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Citations de Bertrand Périer (87)


dirigée contre Alain Poher. Les journalistes ne sont ici rien d’autre que
des faire-valoir.
La situation n’est pas très différente lors de l’élection suivante, en
1974. Ainsi, lorsqu’il introduit le débat d’entre-deux-tours entre Valéry
Giscard-d’Estaing et François Mitterrand, Alain Duhamel, qui est censé
animer ce débat avec Jacqueline Baudrier, admet d’emblée que les
journalistes s’en tiendront à un rôle de simple présence : « Comme vous
nous l’avez demandé nous nous interdirons naturellement de poser une
quelconque question. » Tout cela serait évidemment inimaginable
aujourd’hui.
De nos jours, le discours politique est totalement intégré à la société du
spectacle. Les annonces se font au journal télévisé, et non plus devant les
assemblées, qui en seraient pourtant les destinataires naturels et
légitimes.
Les hommes politiques se pressent dans des émissions de
divertissement, se bousculent dans les programmes de téléréalité, allant
même jusqu’à se livrer complaisamment à d’étonnantes « confessions
intimes »…
Cette dilution du politique dans le médiatique n’a évidemment pas été
sans conséquence sur le contenu même du discours politique. Comme le
discours médiatique, le discours politique est devenu moins technique. Il
s’est simplifié à la fois dans son contenu et dans son expression. La
langue de bois a triomphé et la plupart du temps, les politiciens s’en
tiennent à des formules générales avec lesquelles personne ne peut être
en désaccord (« Les Français attendent qu’on traite les vrais problèmes »,
« Il faut faire preuve de détermination et d’imagination face au
chômage », « Notre système de santé doit être profondément rénové pour
que chacun puisse être mieux soigné », « Notre système éducatif doit être
plus performant »).
L’obsession est de respecter la règle des 4 C : clair, court, cohérent,
crédible.
Parler pour montrer qu’on existe, mais ne rien dire pour ne pas cliver
et prendre une position qu’on viendrait ultérieurement rappeler ou
opposer, accepter de renoncer à toute nuance pour qu’une formule passe-
partout tienne en 140 signes, se faire le véhicule servile d’éléments de
langage élaborés par ailleurs, tel semble être aujourd’hui le secret de la
communication politique.
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C’est une évidence : l’éloquence politique – qui est, avec l’éloquence
judiciaire et l’éloquence épidictique (l’éloquence festive, d’apparat), l’un
des trois genres d’éloquence dénombrés par Aristote – a énormément
évolué ces dernières décennies.
La responsabilité en revient pour l’essentiel à l’irruption des médias
dans le débat politique.
Avec la télévision, la radio, et désormais Internet et les réseaux
sociaux, on est passé d’une parole adressée depuis une tribune, sans
micro, à des initiés, à une parole adressée urbi et orbi, en permanence,
par écrans interposés. De la logique de l’estrade à la logique du spectacle.
Et en moins d’une génération, le rapport des politiques aux médias a
lui-même singulièrement évolué. Alors que dans les années 1960 et 1970,
le discours politique s’invitait – on pourrait même dire s’imposait – dans
les médias, ce sont aujourd’hui les médias qui imposent aux politiques de
s’exprimer selon les codes du divertissement.
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EXERCICES :
Le micro-trottoir
Imaginez que vous participez à une manifestation sur un sujet de
société ou un sujet politique. Un journaliste vous tend un micro et
vous avez 40 secondes (chronométrez-vous) pour défendre votre
cause (l’interdiction de l’exploitation du gaz de schiste, la lutte
contre les violences faites aux femmes, l’entrée de la Turquie dans
l’Union européenne, le rétablissement des peines planchers, la
déchéance de nationalité pour les terroristes, etc.).
