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Citations de Christian Carayon (188)


Le soleil est en train de baisser dans leurs dos, la lumière est rasante. Bientôt, il va disparaître derrière le hameau du Bouscadié dont on aperçoit les premières maisons, plantées en haut du champ. On voit l’îlot qui les attend. Tout a l’air paisible, bien à sa place. On sent l’été sur ce cliché ; l’été est partout, jusque dans leurs regards.
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Leur destination était un îlot situé à moins de trois cents mètres de la plage des Crozes, même pas au milieu du lac mais séparé de la rive par un couloir d’eau d’à peine trente mètres de large. On appelle cet endroit l’îlot des Bois-Obscurs et il porte particulièrement mal son nom tant il est pelé, à l’exception de quelques pins qui s’accrochent à son arête centrale.
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La fête des Crozes était destinée à marquer le coup, à prouver au temps qui passe qu’on ne lui reconnaît pas le pouvoir de tout emporter.
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Nous sommes au bord d’un lac. Le lac de Basse-Misère. Il n’y a plus personne pour l’appeler ainsi aujourd’hui, à part quelques cartes topographiques et les émissions de télévision spécialisées dans le récit morbide des affaires criminelles. On l’a débaptisé. Dans mon pays, si vous demandez où se trouve le lac de Basse-Misère, on fera mine de ne pas savoir de quel lac vous parlez. Le nom est devenu tabou. Il glace les sangs et fige les regards quand il ne les rend pas mauvais. Il a été mis en eau en 1935 dans les derniers bourrelets du Massif central, recouvrant les gorges de la Font-d’Issalès sur plus de dix kilomètres pour produire une partie de l’électricité nécessaire à la vallée. On l’appelle désormais le lac de Saint-Pierre ou le lac de Sagne-Claire, suivant le côté par lequel on l’aborde.
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Je sais ce fameux dimanche matin ensoleillé. Il y a une belle lumière, une douceur matinale qui annonce une journée chaude. Depuis plusieurs années, des journées de la sorte se font rares. Comme si la canicule de 1976 avait épuisé à elle seule les réserves de chaleur pour les années à venir. L’été 1980 a été aussi pourri que les quatre précédents. Toutefois, vers la fin du mois d’août, il s’est décidé à montrer un visage plus amène, à offrir un vrai soleil, un grand ciel bleu et des températures élevées, sans que tout dégénère en orage avant la fin de l’après-midi.
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Les éminents historiens de l’« Ancienne école » affirmaient que l’Histoire est une science qui ne pouvait laisser nulle place à l’imagination. Je ne suis pas d’accord. Je crois que, sans imagination, il n’y a pas d’Histoire. Le passé existe uniquement parce que chacun d’entre nous est capable de plonger dedans tel qu’il le voit, tel qu’il le sent, tel qu’il l’a recréé. La connaissance scientifique en coule sans aucun doute les fondations. Puis nous devenons ensuite l’architecte du reste. J’ai consacré de longs mois à faire des recherches concernant cette tragédie. Mais l’inventivité a comblé les nombreux vides que la science ne peut éviter. Et je l’ai laissée faire jusqu’à ce que cette sombre période prenne forme dans mon esprit, plus de trente ans après. Et, avec elle, ceux et celles qui l’ont peuplée.
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Pourtant, je sais qu’il y a eu un monde avant, avant l’ombre. Je le sais parce que je connais depuis longtemps l’instant où mon monde a basculé et où l’ancien a été condamné à disparaître, petit à petit. Un dimanche matin, le 24 août 1980, peu avant 10 heures, quand plusieurs hommes – pour une grande majorité d’entre eux des pères de famille – ont nagé trente mètres dans une eau refroidie par la nuit avant d’atteindre l’îlot des Bois-Obscurs et y découvrir ce qui a bouleversé toute une vallée, tout un pays et a obscurci notre ciel.
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La peur gouverne ma vie. J’ai l’impression qu’elle a toujours été là, dès mes premières heures de conscience. C’est sans doute faux, mais, même en y repensant bien, je ne trouve que peu de moments de réelle insouciance dans mes jeunes années. Ils ont été effacés par une ombre de plus en plus noire et de plus en plus épaisse qui s’est posée sur moi.
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J’inspire. Je veux de l’air mais je n’ai que de l’eau. La sensation est atroce. Je sens que ma poitrine est en train de gonfler, prête à imploser. Mes yeux se dilatent et vont bientôt sortir de leurs orbites. Ma peau semble se déchirer en plusieurs endroits. Mes os se brisent les uns après les autres sous la pression, comme du verre. Je suis en train d’étouffer. Je tente un dernier effort. J’y épuise mes dernières forces espérant qu’ainsi ça finira plus vite. Je crie. Je rugis. Je veux partir dans le vacarme. Et je m’entends hurler.
