Citations de Birago Diop (65)
Si M’Bam-l’Âne n’avait jamais pu lire, s’il n’avait pu apprendre beaucoup, il avait retenu et retenait très bien le peu qu’il avait appris.
Tout d’abord il avait appris chez lui que si ceux de sa famille avaient été dotés d’oreilles de la taille de celles que chacun y portait, c’était pour bien entendre et mieux s’entendre même au milieu des plus assourdissants braiements.
Il avait appris que ce qui entrait par l’oreille restait plus sûrement dans la tête et dans la mémoire que ce que l’œil regardait ou croyait voir et qui souvent n’était que leurre.
Désert
« Dieu seul est Dieu, Mohammed rassoul Allah ! »
La voix du Muezzin bondit sur les dômes,
S’enfle, s’étend, puis s’éteint au loin là-bas... »
Lentement se courbent les corps de nos hommes...
Rythme le morne chœur assourdi et las,
Et les pointes noires des cases en chaume
Frangent l’horizon que nous n’atteindrons pas.
Sur le désert et dans l’infini des âges
Titubant ainsi dans le sable sans fin
Aborderons-nous à de lointains rivages ?
Irons-nous ainsi chaque jour vers demain ?
Vers des haltes lointaines, de lointains havres
Où nos rêves ne seront que des cadavres ?
Quand la Poule suit ceux qui vont ramasser du bois mort, c’est qu’elle n’a pas vu celles qui pilent le grain
Le chant des Rameurs
J’ai demandé souvent
Écoutant la Clameur
D’où venait l’âpre chant
Le doux chant des Rameurs.
Un soir, j’ai demandé aux jacassants corbeaux
Où allait l’âpre chant, le doux chant des Bozos,
Ils m’ont dit que le Vent, messager infidèle
Le déposait tout près dans les rides de l’Eau ;
Mais que l’eau désirant demeurer toujours belle
Efface à chaque instant les replis de sa peau.
J’ai demandé souvent
Écoutant la Clameur
D’où venait l’âpre chant
Le doux chant des Rameurs.
Un soir, j’ai demandé aux verts Palétuviers
Où allait l’âpre chant des Rudes Piroguiers ;
Ils m’ont dit que le Vent, messager infidèle
Le déposait très loin, au sommet des palmiers ;
Mais que tous les palmiers ont les cheveux rebelles
Et doivent tout le temps peigner leurs beaux cimiers.
J’ai demandé souvent
Écoutant la Clameur
D’où venait l’âpre chant
Le doux chant des Rameurs.
Un soir, j’ai demandé aux complaisant Roseaux
Où allait l’âpre chant, le doux chant des Bozos,
Ils m’ont dit que le Vent, messager infidèle
Le confiait là-haut, à un petit oiseau ;
Mais que l’Oiseau, fuyant dans un furtif coup d’ailes,
L’oubliait quelquefois dans le ciel indigo.
Et depuis, je comprends
Écoutant la Clameur
D’où venait l’âpre chant
Le doux chant des Rameurs.
Si tu ne fais la Charité à l’aveugle, ne lui enlève pas au moins son aumône.
Tout arrive décidément en ce monde. En ce pays plein d’herbe et d’eau, d’où la maladie s’est enfuie depuis des lunes et des lunes il ne meurt plus une bête même pas la plus vieille des vaches de ce malheur de Malal-le-Berger ; et Laobé le creuseur de bois surveille trop bien ses ânes ; plus un seul bout de fesse à emporter depuis plus d’une lune...
Trop parler est toujours mauvais ; ne point se faire entendre est souvent source de désagréments, de même que ne pas comprendre ce que dit une autre bouche.
Le feu du bois que l’on a soi-même abattu et débité semble plus chaud qu’aucun autre feu…
Un soir j'ai demandé aux jacassants Corbeaux
Où allait l'âpre Chant, le doux Chant des Bozos;
Ils m'ont dit que le Vent messager infidèle
Le déposait tout près dans les rides de l'Eau,
Mais que l'Eau désirant demeurer toujours belles
Efface à chaque instant les replis de sa peau.
Si je n'ai pu mettre dans ce que je rapporte l'ambiance où baignaient l'auditeur que je fus et ceux que je vis, attentifs, frémissants ou recueillis, c'est que je suis devenu homme, donc un enfant incomplet, et partant, incapable de recréer du merveilleux. C'est que surtout il me manque la voix, la verve et la mimique de mon vieux griot.
Dans la trame solide de ses contes et de ses sentences, me servant de ses lices sans bavures, j'ai voulu, tisserand malhabile, avec une navette hésitante, confectionner quelques bandes pour coudre un pagne sur lequel grand-mère, si elle revenait, aurait retrouvé le coton qu'elle fila la première ; et où Amadou Koumba reconnaîtra, beaucoup moins vifs sans doute, les coloris des belles étoffes qu'il tissa pour moi naguère.
Mais... mais les plus vieux du pays affirmaient cependant aux temps anciens : « Qui descend de son canari brisera tout autre canari qu’il chevauchera ! » Les temps ayant changé, et vivre étant devenu moins facile, les moins vieux, plus près des jours de nos pères, soutenaient pour leur part : « Qui descend de son canari trouvera occupé par son propriétaire tout autre canari qu’il abordera.»
Lentes, lentes des barques glissent
Ainsi que de lointains remords
Et des rêves d'amour se tissent
Sur la trame des rêves morts.
Le lent lamento langoureux du saxophone
Égrène de troubles et indistincts accords
Et son cri rauque, saccadé ou monotone,
Réveille parfois un désir qu'on croyait mort.
Arrête Jazz, tu scandes des sanglots, des larmes
Que les cœurs jaloux veulent garder seuls pour eux.
Arrête ton bruit de ferraille. Ton vacarme
Semble une immense plainte où naît un aveu.
Fidélité
Les phalènes
Sont folles
Qui voltent et qui volent
A perdre haleine,
Qui volent et se collent
Sur la lampe à pétrole…
Ces phalènes sont folles.
Et le vent est dément
Qui sait un chant
Un chant touchant,
Qui sait un chant touchant
Qu’il siffle sur deux temps
Et le souffle en sifflant
Aux feuilles doucement…
Le vent est bien dément.
Mais le poisson
Lui qu’est-il donc
Est-il fou est-il sage
Qui naît et nage
Qui file gaiement
Qui file et va
Qui va et s’ébat
Qui s’ébat bêtement
Dans l’eau qui le cuira ?
Moi suis-je fou
Qui crois à tout
Qui crois en toi
Moi qui crois tout en toi ?
Mais suis-je fou
Moi qui écoute tout
Qui écoute ta voix
Moi qui t’écoute
Qui t’écoute toute ?
Les phalènes sont folles
Et le vent est dément…
Mais le poisson et moi
Sommes-nous fous vraiment ?
La honte pèse trop lourd.
Quand il y a trop à ramasser, se baisser devient malaisé.
La continence est une vertu bien belle, sans aucun doute, mais c’est une bien piètre compagne.
Le bonheur n'a pas besoin de s'étaler ou de courir les chantiers pour attirer sur soi ses deux ennemis : l’œil et la langue
Hélas les larmes non tombées
Peu à peu corrodent le coeur
Comme une pierre imbibée
D'infernales liqueurs.
Quel cœur entendrait nos vastes clameurs ?
Quelle oreille nos colères chétives
Qui restent en nous comme des tumeurs
Dans le fond noir de nos gorges plaintives ?