L’« interview-piège »
L’exercice se joue à deux : un journaliste et un invité. L’invité est le
maire d’une commune. Il est venu parler de sujets relatifs à la
gestion communale (les impôts locaux, l’ouverture d’une salle des
fêtes, la lutte contre l’insécurité, etc.). Le journaliste ne lui pose de
questions que sur des sujets que le maire ne souhaite pas évoquer (la
division de sa majorité, la mise en examen de son premier adjoint, la
question de sa candidature aux prochaines élections). Le maire va
devoir réorienter les questions vers les sujets qu’il veut aborder, sans
répondre aux questions gênantes.
La conférence de presse de crise
Vous avez convoqué la presse pour communiquer sur une crise
(vous êtes le directeur d’une école et un élève a été gravement
blessé lors d’un week-end d’intégration, vous êtes le dirigeant d’une
entreprise dont le directeur financier est en garde à vue pour des
abus de biens sociaux, vous êtes le dirigeant d’une société de
construction automobile et un accident de la circulation a fait
apparaître une malfaçon dans le système de freinage qui vous oblige
à rappeler un type de véhicule).
Vous devez faire une déclaration préalable selon les règles
évoquées plus haut (réactivité, empathie, transparence), puis
répondre aux questions des journalistes.
Le buzzer à jargon
Le langage médiatique, qui vise à être compris de tous, est soumis
à une exigence de simplicité. N’employez pas de mot qu’un
enfant de douze ans ne comprendrait pas. Entrainez-vous à
expliquer avec des mots simples des phénomènes complexes (le
conflit du Moyen-Orient, le réchauffement climatique, la crise des
subprimes). Vous pouvez aussi essayer d’expliquer en quoi
consiste votre travail sans utiliser aucun vocable technique.
Demandez à vos interlocuteurs de taper dans leurs mains ou sur la
table lorsque vous utilisez un terme trop complexe.
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D’une façon générale, le discours médiatique est soumis à des
exigences de rapidité, de clarté, de précision, de simplicité,
d’intelligibilité.
Vous n’avez souvent pas plus de 40 secondes pour faire part de votre
idée de façon compréhensible par tous. L’enchaînement est alors le
suivant : l’idée, un développement bref, un exemple, une clôture. Le tout
dans un vocabulaire très simple. Par exemple : « Je crois que les
35 heures doivent être assouplies. La réduction généralisée du temps de
travail a fait perdre de la compétitivité aux entreprises françaises et l’on
doit permettre à ceux qui souhaitent travailler davantage de le faire. C’est
ce que d’autres pays ont fait avec succès et la France ne peut pas
continuer à appliquer de façon uniforme et générale cette durée du
travail. »
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Le discours médiatique occupe une place prépondérante dans la
société. La parole n’a jamais été aussi médiatisée. Cependant prendre la
parole dans les médias n’est pas anodin et requiert une préparation
spécifique.
En amont, il faut bien se renseigner sur les conditions de la prise de
parole. L’émission est-elle en direct ou pas ? De combien de temps vais-
je disposer pour parler ? Qui sont les autres invités ? Comment
l’émission s’organise-t-elle ? Quelle est sa tonalité générale ? Quel est
son public ? Les réponses à ces questions permettront d’adapter le
discours.
N’oubliez pas de vous poser deux questions fondamentales :
« Pourquoi moi ? » et « Pour dire quoi ? ». On est invité parce que l’on
occupe une fonction (je suis le président de telle association), parce
qu’on incarne un point de vue sur la société dont on a souhaité qu’il soit
représenté (je suis contre la GPA) ou parce qu’on a une « actualité » que
l’on souhaite évoquer.
Sur le fond, en fonction du temps de parole dont vous disposez,
définissez les messages que vous voulez absolument faire passer. Ils
peuvent être au maximum de trois. Il faut en connaître auparavant la
formulation. Dites-vous que vous ne quitterez pas l’émission sans les
avoir présentés. Dites-vous également que les questions des journalistes
ne sont qu’un prétexte. Quelles qu’elles soient, vous êtes là pour
transmettre votre message. On a beaucoup ri du dialogue entre Alain
Duhamel et Georges Marchais : « – Ce n’était pas ma question. – Oui
mais c’est ma réponse. » Pourtant, cette phrase est toujours et plus que
jamais d’actualité !
