Citations de Christina Baker Kline (96)
Le monde de Christina.
En vérité, ce lieu- cette maison, ce champ, ce ciel-n'est peut-être qu'un petit morceau du monde. Mais Betsy a raison : c'est le monde entier pour moi. (...)
Je songe à toutes les manières dont j'ai été perçue par d'autres au fil des ans; comme un fardeau, une fille obéissante et dévouée, une petite amie, une pauvre femme méchante, une invalide...
Ceci est ma lettre au Monde qui jamais ne M'a écrit.
Je dis à Andy :
-Tu as montré ce que personne d'autre ne pouvait voir
(...)
La voici, cette fille sur une planète d'herbe. Ses envies sont simples : incliner son visage vers le soleil et en sentir la chaleur. Etreindre la terre sous ses doigts. Echapper et retourner à la maison dans laquelle elle est née.
Contempler sa vie de loin, aussi précise qu'une photographie, aussi mystérieuse qu'un conte de fées.
C'est une fille qui a vécu des rêves brisés et des promesses rompues. Qui vit toujours. Qui vivra toujours sur cette colline, au centre d'un monde qui se déploie entièrement jusqu'au bords de la toile. (...) Son monde est à la fois limité et infini. (p. 310)
Nous sommes fiers tous les deux, mais on porte notre fierté différemment. La mienne prend la forme du défi : la sienne, de la honte. (...)
Je me demande, et ce n'est pas la première fois, si la honte et la fierté ne sont pas tout simplement les deux faces d'une même médaille. (p. 239)
(...) j'ai vécu dans cette maison tel un mollusque dans sa coquille, sans jamais imaginer pouvoir en être séparée un jour. (p. 243)
Je n'aurais jamais imaginé, en voyant les soldats dans le jardin public de Boston Common, il y a tant d'années, qu'une autre guerre mondiale nous engloutirait. Je n'aurais pas pu me figurer combien il y avait encore à perdre. (p. 258)
Comment suis-je passée si vite de la jouvencelle de conte de fées à la misérable vieille fille ? C'est arrivé presque sans que je m'en aperçoive. Mamey racontait qu'à son époque, une femme qui n'était pas mariée à trente ans était appelée une "clouée". C'est le surnom de la raie bouclée, un poisson plat hérissé de piquants d'apparence préhistorique. (p. 265)
Je me souviens de ses paroles lorsque j'ai quitté l'école : -Ton esprit- ta curiosité-sera ton réconfort.
ça l'est, parfois. Et parfois, non.
Sans personne avec qui parler des poèmes, je suis obligée d'essayer d'en décrypter le sens moi-même. C'est frustrant de ne pas être en mesure d'en discuter avec quiconque, mais aussi étrangement libérateur. Les vers peuvent signifier tout ce que je veux. (..)
J'imagine Emily [Dickinson ] assise à son petit bureau, tournant le dos au monde. Elle a dû paraître très bizarre à ceux qui évoluaient dans sa sphère. Un peu déséquilibrée. Voire dangereuse, à affirmer ainsi que les fous sont les gens qui mènent des vies conventionnelles et sages.
Je m'interroge sur cette chaîne qui la retenait. Je me demande si c'est la même que la mienne. (p. 267)
On a mené une existence si intime et renfermée que la civilisation nous semblait très éloignée. Mais je me rends compte peu à peu qu'Andy appartient au monde, pas uniquement à nous. C'est une prise de conscience perturbante. (p. 145)
Avant que mon père meure, je voulais simplement peindre. Maintenant, c'est différent. Plus profond. J'en ressens toute la...je ne sais pas...., la gravité. Quelque chose qui me dépasse. Je veux le coucher sur la toile le plus précisément possible. (...)
Je comprends ça, oui. Je sais que ça signifie que de porter des sentiments contradictoires au fin fond de soi-même. (p. 148)
Mrs Crowley, mon institutrice (...) dit que pour les Grecs, percevoir la douleur exprimée dans l'art peut alléger notre propre existence. (p. 44)
Je désire plus que tout que Père soit fier de moi, mais il a peu de raisons de l'être. D'abord je suis une fille. Pire encore- je le sais déjà, bien que personne ne me l'ait jamais dit précisément-, je ne suis pas belle. (...)
