Lorsque ma sœur m’a offert ce petit livre, j’ai souri en regardant la couverture. Un chien habillé comme un homme portant de grosses lunettes évoquait chez moi une histoire loufoque à souhait. On croirait qu’il s’apprête à vomir une thèse de 1000 pages sur un ton désopilant. J’étais amusée mais surtout intriguée. Avais-je trop d’imagination ?
Résumé de la quatrième de couverture:
Un énorme chien à tête d’ours, obsédé et très mal élevé, débarque un soir dans la famille en crise d’Henry J. Molise, auteur quinquagénaire raté et désabusé. Dans leur coquette banlieue californienne de Point Dume, ce monstre attachant s’apprête à semer un innommable chaos. Un joyau d’humeur loufoque et de provocation ravageuse.
Suivait une citation d’un journaliste du Figaro Magazine : « C’est à la fois drôle, ironique, tragique, bouleversant et merveilleusement écrit. A lire de toute urgence ».
Mon avis :
Henry J. Milouse est le narrateur de cette petite histoire. Fils d’immigré italien, cet homme est écrivain, marié, il possède une grande maison proche de la mer, il conduit une Porsche, il à quatre enfants: Tina, Dominic, Denny et Jamie…Il pourrait incarner le rêve américain. Seulement, ce n’est pas le cas. Il est au contraire loin de le représenter puisque les traites de la voiture ne sont pas finies d’être payées, l’écrivain n’a rien produit depuis un certain nombre d’années, tous ses enfants sont totalement irrespectueux envers lui et son couple est en train d’exploser. Face à tous ces déboires, Henry pense à la ville qui a vu grandir ses ancêtres, Rome. Il a toujours voulu y aller. Comme il déteste la vie qu’il mène, la tentation de fuir en laissant tout en plan est forte. Il fait des projets de s’installer là-bas. Il cherche à économiser.
Et puis arrive un chien dans son jardin :
« un très gros chien au poil fourni, marron et noir, doté d’une tête massive et d’un court museau noir aplati, une tête mélancolique à la sombre gueule d’ours ».
Ce chien effraie la maisonnée, particulièrement sa femme. Henry pense à s’en débarrasser, appeler untel… Mais il change d’avis. Seul le chien semble comprendre Henry. Alors Henry s’attache à cet animal étrange, cette bête informe qu’il a bien du mal à qualifier (une" bête" ?, un "monstre" ?). Ce chien s’avère être un véritable obsédé sexuel, qui est attiré plus particulièrement par la gente masculine, un chien qu’ils surnomment « stupide » et qui a pour véritable nom: « Tu le regretteras ».
L’arrivée du chien est pour notre narrateur, complètement paumé, une bouffée d’air et pour le lecteur, une vraie partie de rigolade. Son comportement ainsi que les descriptions que le narrateur en fait sont vraiment hilarantes. J’ai en tout cas bien ri. Non seulement ces passages sont plaisants, mais ils sont surtout très bien écrits.
Alors que le narrateur se focalise sur un chien énorme qu’il trouve dans son jardin et qu’il cherche un moyen pour le garder auprès de lui, on découvre un homme prêt à n’importe quoi pour réussir sa vie qu’il considère comme ratée. Le chien devient le symbole de plein de choses : l’amour que le narrateur n’a pas réussi à offrir à autrui, l’amour dont il a manqué auparavant, la réussite sociale qu’il n’a plus. Le récit devient bientôt la recherche du plaisir dans un endroit où les repères changent rapidement de trajectoire. Totalement décontenancé par des points de références qu’il considérait immuables et qui maintenant le dépassent, notre narrateur a envie de tout quitter et de partir pour Rome. Savoir que sa fille fréquente un homme qui lui déplait, avoir l’un de ses fils qui esquive les devoirs d’écoles en les faisant réaliser par sa mère, supporter son autre fils qui épouse une femme noire alors que lui et sa femme sont racistes sont des éléments qui, parmi d’autres, finissent en effet par étouffer le narrateur. Le narrateur, perdu, connaît alternativement diverses émotions contradictoires, la première étant la confusion.
Direct et anticonformiste à souhait, Fante se révèle un écrivain capable de livrer un récit plein d’émotions passionnées derrière un verni peu reluisant, utilisant des mots assez crus la plupart du temps. Pour autant, peut-on réduire Fante à de la vulgarité ? Certes non.
La plume de l’auteur est tranchante de plaisir et de désespoir. Elle nous fait découvrir une Amérique dégénérescente. Les phrases peuvent être tour à tour émouvantes, délicieusement drôles et soudainement tristes, procédé normal lorsqu’on veut présenter Henry J. Milouse comme la caricature parfaite de l’antihéros, personnage haut en couleur, doté d’une passion presque incontrôlable pour la vie, comme on peut le constater au travers de mots percutants et très caustiques. Voici un court récit délicieusement purgatif qui réconforte même le plus déprimé des lecteurs. Alors, même si la colère ou la frustration vont souvent de pair ici, le lecteur en ressort cependant sans dommages. Il assiste au contraire à la description d’un pan de l’histoire américaine. Rappelez-vous, l’action est censée se situer dans les années 1960.