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La médiatisation dans les émissions de divertissement ou de culture ne
répond pas aux mêmes règles. Il y a, si l’émission est en direct, une
excitation, une montée d’adrénaline liée à l’urgence, on n’a pas de
deuxième chance. J’adore participer à des émissions de radio. Cela
suppose une concentration très particulière. Derrière le journaliste, je
pense aux auditeurs, je suis très attentif à faire passer le message. Je fais
la chasse aux mots inutiles, je veille à ne pas ennuyer, à ne pas être
redondant, à ne pas hésiter, à demeurer dans un rythme de parole que
j’apprécie lorsque moi-même j’écoute la radio. Les réponses doivent être
rapides, on n’a pas le droit d’être imprécis. D’émissions en émissions,
j’ai affiné ma pensée, j’ai tenté de trouver des formules qui me paraissent
efficaces telles que « débattre c’est le contraire de se battre » ou « quand
on parle, avant de dire ce que l’on a à dire on dit qui l’on est ». J’ai le
souci d’être en permanence dans le rythme de l’émission. En duplex, ce
n’est pas évident, on doit s’insérer dans une émission, en deux minutes,
être tout de suite dans la tonalité. De plus, j’ai dû adapter mon message
en fonction du type de programme, le public n’est pas le même sur
France Culture, RTL ou dans On n’est pas couché. Mais à chaque fois, je
suis physiquement et intellectuellement tendu vers le message que je dois
délivrer. Je m’efforce de donner le meilleur de moi-même. Pour la cause
que je viens défendre et pour les auditeurs.
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À la sortie du tribunal, face aux journalistes, je ne dispose que de
trente secondes pour résumer tout un dossier et une plaidoirie de vingt
minutes. C’est la quintessence de ce que l’on a plaidé en une formule.
Pour cette affaire, j’ai trouvé deux formules qui me paraissent efficaces :
« La mutilation juridique est le pendant de la mutilation chirurgicale »,
« On ne peut imposer à une personne un état civil qui ne correspond pas à
son état réel ». Le message doit être court, percutant, simple, et il faut
toujours veiller, lorsqu’on est interrogé par un journaliste, à intégrer la
question dans la réponse : la question sera coupée au montage.
Ramasser sa pensée est un très bon exercice. Je suis convaincu qu’on
doit toujours pouvoir expliquer une cause en moins d’une minute. Si l’on
a besoin de plus, c’est que ce n’est pas si clair que cela. Je pense que je
peux résumer en une minute tous mes dossiers.
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Argumenter en fonction du public
On ne parle pas de la même façon selon la personne ou l’assemblée
à laquelle on s’adresse. Le destinataire du discours est-il hostile
(auquel cas je vais devoir le convaincre) ou acquis (auquel cas je
vais devoir le galvaniser) ? Est-il spécialiste de la question que je
vais aborder (auquel cas je n’ai pas à expliquer les bases de mon
idée) ou novice (auquel cas je vais devoir employer des mots
simples) ?
Quelques exercices pour s’entraîner à prendre en compte son
auditoire :
– Soutenir la limitation du bonus des traders : à la fête de l’Huma /
devant l’assemblée générale du MEDEF.
– Défendre la PMA pour les femmes seules : sur un char de la
Marche des fiertés / au Congrès des associations familiales
catholiques.
– Parler de la Joconde : à un peintre amateur / à un moine tibétain /
à un aveugle / à un enfant.
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Utiliser les catégories d’arguments
Argumenter sur un sujet de société en utilisant un argument de droit,
un argument de fait, un argument de valeur, un argument d’émotion
(« Je suis favorable à la généralisation de la garde alternée car le
droit l’autorise, car on constate que cela donne de bons résultats, car
cela manifeste l’égalité entre la mère et le père dans l’éducation de
l’enfant, et car cela permet de ne pas priver l’enfant durablement de
l’affection de l’un de ses deux parents »).
