
Plus les salaires sont bas, plus les conditions sont abusives. Les travailleurs des secteurs de l’alimentation et de l’hôtellerie, de l’agriculture, de la construction, des services domestiques, des centres d’appels, de l’industrie du vêtement, des entrepôts, de la vente au détail, des services de pelouse, des prisons, de la santé et d’aide à la personne sont les plus touchés. Walmart, par exemple, qui emploie près de 1 % de la main-d’œuvre américaine (1,4 million de travailleurs), interdit les conversations de couloir qu’il qualifie de « vol de temps ». Le géant de l’industrie alimentaire Tyson empêche ses travailleurs de prendre des pauses toilette, ce qui les oblige à uriner sur eux-mêmes ; en conséquence, certains travailleurs doivent porter des couches. Les travailleurs plus âgés et intérimaires qu’Amazon emploie souvent sont soumis à des cadences exténuantes de 12 heures d’affilé au cours desquelles les moindres faits et gestes de l’employé sont scrutés électroniquement en vue de maintenir la productivité horaire. Certains travailleurs d’Amazone marchent des kilomètres sur un sol en béton et doivent souvent s’agenouiller pour faire leur travail. Ils souffrent souvent de blessures handicapantes suite à cela. Les employés blessés signent des décharges (indiquant que les blessures constatées ne sont pas liées au travail) avant de se faire licencier. Deux tiers des travailleurs des secteurs à bas salaires sont victimes de vols de salaires, perdant un montant estimé à 50 milliards de dollars par an. De 4 à 14 millions de travailleurs américains, sous la menace de réductions salariales, de fermetures d’usines ou de licenciements, ont subi des pressions de la part de leurs employeurs pour soutenir des candidats et des causes politiques favorables aux entreprises.
Il nous faut entrer dans la désobéissance civile organisée et nous engager dans des formes de non-coopération afin d’affaiblir le pouvoir de ces grandes entreprises. Nous devons avoir recours, comme en France, à une instabilité sociale généralisée et dans la durée pour contrer le dessein de nos grands patrons. Nous devons nous libérer de notre dépendance aux grandes entreprises afin de bâtir des communautés solidaires indépendantes et des formes de pouvoir alternatives. Nous serons d’autant plus libres que notre besoin des grandes entreprises diminue. Cela sera vrai dans tous les aspects de notre vie, y compris la production alimentaire, l’éducation, le journalisme, l’expression artistique et le travail. La vie devra être communautaire, car personne, à moins de faire partie de l’élite au pouvoir, n’aura les ressources nécessaires pour survivre seul.
Notre démocratie n’est pas en péril – nous ne vivons pas dans une démocratie. L’image de notre démocratie est en péril. L’État profond – généraux, banquiers, industriels, lobbyistes, chefs du renseignement, fonctionnaires du gouvernement et technocrates – est déterminé à sauver la réputation de cette institution. Il est difficile de se vanter d’être le gardien de la liberté et de la liberté dans le monde avec Donald Trump qui parle de lui-même de façon incohérente, incite à la violence raciste, insulte nos alliés traditionnels ainsi que les tribunaux, la presse et le Congrès, twitte des inepties mal orthographiées et dénonce ou sabote impulsivement la politique intérieure et étrangère bipartite. Mais le péché le plus impardonnable de Trump aux yeux de l’État profond est sa critique des guerres sans fin de l’empire, même s’il manque des compétences intellectuelles et organisationnelles pour superviser un désengagement.
La souffrance de la classe ouvrière, tant nationalement qu’à l’extérieur des États-Unis, est largement ignorée de nos médias généralistes, et pourtant, c’est l’une des questions des droits humains les plus importantes de notre époque.
Le problème n’est pas la forme du message. Le problème, c’est le messager. Les blessures mortelles infligées à nos institutions démocratiques sont bipartites. Les élites républicaines traditionnelles sont autant détestées que les élites démocrates. Trump est vil, imbécile, corrompu et incompétent. Mais pour une classe ouvrière en grande partie blanche, mise à l’écart par l’austérité et le néolibéralisme, il au moins le mérite de railler les élites qui ont détruit leurs communautés et leurs vies.

Les forces de police des banlieues déshéritées, équipées d’armement militaire et habilitées à harceler et à tuer, en général, à volonté, ainsi que les incarcérations massives, sont les principaux outils de contrôle sociétal des pauvres. A peine y a-t-il un semblant de justice et encore moins de protection et de sécurité. L’État au service des grandes entreprises et les oligarchiques qui nous dirigent craignent un retour de bâton de la part de ceux qu’ils ont abandonnés dans les enclaves désindustrialisées du pays, lieux que Malcolm X nommaient nos « colonies internes ». La violence et la terreur quotidiennes maintiennent les pauvres en esclavage, surtout les racisés. En moyenne, plus de 1 100 personnes, soit une toutes les huit heures, quasiment toutes désarmées, sont tuées chaque année par la police aux États-Unis. Ces meurtres ne sont pas des accidents. Ils ne sont pas le fruit d’un système qui a échoué. Le système fonctionne exactement comme il est conçu pour fonctionner. Et tant que le pouvoir systémique des entreprises ne sera pas anéanti, rien ne changera pour les pauvres, ni pour le reste des Américains.