Le fils d’immigrés italiens vit en banlieue avec sa famille. Il possède une voiture de luxe. Cependant, tout va mal autour de lui. Il incarne en fait la vieille Amérique. Il est totalement perdu devant ses enfants qui parlent de drogues ou de sexe. Ses enfants incarnent l’avenir américain et sont la traduction du changement qu’ont vécu les américains dans les années 1960 et qui a connu son apogée lors de la guerre du Vietnam. L’Amérique revoyait alors ses fondements remis en cause (l’autorité, les relations raciales, les relations sexuelles ainsi que les droits des femmes, les drogues, ou la définition même du rêve américain).
Pour autant, peut-on réduire Mon Chien Stupide à une description de l’histoire américaine ? Certes non.
Voilà donc un récit dont il est difficile de parler tant le style cinglant fait passer rapidement du rire aux larmes, de l’horreur à la gêne. Ce livre fait vivre au lecteur toute une palette d’émotions disparates et on n’en sort pas indemne. C’est un véritable déluge émotionnel que ce petit roman. John Fante nous offre ici un court récit totalement euphorisant. Derrière son apparence trash, cynique, complètement originale avec un sens de la dramaturgie particulièrement bien prononcé, ce livre soulève de véritables questions. Nous découvrons, amusés et tristes, une crise de la maturité vécue par un père de famille perdu au milieu d’une famille qui se disloque. On pourrait croire que ce livre porte sur un chien vu le titre mais ce n’est pas vraiment le cas. Ce livre s’appuie sur le chien « Stupide », dont l’épithète est en contradiction avec ce qu’il représente véritablement par rapport à l’analyse de la société américaine et de l’homme, c’est à dire les angoisses du narrateur/auteur qu’il met à jour… Personnellement, j’ai adoré !
Dès les premiers mots, j‘ai été tour à tour terrifiée et ravie. J’ai été profondément remuée par cette grande sensibilité déployée tout au long du livre. Jouant sur les provocations du narrateur, l’auteur délivre un message subtil qui joue perpétuellement sur les contrastes de tons.
Déroutant de par sa simplicité apparente, John Fante cache ici beaucoup plus qu’il n’y paraît et mérite que je m’y attarde un peu.
Lorsque j’avais 17 ans, un proche m’a fortement conseillé de lire Buckowski. J’ai commencé un livre pris au hasard et j’ai de suite eu la nausée.
-C’est génial, hein ? Continuait-il de me répéter.
-Oui, si on aime les obscénités.
Il m’a dévisagée et je me suis sentie étrangement stupide, car visiblement incapable de déceler la beauté derrière un fatras que je qualifiais à l’époque d’ordures. J’avais dû lire les vingt premières pages. Je n’ai plus jamais touché aux œuvres de Charles Buckowski depuis.
Aujourd’hui, je viens de lire rapidement Mon Chien Stupide. En farfouillant dans la vie de l’auteur, je découvre que Charles Buckowski vouait un véritable culte à John Fante. Je comprends mieux la comparaison qui se forgeait naturellement entre les deux dans mon esprit.
Des années après avoir découverte Buckowski avec seulement vingt pages de lues, son style est resté ancré dans ma mémoire.
John Fante semble vouloir que je renoue avec Buckowski… J’ai peut-être tout simplement évolué, vécu certaines choses qui me permettent d’apprécier aujourd’hui ces deux écrivains en étant capable de voir au-delà des apparences. Fante et Buckowski s’apprécient-ils après un certain vécu ? Possible. Il est vrai que la lecture de leurs œuvres ne se fait pas toujours en douceur.
Il y a des livres qui à des moments de la vie passent inaperçus alors que d’autres nous marquent en raison des sentiments qu’ils procurent. Ce livre fut pour moi une véritable révélation. Je ne suis plus la femme d’il y a six ans. Je ne suis même pas certaine de ressembler à celle croisée il y a trois mois. J’ai changé. J’ai vécu. Ce livre m’a fait renouer avec une certaine période de ma vie, toujours présente et affligeante de douleurs. La vulgarité qu’elle m’inspire, les sentiments passionnés qu’elle décrit, la rage de vivre qui la définit…
Lire ce livre fut pour moi pareil à un acte d’hospitalisation. Maintenant je comprends mieux. « Blessed » est le mot qui définit parfaitement ma rencontre avec Mon Chien Stupide.
Alors, même s’il y a de fortes chances pour que cette révélation ne se répète pas avec vous, j’espère vous avoir montré l’intérêt que peut procurer Fante, ou à défaut Buckowski. Tous deux sont délicieusement purgatifs. Et qui sait ce que vous y trouverez… Un trésor se cache peut être derrière un tas d’immondices…
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