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Quand on est avocat, on ne plaide jamais sa propre cause. Il faut
toujours garder un certain recul pour parvenir à dépassionner le débat.
Rien n’est pire qu’un avocat qui plaiderait la cause de son client comme
la sienne. On le voit d’ailleurs parfois dans les affaires familiales, où des
confrères plaident le divorce de leur client en se souvenant du leur et
perdent toute crédibilité. Au quotidien aussi, rien n’est pire que de coller
à sa cause, sans distance. C’est pourquoi il peut être bon d’avoir recours à
une tierce personne. On n’est pas forcément le meilleur plaideur pour soi-
même. Pour dénouer un conflit, dans les relations humaines, il me semble
judicieux de demander à un tiers ce qu’il pense de vos arguments. Dans
le monde du travail, il faut toujours être assisté. Dès lors que le droit
permet d’être accompagné, il faut saisir cette opportunité parce que
lorsqu’on est impliqué soi-même on n’a pas le recul nécessaire pour bien
jauger la situation et trouver les bons mots. Quand nous nous faisons
notre propre avocat, nous avons tous tendance à charger notre
argumentation d’affect. Le regard d’un tiers est là pour dépassionner.
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Et dans la forme, il existe d’innombrables types d’arguments que les
avocats utilisent et que vous pouvez utiliser à votre tour.
En voici quelques-uns.
Le syllogisme. Il consiste à énoncer une règle générale, à faire état
d’un fait, puis à appliquer la règle générale au cas particulier : « Les
délégués syndicaux ne peuvent être licenciés qu’avec l’autorisation de
l’inspecteur du travail, je suis délégué syndical, vous ne pouvez pas me
licencier sans l’accord de l’inspecteur du travail. »
Le raisonnement par analogie. « La secrétaire de Monsieur X a été
augmentée. J’ai la même ancienneté qu’elle. Je dois être augmentée
aussi. »
L’argument d’autorité. « Tous les économistes disent que les taux
d’intérêt vont remonter. »
L’argument d’incompatibilité. « Si l’on est favorable à la laïcité, on ne
peut tolérer le financement public de l’enseignement privé. »
L’argument de causalité. « L’allégement des charges sociales
permettra de lever les freins à l’embauche et entraînera la diminution du
chômage », « Il n’y a pas de fumée sans feu. »
L’argument a contrario. « Les fumeurs de tabac ne sont pas admis dans
les restaurants, donc les fumeurs de cannabis y sont admis. »
L’argument a fortiori. « Si les fumeurs de tabac ne sont pas admis dans
les restaurants, a fortiori les fumeurs de cannabis ne le sont pas non
plus. »
L’argument ad personam. « Comment croire ce que vous dit ce
délinquant ? »
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Depuis Quintilien, nous savons que les arguments peuvent être classés
en quatre catégories : les arguments de droit (« j’ai le droit de partir à
telle heure de mon travail, parce que c’est prévu dans mon contrat »), les
arguments de fait (« nous devons réduire notre consommation d’énergie
car les énergies fossiles s’épuisent de façon accélérée »), les arguments
de valeur (« tolérer la prostitution, c’est tolérer l’asservissement des
femmes et la marchandisation de leur corps »), et les arguments
d’émotion (« comment pouvez-vous encore consommer de la viande
alors que chacun connaît le spectacle épouvantable de la souffrance
animale ? »).
