Bertrand Russell

Examinez de près l'attitude irrationnelle et soyez bien décidé à ne pas la respecter ni à vous laisser dominer par elle. Si elle jette des pensées ou des sentiments absurdes dans votre conscience, extirpez-les avec les racines, examinez-les et rejetez-les. Vous ne devez pas vous permettre de rester une créature vacillante, dominée en partie par la raison et en partie par des sottises infantiles. Ne craignez pas d'éprouver de l'irrévérence envers la mémoire de ceux qui ont contrôlé votre enfance.

[Le civilisé] sait qu'il existe quelque chose de supérieur à lui, presque à la portée de sa main, et cependant il ne sait où s'adresser ni comment le trouver. En désespoir de cause, il s'emporte contre son semblable qui est tout aussi perdu et malheureux. Nous avons atteint dans l'évolution un stade qui n'est pas le stade final. Nous devons le dépasser rapidement car si nous ne le faisons pas, grand nombre d'entre nous vont se perdre dans une forêt de doute et de peur. C'est pourquoi l'envie, aussi nuisible qu'elle soit en elle-même et dans ses effets, n'est pas entièrement l'oeuvre du diable. Elle est en partie l'expression d'une souffrance héroïque, souffrance de ceux qui marchent à l'aveuglette dans la nuit, peut-être vers une demeure plus sûre, peut-être vers la mort et la destruction. Pour trouver le chemin qui le sortirait de ce monde de désespoir, L'homme civilisé doit enrichir son coeur comme il a élargi son esprit. Il doit apprendre à se surpasser, et, en le faisant, à acquérir la liberté de l'univers.

Tous ceux qui veulent accroître le bonheur humain doivent vouloir que l'admiration s'accroisse et que l'envie diminue.

L'envie est à la base de la démocratie.

... toute peur empire si on ne l'examine pas. L'effort d'écarter ses pensées est le tribut payé à l'horreur du spectre dont on détourne son regard ; la marche à suivre pour lutter contre toute peur est d'y penser calmement et rationnellement mais avec un grande concentration jusqu'à ce qu'elle soit devenue tout à fait familière. A la fin, l'habitude va amortir ce que la peur a de terrible ; le sujet tout entier deviendra ennuyeux et nos pensées se détourneront, non pas comme précédemment par un effort de la volonté, mais par le simple manque d'intérêt pour la question. Si vous vous sentez enclin à nourrir des idées sombres sur toutes choses, le meilleur procédé est d'y penser encore plus que vous ne le feriez naturellement, jusqu'à ce que la fascination morbide en soit épuisée.

Nos actes ne sont pas aussi importants que nous le croyons spontanément ; après tout, nos réussites et nos échecs ne comptent pas beaucoup. [...] L'homme qui peut concentrer ses pensées et ses espoirs sur quelque chose de transcendant par rapport à lui-même, peut atteindre une certaine paix au sein des ennuis habituels de la vie, ce qui est impossible à l'égoïste pur.

Volontairement ou involontaire, par choix ou par nécessité, la plupart des gens de nos jours mènent une vie énervante et sont toujours trop fatigués pour pouvoir s'amuser sans l'aide de l'alcool.

Une autre cause qui provoque la fatigue sans que nous nous en apercevions, est la présence constante d'étrangers. L'instinct naturel de l'homme, comme celui des autres animaux, est d'examiner chaque inconnu de son espèce dans l'intention de décider s'il se conduira envers lui en ami ou en ennemi. Cet instinct doit être refoulé par ceux qui voyagent dans le métro aux heures d'affluence et ce refoulement fait qu'ils ressentent une rage générale et diffuse envers tous les inconnus avec lesquels ils sont involontairement mis en contact.

... une génération incapable de supporter l'ennui sera une génération d'hommes médiocres, d'hommes qui ont rompu à tort avec le lent processus de la nature, d'hommes.dont toutes les impulsions vitales se fanent lentement comme s'ils étaient des fleurs coupées dans un vase.

La capacité à endurer une vie plus ou moins monotone devrait être acquise dès l'enfance. A cet égard, les parents modernes sont grandement à blâmer ; ils offrent à leurs enfants beaucoup trop d'amusements passifs tels que les spectacles et les friandises, et ne se rendent pas compte combien il est important pour l'enfant que tous ses jours se ressemblent, excepté, bien entendu, à quelques rares occasions.

L'opposé de l'ennui est, pour conclure, non pas le plaisir, mais l'excitation.

Une des marques essentielles de l'ennui est le contraste entre les circonstances actuelles et d'autres circonstances actuelles et d'autres circonstances plus agréables qui exercent une pression irrésistible sur notre imagination.

L'ennui en tant qu'il constitue un facteur du comportement de l'homme, a reçu à mon avis, bien moins d'attention qu'il ne le mérite. il a été, je pense, une des grandes forces motrices dans l'histoire du monde et, de nos jours, il l'est plus que jamais. L'ennui semble être une émotion purement humaine.

Ceux à qui leur conception de la vie procure si peu de bonheur qu'ils ne désirent pas engendrer des enfants sont biologiquement condamnés. Sous peu, ils devront être remplacés par quelque chose de plus gai et joyeux.

Prenez un exemple simple, celui de l'investissement. Presque tous les Américains préféreraient obtenir huit pour cent d'un investissement hasardeux que quatre pour cent d'un investissement qui serait sûr. Il en résulte de fréquentes pertes d'argent et des soucis et tracas continuels. Pour ma part, ce que je voudrais obtenir de l'argent, ce sont des loisirs et le sentiment de sécurité. Mais le but de l'homme typiquement moderne est d'obtenir de l'argent, encore plus d'argent afin de pouvoir étaler son fate et éclipser ceux qui ont été jusqu'ici ses égaux.

... non seulement l'amour est une source de joie, mais son absence est aussi une source de douleur. En second lieu, l'amour doit être estimé parce qu'il enrichit les plaisirs les plus fins, tels que la musique, le lever du soleil sur les montagnes et la mer au clair de lune. Un homme qui n'a jamais goûté la vue de belles choses en compagnie de la femme aimée n'a pas senti pleinement le pouvoir magique dont ces choses sont capables. De plus, l'amour est capable de briser la dure écorce du moi, puisqu'il est une forme de collaboration sur le plan biologique où les émotions et les réalisations des fins imposées par l'instinct des deux partenaires doivent se compléter.

... se passer de certaines choses que l'on désire est un élément indispensable au bonheur.

Je voudrais persuader le lecteur que, quels que puissent être les arguments, la raison n'est pas un obstacle au bonheur ; bien plus, je suis persuadé que ceux qui, en toute sincérité, attribuent leurs peines à leurs vues sur l'univers, mettent la charrue avant les boeufs ; la vérité est qu'ils sont malheureux pour un motif dont ils ne sont pas conscients et ce mal les mène à s'étendre longuement sur les caractéristiques moins agréables du monde dans lequel ils vivent.

La volonté de puissance, dans des limites raisonnables, peut contribuer grandement au bonheur ; mais prise comme seul but de la vie, elle mène à la ruine morale sinon extérieure.

Il est reconnu que la boisson et l'intimité mènent à la gaieté ; aussi les gens s'enivrent-ils rapidement et essaient de ne pas voir combien leurs compagnons les dégoûtent. Après avoir absorbé force boissons, les hommes se mettent à verser des larmes et à déplorer combien ils sont indignes moralement de l'amour de leur mère. Tout ce que l'alcool fait pour eux, c'est de libérer le sentiment de culpabilité qui, en temps normal, est étouffé par la raison.