Pour couronner le tout, il y a mon infirmité. Quand il y a d'autres gens, Père est tendu et irritable (...)
Sa honte me rend rebelle. Je me fiche de le mettre mal à l'aise. Mère dit que ce serait mieux si je n'étais pas aussi têtue et fière. Mais ma fierté est tout ce que j'ai. (p. 51)
Bien que j'aie vécu toute ma vie avec cet homme,je ne l'ai jamais vraiment connu.Il était lui-même pareil à une baie gelée,je pense-une croûte de glace,épaisse de plusieurs couches,au dessus de l'eau tourbillonnante.
A l'école, on étudie les procès des Sorcières de Salem. Mrs Crowley nous raconte qu'entre 1692 et 1693, deux cent cinquante femmes ont été accusées de sorcellerie, cent cinquante mises en prison et dix-neuf pendues. On pouvait les déclarer coupables sur la base d'une "preuve spectrale", l’affirmation d'un accusateur qu'elles apparaissaient sous forme de fantômes ou à cause de "marques de sorcière", grains de beauté ou verrues. La nature impitoyable du premier magistrat, John Hathorne, étaient notoire. Il agissait davantage comme un procureur que comme un juge impartial.
- Il est notre parent, tu sais, me dit Mamey lorsque je lui raconte cette leçon après école.
J'écoute M. Sorenson et opine poliment du bonnet tandis qu'il parle, mais il m'est difficile de me concentrer. Comme si je m'étais réfugiée au fond de moi-même. Qu'elle est misérable votre enfance quand on se dit que personne ne vous aime ou n'a envie de s'occuper de vous, lorsque l'on est toujours l'étranger qui contemple du dehors ce qui se passe à l'intérieur. J'ai l'impression d'avoir dix ans de plus que mon âge. J'en sais trop. J'ai été témoin du pire dont sont capables les gens, je les ai vus désespérés et égoïstes, et le fait d'avoir vécu cela m'a rendue méfiante. Alors j'apprends à faire semblant, à sourire et à hocher la tête, à faire montre d'une empathie que je ne ressens pas. J'apprends à me fondre dans la masse, à ressembler à tout le monde, alors même qu'intérieurement je me sens brisée.
Une chose étrange est en train de se produire. Les histoires que Vivian racontait au début, après force encouragements et qui se résumaient à de lapidaires réponses à des questions précises, jaillissent maintenant l'une après l'autre spontanément, en si grand nombre que même Vivian paraît surprise. "Mais qui aurait cru que ce vieillard eût encore tant de sang dans le corps ?" dit-elle à la fin d'une des sessions. "Macbeth, ma chère. Tu chercheras la citation."
Même si elle aimerait vraiment s'attacher à lui - ce qu'elle a réussi à lui faire croire - , elle ne s'est jamais vraiment laissée aller à ce point. Ce n'est pas qu'elle fasse semblant, mais une part d'elle-même reste toujours sur la réserve. Elle s'est rendu compte qu'elle peut maîtriser ses émotions en imaginant qu'à la place du coeur elle a une énorme boite cadenassée. Lorsqu'elle est confrontée à des sentiments qu'elle n'arrive pas à dominer, comme de la tristesse ou des regrets, elle les enfouit dans la boite, puis referme bien le couvercle qu'elle cadenasse à nouveau.
Au début, elle avait aimé la distance que son personnage induisait, la méfiance et la suspicion qu'elle détectait dans le regard des autres. Cependant, même si elle déteste se l'avouer, ce masque a commencé à lui peser dernièrement.
Mais j'ai des doutes. Je ne sais que trop bien à quelle déception on s'expose lorsque la réalité ne correspond pas aux rêves magnifiques qu'on vous a mis dans la tête.
J'essaie d''oublier l'horreur de ce qui est arrivé. Le verbe oublier n'est probablement pas le bon (comment pourrais-je oublier?), mais si je veux aller de l'avant, il faut bien que je tente d'atténuer le désespoir que je ressens.
« C’est donc dans la nature humaine de croire qu’il y a une raison à toutes choses et de se dire que même les pires expériences ont une signification, si insignifiante soit-elle ? »
J'en suis venue à me dire que le ciel est ainsi : un lieu dans la mémoire des autres où survit le meilleur de nous-mêmes. (13)