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Sexe neutre
21 mars 2017. Je suis devant la Cour de cassation. Je plaide une affaire
très médiatisée, qui soulève des questions à la fois d’éthique et de
société. Je défends Gaëtan , un sexagénaire qui est né intersexué – on
disait auparavant « hermaphrodite ». Ses parents voulaient un garçon, à
l’état civil ils l’ont déclaré comme tel. Un peu par hasard. Mais cet état
civil ne correspond pas à son état réel. Gaëtan en a donc demandé la
rectification, pour qu’à la mention « sexe masculin » soit substituée celle
de « sexe neutre ». Ce n’est pas une affaire comme une autre, elle touche
au plus profond de l’identité. L’enjeu est de taille.
Gaëtan n’est ni homme ni femme, ne se sent ni homme ni femme, ne
peut devenir ni homme ni femme, ne veut devenir ni homme ni femme.
Gaëtan revendique une identité intersexuée qu’il souhaite voir reconnue à
l’état civil. Le 20 août 2015, le tribunal de grande instance de Tours lui a
donné raison, mais la décision a été infirmée par la cour d’appel
d’Orléans en mars 2016. On nous oppose que Gaëtan a l’apparence
physique d’un homme, ce qui est faux, puisque Gaëtan n’a pas d’organes
sexuels reproducteurs et que seul un traitement contre l’ostéoporose lui a
conféré une apparence masculine artificielle. On nous dit aussi que
Gaëtan s’est marié avec une femme et a adopté un enfant. Certes, mais
Gaëtan n’a pas cessé d’être intersexe pour autant ! De plus, le mariage et
l’adoption n’ont depuis la loi de mai 2013 sur le mariage pour tous plus
rien à voir avec la différence des sexes. On nous dit que la
reconnaissance du sexe neutre pourrait créer des troubles chez les
personnes concernées. Mais qui mieux que Gaëtan sait ce dont il a
besoin ? Ce raisonnement revient à ériger des peurs pour s’abriter
1
derrière. Et finalement, on nous explique que la question est trop
complexe pour être tranchée par le juge, et que seul le législateur peut la
résoudre. Curieuse conception par le juge de son rôle, qui serait donc
cantonné aux questions simples, et qui pour le reste renverrait le
« mistigri » au Parlement, laissant ainsi des centaines de personnes vivre
avec un état civil purement artificiel.
Je prends la parole. Je plaide une vingtaine de minutes. La nature n’est
pas binaire, pourquoi le droit le serait-il ? Toute ma plaidoirie est
construite sur cette question. Avant de venir à l’audience, j’avais en tête
le début et la fin de ma plaidoirie. J’ai la parole en début d’audience. Je
décide de raconter tout simplement l’histoire de mon client.
Le Parquet général de la Cour de cassation soutient que la binarité est
justifiée « au regard de la finalité majeure d’ordre public de cohérence et
sécurité de l’état-civil garantissant une identification fiable des
personnes ». La loi ne définit pas de troisième sexe. « Il n’appartient pas
au juge, poursuit-il de créer de nouvelles catégories juridiques de
personnes. » À l’audience, l’avocat général souligne que la binarité
homme/femme est déterminante, que le législateur doit établir des
catégories comme homme/femme, majeur/mineur ou jour/nuit… Mais
précisément, le jour et la nuit sont un peu comme l’homme et la femme :
la classification n’épuise pas la réalité dans la binarité puisque entre le
jour et la nuit il y a le crépuscule.
Je modifie donc la fin que j’avais initialement prévue de prononcer.
M’adressant aux juges, je les exhorte une dernière fois : « Ce que je sais
c’est qu’entre le jour et la nuit il y a le crépuscule, et que l’aube vous
appartient. »
Le 4 mai 2017, la Cour de cassation a confirmé l’arrêt de la cour
d’appel d’Orléans. Notre droit persiste donc aujourd’hui à faire entrer de
force des personnes intersexuées dans une binarité qui me paraît
purement artificielle, avec les conséquences que cela a sur le plan
chirurgical : puisque le droit est binaire, les enfants intersexes continuent
d’être mutilés pour entrer, physiquement aussi, dans l’une des deux cases
existantes. Nous avons saisi la Cour européenne des droits de l’homme
(CEDH).