Toutes les réformes de la police depuis des décennies, dont les garanties prévues par la loi, les droits Miranda et les protocoles de dépôt d’accusations, n’ont fait qu’accroître le pouvoir et les moyens de la police. Notre débat national focalisé sur les questions raciales et le criminelles, en refusant de dénoncer les systèmes économiques, sociaux et politiques d’exploitation et de suprématie des Blancs, a été un véritable fiasco. Les masses de chômeurs et de travailleurs précaires, surtout parmi les gens de couleur, font partie intégrante du modèle prédateur du capitalisme des multinationales. Tout comme les institutions, en particulier la police, les tribunaux, les prisons et les établissements pénitentiaires, chargés de maintenir le contrôle sociétal sur les oubliés du système.

Les réductions d’impôt pour les sociétés et les nantis, la perte d’emplois dans le secteur industriel – fortement syndicalisé et offrant des revenus décents – et l’effondrement des institutions publiques ont décimé les budgets des villes et des comtés. Les services de police sont utilisés pour compenser les pertes de recettes en mettant constamment à l’amendes les pauvres, souvent pour des infractions fabriquées de toutes pièces comme l’entrave à la circulation piétonnière (ce qui signifie se tenir sur un trottoir) ou la fait de boire dans un récipient ouvert ou de vendre hors taxes des cigarettes. Les arrestations et les amendes qui en découlent pour de telles violations sont appelées des actions de « qualité de vie ». La pauvreté a forcé beaucoup de gens, surtout les jeunes, à tirer un revenu de l’économie parallèle. Le manque de travail dans l’économie légale et l’inextinguible besoin d’aide sociale ont transformé le maintien de l’ordre en une guerre permanente contre les classes défavorisées. C’est au cours de cette guerre que Garner, tentant de subvenir aux besoins de sa famille en vendant hors taxes des cigarettes, est devenu une cible récurrente de harcèlement policier pour terminer étouffé par des policiers le 17 juillet 2014 à Staten Island.
Le livre de Matt Taibbi, « I Can’t Breathe : A Killing on Bay Street » utilise le meurtre de Garner pour révéler l’architecture de la répression d’État. Aucune de ces répressions et violences, comme l’illustre Taibbi, n’est accidentelle, et aucune solution n’y sera trouvée tant que les injustices sociales, politiques et économiques perpétrées contre les pauvres par la puissance entrepreneuriale ne seront pas inversées.

La classe progressiste et la direction du Parti démocrate n’ont pas réussi, même après leur défaite à l’élection présidentielle de 2016, à comprendre qu’ils ont, en même temps que les élites républicaines traditionnelles, dilapidé leur crédibilité. Personne ne les croit. Et personne ne devrait le faire.
Ils ont dilapidé leur crédibilité en promettant que l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) créerait, comme le prétendait le président Bill Clinton, 200 000 nouveaux emplois bien rémunérés par an ; au lieu de cela, plusieurs millions d’emplois ont été perdus. Ils l’ont dilapidée en permettant aux entreprises de déplacer leur production à l’étranger et d’embaucher des travailleurs étrangers à des salaires journaliers qui n’étaient pas égaux à ce qu’un travailleur syndiqué américain gagnait en une heure, une situation qui a anéanti le pouvoir de négociation de la classe ouvrière américaine. Ils l’ont dilapidée en permettant aux entreprises d’utiliser la menace de la « délocalisation » de la production pour détruire les syndicats, réduire les salaires, obtenir des concessions draconiennes et pousser des millions de travailleurs dans les économies de l’intérim et du gigantisme, où il n’y a pas d’avantages sociaux ni de sécurité d’emploi et où le salaire est de 60 % ou moins de ce que reçoit un employé à temps plein dans l’économie normale. Ils l’ont dilapidée en forçant les travailleurs et les travailleuses à prendre deux ou trois emplois pour subvenir aux besoins d’une famille, faisant grimper la dette des ménages à 13,95 mille milliards de dollars. Ils l’ont dilapidée en réorientant la richesse vers le haut, de sorte que sous le seul gouvernement Clinton, 45 % de toute la croissance des revenus est allée au 1 % le plus riche. Ils l’ont dilapidée en éliminant les petits agriculteurs du Mexique, en chassant quelque 3 millions d’entre eux de leurs terres et en forçant beaucoup d’entre eux à émigrer en désespoir de cause vers les États-Unis, une marée humaine qui a vu la droite américaine et le président Trump diriger une colère croissante envers les immigrants. Ils l’ont dilapidée en transformant nos grandes villes en friches urbaines. Ils l’ont dilapidée en sabrant