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Je vais mourir. Je n’ai jamais imaginé ma mort. Voilà qui est assez paradoxal pour quelqu’un qui a passé son temps à craindre le pire. Seul et dans l’obscurité la plus totale, une obscurité comme je n’en ai jamais connu ; après tout c’est une fin logique.
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Je suis arrivé au bout de mes réserves d’oxygène. Je vais devoir inspirer. On ne retrouvera de moi qu’une voiture garée non loin d’ici ; une carrière brisée ; une vieille maison perdue au bout d’un chemin de terre, et à l’intérieur plusieurs dizaines de pages faites de sang et de pleurs et de photos de morts. On y verra sans doute une obsession, bien pratique pour justifier ce qu’on interprétera comme un suicide, si tant est que le lac accepte de rendre ma dépouille un jour. Il n’y aura personne pour vraiment comprendre ce que cela signifiait pour moi, qu’au lieu d’une maladie, c’est d’une guérison qu’il s’agissait. Et personne non plus pour savoir que j’étais allé au bout, que j’avais découvert la vérité, toute la vérité.
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La terreur réveille un peu mes membres. Hélas, il est trop tard. Je n’aperçois même plus les lanières d’argent de la surface. Ma chute se prolonge, comme si ce lac était sans fond.
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Mon corps de chiffon s’alourdit soudainement. Un poids est en train de m’attirer vers le fond. L’eau dépasse mon menton, ma bouche, mon nez. Avant qu’elle ne recouvre mes yeux, je vois une dernière fois le bateau, les silhouettes à son bord et le ciel.

Je coule. Mes bras s’étirent désormais au-dessus de ma tête. Il fait sombre, de plus en plus sombre. Les ténèbres sont tout autour et je m’y enfonce. Je me retiens de respirer. Je repousse autant que possible le moment où il me faudra laisser l’eau noire pénétrer dans ma gorge, dans mes poumons et dans mon ventre. Je sais que la douleur sera terrible. C’est maintenant que la peur me rejoint. Elle nage jusqu’à moi. Je suis inapte à la chasser. La peur est une vieille compagne. Il est normal qu’après avoir piloté ma vie, elle veille sur ma mort. Qu’elle me montre son dernier visage, le plus terrible, le plus abominable. Je me rends compte, alors, que je ne l’ai jamais vraiment connue, que je ne l’ai côtoyée que de loin.
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On me soulève comme une plume et on me laisse glisser dans l’eau sans bruit, avec lenteur, sans éclaboussure, à l’image de mon existence. On ne me lâche que lorsque je suis immergé jusqu’aux épaules. Je me mets alors à flotter et à dériver. Je m’éloigne de la barque sans faire le moindre geste, parce que j’en suis bien incapable. Je ne sens aucune partie de mon corps. Il n’est plus qu’une enveloppe dont j’ai à peine conscience. Mes bras sont soulevés par l’eau et se déplient à la surface. Le lac me porte, me berce. Il est comme les monstres des contes : il tente de me tranquilliser avant de m’avaler.
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Je devrais avoir peur, être terrifié. Ce n’est pas le cas. Peut-être pour l’une des toutes premières fois de ma vie. Néanmoins, je sais que la peur viendra, qu’elle m’attend là, juste en dessous.
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Au milieu des ténèbres de la forêt, le lac repose, à peine argenté par la lune. Il ondule comme un gros serpent. Je suis maintenu ainsi à la verticale durant un assez long moment. Comme si on voulait que je contemple le spectacle. Dans quelques heures, au fond de cette ancienne gorge, le soleil va se lever. Sa lumière orangée fermera la parenthèse de la nuit. Je sais maintenant que je ne la verrai pas.
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Je sais où je me trouve. La nuit ne peut pas tout cacher. Ce sont les éléments qu’elle recouvre qui noircissent et se réduisent à des masses sombres. Ici, elle dessine les contours de la forêt qui oscille au gré des bosses et des creux du relief. Je suis allongé au fond d’une barque. Elle glisse sur l’eau. Seul le clapot contre sa coque vient légèrement perturber le silence. Bientôt, les rames sont relevées. L’embarcation continue de glisser encore un peu avant de ralentir et de s’arrêter. Quand on me soulève pour me mettre debout, elle reste étonnamment immobile.
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Il fait nuit. Je vois la nuit, le ciel étoilé, la lueur de la demi-lune qui la rend moins obscure. Je sens ses odeurs humides. J’entends son silence.
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Un jardinier ne discute pas avec les brouettes, il les pousse .
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Des hommes tellement aveuglés par la rancune et la peut qu' ils ont renoncé à contenir leur bestialité et ont cessé, durant ces moments-là, d être des hommes.
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