Avec cette affaire, je sens plus que jamais à quel point l’art de la parole
peut être arme de conviction. Dans ce type de plaidoiries, chaque mot
pèse, les enjeux sont bien plus grands que le simple intérêt particulier, il
en va de changements majeurs dans la société.
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Tout d’abord, adaptez-vous à ce que peut et veut entendre votre public.
De la même façon qu’on ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif, on ne
force pas un auditoire à entendre des arguments qu’il ne veut pas
entendre. L’art de l’orateur, c’est l’art de convaincre le public au moyen
d’arguments auxquels il sera sensible.
Dans l’Antiquité, les Grecs avaient déjà compris que le discours (le
logos) dépendait à la fois de l’image que l’orateur voulait donner de lui-
même (l’éthos) et des passions de l’auditoire (le pathos). Et Aristote de
dépeindre les arguments qui toucheront les jeunes (« ils sont enclins à la
colère et à l’emportement »), les vieux (« ils ont l’esprit étroit, ayant été
rabaissés par la pratique de la vie »), les riches (« on devient arrogant et
hautain »), les nouveaux riches (« un penchant tantôt à l’arrogance, tantôt
à l’intempérance, qui les porte soit aux voies de fait, soit au
libertinage ») !
Les avocats ne plaident pas de la même façon devant des juges
professionnels ou devant des jurés populaires. Demandez-vous d’abord
ce que vos interlocuteurs ont envie d’entendre. Sont-ils plutôt sensibles
aux arguments de bon sens, de philosophie, d’argent, de pouvoir ?
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21 mars 2017. Je suis devant la Cour de cassation. Je plaide une affaire
très médiatisée, qui soulève des questions à la fois d’éthique et de
société. Je défends Gaëtan , un sexagénaire qui est né intersexué – on
disait auparavant « hermaphrodite ». Ses parents voulaient un garçon, à
l’état civil ils l’ont déclaré comme tel. Un peu par hasard. Mais cet état
civil ne correspond pas à son état réel. Gaëtan en a donc demandé la
rectification, pour qu’à la mention « sexe masculin » soit substituée celle
de « sexe neutre ». Ce n’est pas une affaire comme une autre, elle touche
au plus profond de l’identité. L’enjeu est de taille.
Gaëtan n’est ni homme ni femme, ne se sent ni homme ni femme, ne
peut devenir ni homme ni femme, ne veut devenir ni homme ni femme.
Gaëtan revendique une identité intersexuée qu’il souhaite voir reconnue à
l’état civil. Le 20 août 2015, le tribunal de grande instance de Tours lui a
donné raison, mais la décision a été infirmée par la cour d’appel
d’Orléans en mars 2016. On nous oppose que Gaëtan a l’apparence
physique d’un homme, ce qui est faux, puisque Gaëtan n’a pas d’organes
sexuels reproducteurs et que seul un traitement contre l’ostéoporose lui a
conféré une apparence masculine artificielle. On nous dit aussi que
Gaëtan s’est marié avec une femme et a adopté un enfant. Certes, mais
Gaëtan n’a pas cessé d’être intersexe pour autant ! De plus, le mariage et
l’adoption n’ont depuis la loi de mai 2013 sur le mariage pour tous plus
rien à voir avec la différence des sexes. On nous dit que la
reconnaissance du sexe neutre pourrait créer des troubles chez les
personnes concernées. Mais qui mieux que Gaëtan sait ce dont il a
besoin ? Ce raisonnement revient à ériger des peurs pour s’abriter
1
derrière. Et finalement, on nous explique que la question est trop
complexe pour être tranchée par le juge, et que seul le législateur peut la
résoudre. Curieuse conception par le juge de son rôle, qui serait donc
cantonné aux questions simples, et qui pour le reste renverrait le
« mistigri » au Parlement, laissant ainsi des centaines de personnes vivre
avec un état civil purement artificiel.