dans les programmes d’aide sociale et de services sociaux. Ils l’ont dilapidée en soutenant des guerres sans fin et futiles dont le coût global se situe entre 5000 et 7000 milliards de dollars. Ils l’ont dilapidée en mettant en place un système de surveillance pour espionner chaque Américain et en mentant ensuite à ce sujet. Ils l’ont dilapidée en s’adressant aux grandes banques et en vidant de leur substance les règlements financiers, ce qui a précipité l’effondrement économique de 2008. Ils l’ont dilapidée en pillant le Trésor américain pour renflouer les banques et les sociétés financières coupables de crimes financiers massifs, en ordonnant à la Réserve fédérale de remettre environ 29000 milliards de dollars aux financiers mondiaux responsables du krach. Ils l’ont dilapidée en n’utilisant pas cette somme faramineuse pour offrir des frais de scolarité gratuits à chaque étudiant ou des soins de santé universels, réparer notre infrastructure en ruine, faire la transition vers les énergies propres, annuler la dette des étudiants, augmenter les salaires, renflouer les propriétaires de maisons submergées par les eaux, former des banques publiques pour favoriser les investissements dans nos collectivités à des taux d’intérêt peu élevés, offrir un revenu minimum garanti et organiser un programme d’emploi massif pour les chômeurs et les travailleurs précaires, dont les rangs sont au moins deux fois plus nombreux que ce que disent les statistiques officielles. Ils l’ont dilapidée en sabrant dans les programmes d’aide à l’enfance – le plus radicalement sous l’administration Clinton -, ce qui fait que 16 millions d’enfants se couchent chaque soir le ventre vide. Ils l’ont dilapidée en laissant plus d’un demi-million d’Américains sans abri et dans la rue chaque jour. Ils l’ont dilapidée en adoptant des lois qui maintiennent les étudiants accablés par une dette massive de prêts universitaires qui a atteint 1400 milliards de dollars, dette dont ils ne peuvent se libérer même s’ils se déclarent en faillite. Ils l’ont perdue en militarisant la police et en construisant le plus grand système d’incarcération de masse au monde, un système qui compte 25 % de la population carcérale mondiale. Ils l’ont dilapidée en renonçant à l’application régulière de la loi et à l’habeas corpus. Ils l’ont dilapidée en adoptant des réductions d’impôt massives pour les riches et les sociétés, dont beaucoup – comme Amazon – ne paient pas d’impôt fédéral sur le revenu, ce qui a fait grimper le déficit fédéral, qui s’élève maintenant à 779 milliards de dollars et qui continue de grimper. Ils l’ont dilapidée en privatisant tout, de la collecte de renseignements à l’éducation publique, pour gonfler les comptes bancaires des entreprises aux frais des contribuables. Ils l’ont dilapidée en permettant aux entreprises – on estime que 9,9 milliards de dollars seront dépensés en publicité politique au cours du cycle électoral présidentiel – d’acheter des politiciens par le biais d’une forme de corruption légalisée qui permet aux lobbyistes des entreprises de rédiger et de créer des lois. Ils l’ont dilapidée en ne faisant rien pour mettre fin à l’écocide imminent.
Le modèle américain c'est 50% du pays en détresse financière.

Les universités d'élite méprisent le travail intellectuel rigoureux qui, par nature, se méfie de l’autorité, défend farouchement son indépendance et recèle un potentiel subversif. Elles fragmentent le savoir en disciplines hautement spécialisées, qui offrent des réponses pointues s'inscrivant dans des structures rigides. Économiques, politiques, ou sociales, les hiérarchies que servent ces institutions reposent sur des postulats univoques, telle la primauté d'un marché sans entraves, et un vocabulaire qui leur est propre. Ces terminologies par lesquelles les "spécialistes" se démarquent en tant qu'élite nuisent à l'acquisition d'une vision globale, dissuadent les néophytes de poser des questions embarrassantes, font obstacles à la recherche du bien commun, fragmentent les disciplines, divisent le corps professoral, les étudiants et les chercheurs, et incitent les universitaires à s'enfermer dans leur tour d'ivoire en négligeant les questions morales, politiques et culturelles les plus pressantes. Ceux qui osent faire preuve d'esprit critique - comme Noam Chomsky, Howard Zinn, Dennis Kucinich ou Ralph Nader - sont marginalisés, exclus des grands débats. Les universités d'élite ont renoncé à toute autocritique. Elles refusent de remettre en cause un système n'ayant que son propre maintien pour raison d'être. Dans ces institutions, il n'y a que l’organisation, la technologie, la promotion personnelle et les systèmes d'information qui comptent.