouvelle dynastie. Richard III meurt laissant le trône dAngleterre à son rival : Henri VII, dit Henri Tudor. Le conflit dynastique sest conclu dans le sang, après 30 ans de rivalités entre les deux maisons. Mais doù viennent les Tudors ? Certains voient dans cet évènement, la fin du Moyen-Age anglais et le début de la modernité. Quel crédit accorder alors à cette conception du passé ? Comment expliquer la postérité des Tudors notamment grâce aux films, aux uvre littéraires, à tous ces arts qui créent la légende et qui nous incitent aujourdhui à démêler le vrai du faux. Bernard Cottret vient nous parler de cette "dynastie qui a fait l'Angleterre".
Linvité: Bernard Cottret est professeur émérite de civilisation des îles Britanniques et de lAmérique coloniale de lUniversité de Versailles-Saint-Quentin. Membre honoraire senior de lInstitut universitaire de France, il est lauteur de plusieurs ouvrages consacrés aux mondes anglo-saxons: Calvin, Henry VIII, Cromwell. Publié en 2015, La Révolution anglaise, une rébellion britannique 1603-1660 (Perrin, 2015). Il vient de publier l'histoire de "la dynastie qui a fait l'Angleterre": Les Tudors (Perrin, 2019).
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On établit punitions lourdes et terribles à un larron et on devrait plutôt pourvoir d'honnêtes manières de vivre afin que les larrons n'eussent si grande nécessité et occasion de dérober et d'être pendus.
[Extrait de "l'Utopie"]
...et nous laisserons Thomas More tout à sa joie, ou à ses illusions, lorsqu'il saluait en Henri VIII, en ce beau printemps 1509, un "roi à qui jamais auparavant roi ne ressembla".
Il ne croyait pas si bien dire. Les esprits sont encombrés, du moins en France, par une image largement ultérieure, celle d'un roi sanguinaire, intraitable avec le pape et avec ses épouses, sorte de préfiguration des totalitarismes du XXe siècle. Henri VIII, trop souvent associé à Barbe-Bleue, fut, à l'inverse, pour ses sujets et pour l'opinion de son temps un prince humaniste, ami des lettres et des arts, fils très aimant du pape et serviteur empressé de l’Église. Érasme comme Thomas More participèrent à l'élaboration de cette légende. Ils devaient payer lourdement leur erreur.
Que retenait-on à l'époque de Luther en Angleterre? Essentiellement la critique des abus de l’Église et la satire du clergé. Ce que l'on reprochait au prêtre, ce n'était pas de "mal vivre", c'était de "mal croire".
Il est difficile d'assigner des bornes précises à la révolution mentale constituée par la Réforme protestante. La négation de la trinité et le refus de la divinité du Christ s'ensuivirent bien au XVIe siècle, au grand dam de réformateurs comme Luther ou Calvin, eux parfaitement orthodoxes sur ce point.
Pourtant, insistait-il (*), on ne réprimait les hérétiques que pour leur plus grand bien, afin de leur "ouvrir les yeux" afin qu'ils ne compromettent pas le salut de leurs âmes. Il ne s'agissait pas tant de punir que de sauver.
(*): Il s'agit de John Fisher, humaniste, évêque de Rochester, défenseur zélé du catholicisme, emprisonné et décapité peu avant Thomas More. Canonisé en 1935.
L'un des pères fondateurs de l'humanisme anglais [More lui-même alors qu'en Angleterre la situation tourne en défaveur du catholicisme] effectuait son autocritique en confessant publiquement ses écarts de jeunesse [entre autres l'écriture de l'Utopie] ! More n'aimait plus ses œuvres littéraires. Ou du moins il les aimait encore, mais il déplorait leur effet pernicieux sur les esprits. Et en parlant de lui, More parlait également d’Érasme, responsable comme lui, et peut-être même davantage, d'une diatribe qui avait gravement porté atteinte au prestige des hommes d’Église. Si l'humanisme n'est pas le protestantisme, loin de là, il le rend possible. Avec More, l'humanisme prononçait son acte de contrition.
Mais il y a plus inattendu. Thomas More a joui dans la tradition socialiste, voire dans le mouvement communiste international, d'une réputation révolutionnaire et progressiste qui lui vaudra d'occuper au moins un strapontin au nombre des précurseurs potentiels de l'analyse marxiste. Son nom est gravé pour l'éternité auprès de dix-huit autres parmi les annonciateurs de l'émancipation de la classe ouvrière sur l'obélisque du jardin Alexandrovsky de Moscou.
L'Utopie est une île , et cette insularité subie est en réalité volontaire.Au lendemain de la Guerre de Cent ans , les anglais choisirent leur géographie ;ils finirent par rompre avec le continent ,bien qu'Henry VIII poursuivît encore des incursions qui n'aboutirent à aucune annexion durable.
Thomas More meurt de façon exemplaire après avoir, dit-on, embrassé son bourreau en signe de pardon. Cromwell, pour sa part, gravit les échelons : maître des joyaux du roi en avril 1532, il accède deux ans plus tard au secrétariat. Bien que laïc, il devient, en janvier 1535, le vicaire général du roi d’Angleterre, et son vice-gérant en matières spirituelles. Ces titres ne survivront pas à sa chute et à son exécution en juillet 1540. En attendant Cromwell poursuit sa brillante carrière : le 8 juillet 1536, il est élevé à la pairie et devient Lord Cromwell of Wimbledon. Il reçoit l’ordre de la Jarretière l’an suivant.
On connait Henri VIII par la réminiscence, avant même de l'avoir rencontré. Figure mythique du roi responsable de l'exécution de ses épouses, Barbe-Bleue constitue l'une des expression de nos terreurs enfantines. Comment se fait-il que l'ogre fusionne avec le monarque pour donner ce personnage hybride et dévorreur? Quel est ce mari insencé qui tue inlassablement ses femmes et poursuit ses enfants? "Henri huitième, écrivait un controversiste catholique du XVIe siècle, se mariait, se remariait selon sa fantaisie, tuant femmes, amis".
Image naïve en apparence. Mais qui a le mérite d'exprimer les craintes, les appréhensions qui accompagnent le développement de l'Etat moderne. La violence revêt ici une valeur fondatrice ou archétypale. Henri VIII - Barbe-Bleue relève, à sa façon, de la mythologie que suscite l'émergence du Léviathan.