Je prends la parole. Je plaide une vingtaine de minutes. La nature n’est
pas binaire, pourquoi le droit le serait-il ? Toute ma plaidoirie est
construite sur cette question. Avant de venir à l’audience, j’avais en tête
le début et la fin de ma plaidoirie. J’ai la parole en début d’audience. Je
décide de raconter tout simplement l’histoire de mon client.
Le Parquet général de la Cour de cassation soutient que la binarité est
justifiée « au regard de la finalité majeure d’ordre public de cohérence et
sécurité de l’état-civil garantissant une identification fiable des
personnes ». La loi ne définit pas de troisième sexe. « Il n’appartient pas
au juge, poursuit-il de créer de nouvelles catégories juridiques de
personnes. » À l’audience, l’avocat général souligne que la binarité
homme/femme est déterminante, que le législateur doit établir des
catégories comme homme/femme, majeur/mineur ou jour/nuit… Mais
précisément, le jour et la nuit sont un peu comme l’homme et la femme :
la classification n’épuise pas la réalité dans la binarité puisque entre le
jour et la nuit il y a le crépuscule.
Je modifie donc la fin que j’avais initialement prévue de prononcer.
M’adressant aux juges, je les exhorte une dernière fois : « Ce que je sais
c’est qu’entre le jour et la nuit il y a le crépuscule, et que l’aube vous
appartient. »
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Son rôle est de représenter la société. Ce n’est donc pas une partie
privée et il est d’ailleurs incarné par des magistrats et non par des
avocats. Le ministère public (on dira « Madame/Monsieur l’officier du
ministère public » devant le tribunal de police, « Madame/Monsieur le
procureur » devant le tribunal correctionnel, « Madame/Monsieur
l’avocat général » devant la cour d’assises et la cour d’appel) est chargé
de « porter l’accusation », c’est-à-dire de démontrer, s’il en est
convaincu, la culpabilité de celui qui est poursuivi. Il va également
requérir une peine, qu’il devra justifier au regard des faits et de la
personnalité de la personne poursuivie. Si aux termes des débats il estime
en conscience que le prévenu ou l’accusé ne doit pas être condamné, il
requiert sa relaxe (devant le tribunal de police et le tribunal correctionnel)
ou son acquittement (devant la cour d’assises). Ces réquisitions sont de
simples propositions : la juridiction peut aller en deçà ou au-delà et
condamner en dépit de réquisitions de relaxe ou d’acquittement.
L’éloquence du ministère public sera à la fois technique (puisqu’il
s’agira de fonder, au regard des pièces du dossier et du déroulement de
l’audience, les réquisitions de condamnation ou de non-condamnation) et
sociologique (puisqu’il s’agira de démontrer en quoi l’infraction
poursuivie constitue une atteinte grave à l’intérêt social, aux règles qui
doivent présider à la vie en société).
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On dit en première instance : « Madame/Monsieur le Président,
Mesdames/Messieurs du Tribunal » et devant la cour d’appel et la Cour
de cassation « Madame/Monsieur le Président, Mesdames/Messieurs les
Conseillers ». Toute utilisation du « Votre honneur » est à proscrire de ce
côté-ci de l’Atlantique !
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La parole judiciaire est extrêmement codifiée, ritualisée, il y a des
lieux pour parler, des moments pour parler, des ordres de prise de parole.
Chaque acteur du procès sait ce qu’il peut dire, et dans quel cas. Comme
au théâtre, chacun a un rôle. À ceci près qu’il s’agit du théâtre de la
réalité.
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Des centaines de livres et d’articles ont été consacrés à l’écoute active,
depuis sa théorisation par le psychologue américain Carl Rogers dans les
années 1960. Il n’est pas question, dans le cadre de cet ouvrage, d’y
revenir très longuement, mais seulement de rappeler quelques règles
essentielles qui vous permettront d’animer mieux une réunion, ou de
conduire plus efficacement un entretien.
La première condition de l’écoute active est l’empathie et la
compréhension. Ne mettez pas en cause l’authenticité de votre
interlocuteur. S’il vous confie : « Je ne me sens pas à ma place dans cette
entreprise », ne le renvoyez pas d’une bourrade dans le dos en lui
lançant : « Mais tu racontes n’importe quoi ! » Au contraire, écoutez-le
en ponctuant de formules du type « je vois » ou « je comprends » qui
traduisent un intérêt et une considération pour le discours de l’autre.
La deuxième condition de l’écoute active est la capacité à reformuler
les propos de l’interlocuteur pour le conduire à préciser et compléter sa
pensée. Une règle d’or : pas de questions fermées (sauf si vous avez
besoin d’une information précise) du type « mais tu as de bonnes
relations avec X, oui ou non ? », mais des questions de relance qui
permettent de faire avancer la discussion : « depuis quand ressens-tu cette
difficulté ? », « comment se manifeste-t-elle ? ».
La reformulation peut prendre plusieurs formes.
La reformulation-reflet qui montre à son interlocuteur que l’on cherche
à comprendre exactement son discours : « donc si je vous comprends
bien… ».
La reformulation-écho qui s’appuie sur un terme fort pour amener un
développement : « – Depuis six mois, je suis placardisé. – Placardisé ?
Mais encore ? »
La reformulation-clarification : « – Je n’ai aucune reconnaissance de
mon travail. – Ce que tu souhaites, c’est avoir des responsabilités / une
autonomie plus importante ? »
La reformulation-synthèse : « En somme, ce qui pose difficulté, c’est
ton positionnement hiérarchique dans l’entreprise. »
Ces techniques bien connues et éprouvées de longue date vous seront
très utiles si vous parvenez à les mettre en œuvre avec les mots
appropriés et la formulation la plus adéquate.
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Une fois que l’on est ainsi renseigné, on peut commencer à élaborer
une stratégie, qu’il s’agisse d’une stratégie de négociation, de médiation
ou de contentieux.
C’est l’aspect le plus délicat de notre métier. Comment traduire des
événements de la vie – familiale, commerciale, professionnelle,
quotidienne – en concepts juridiques, en catégories de droit existantes ?
Comment transformer une parole foisonnante, qui correspond au ressenti
du client, en des qualifications juridiques abstraites ? Et aussi, comment
sélectionner les arguments qui nous paraissent pouvoir être utilement
présentés au juge ?
Car l’avocat est un filtre. Un double filtre, d’ailleurs. D’une part, il a
pour mission de sélectionner, parmi toutes les informations qu’il reçoit de
son client, celles qui sont susceptibles de constituer des arguments utiles
dans une négociation ou un contentieux. D’autre part, il doit être en
mesure de les formuler de telle façon qu’ils puissent être compris par le
juge. La parole est ici essentielle : tant que je n’ai pas parfaitement
compris la situation, parfois technique, de mon client, je ne peux
l’expliquer au juge.
Lors de la rencontre avec le client, j’explique tout cela : la nécessité de
sélectionner les arguments, de les formuler de façon intelligible. Le client
a parfois du mal à le comprendre, et voudrait que l’on explique tout, avec
ses mots à lui, au juge. C’est là que joue l’autorité de l’avocat. Lutter
contre la tentation naturelle de dire au client ce qu’il a envie d’entendre.
Faire comprendre que l’on est mieux à même que le client de définir ce
qui est susceptible de servir ses intérêts, d’une part parce qu’on détient
une compétence particulière et d’autre part parce qu’on dispose du recul
nécessaire (c’est en raison de la nécessité absolue de ce recul que les
avocats, sauf très rares exceptions, ne se défendent pas eux-mêmes
lorsqu’ils ont affaire à la justice, mais s’attachent les services d’un
confrère). Et pour autant arriver à ce que le client ait le sentiment d’avoir
été entendu.
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