Citations de Christophe Carlier (197)
Sur l'île, le non-dit était le ciment de toute sociabilité.
Sur le continent, à force d'avancer, on aboutit parfois. Mais que faire dans cette île, à part tourner en rond? Noircir de croquis des sets en papier? S'envoyer des cartes postales? Du temps perdu dans un silence profond.
Valérie appartient à un monde sans timbre et sans enveloppe. Certains veulent croire que sa seule présence pourra arrêter le corbeau. Elle a sur le visage, en guise de sourire, l'expression heureuse de ceux qui parlent peu et dont tous les gestes semblent habités d'existence.
Quel facteur acheminera jamais les lettres non écrites?
Un jour où, descendant de sa bicyclette, Gabriel avait laissé échapper une plainte, il s'attira une remarque aigre :
- Vous n'êtes pas le plus mal loti.
Il se le tint pour dit. Un médecin ne se plaint pas pendant l'épidémie. Le facteur, quand pleuvent les lettres anonymes, ne doit pas se mettre en avant.
Ce soir, le ciel est rose pâle, le paysage apaisé.
Les vagues se soulèvent dans une sorte de ralenti pour se défaire dans un ourlet de blancheur.
Elle s'aperçut alors qu'elle regrettait l'époque de la correspondance, le temps béni où le passage du facteur constituait un petit événement. Encore un plaisir que le progrès avait emporté.
Valérie répète le nom de Gwenegan, le fait tinter comme un grelot qu'elle serait la seule à entendre. Elle aime l'étrange regard qu'il a pour elle quand ses yeux se perdent à l'horizon, prennent lentement la couleur de la mer, et reviennent, encore rêveurs, se poser sur elle.
Toutes les îles se ressemblent. Bretonnes, grecques, écossaises. Même beauté, même déchaînement les soirs d'orage, même langueur dans les accalmies. Même étouffement.
Les lettres d'amour sont des bouteilles à la mer.
Cette femme furieuse avait sorti tous ses bijoux. Si elle avait parlé, sa voix aurait été une symphonie où se serait mêlés le hurlement des vents, le grondement des torrents et le raclement aigu des oiseaux de proie.
La manière masculine de ne pas agir est d'invoquer le hasard. Il regardait le ciel quand je lui ai dit au revoir. Lorsqu'on voit quelqu'un pour la dernière fois, on n'est jamais obligé de le formuler. On peut se contenter de banalités ou de vœux très abstraits. Dans ce domaine, rien n'est indispensable, sinon pour une femme maquillée, de retenir ses larmes.
on n'a jamais employé tant d'esprit à nous rendre bêtes
Je suis parti vers l'hôtel en enfilant les rues, le cœur en fête et la marche légère. J'étais heureux comme un criminel sans arme et sans mobile, et aussi fier qu'un botaniste timoré qui aurait rassemblé toutes ses forces pour cueillir au bord du gouffre une orchidée inconnue. Un instant, je me suis arrêté devant une vitrine où trônait une psyché. Je m'y suis contemplé avec une pointe de coquetterie. N'avais-je pas de quoi être satisfait ? La mort d'un imbécile était un tout petit dommage au regard de l'immense bonheur de m'être lié pour toujours à Elena par un geste inoubliable.
Nous avions le temps de prendre un café avant que nos taxis ne viennent nous chercher. C’est parfois très doux de ne rien espérer .Passé quarante ans, le hasard bouscule la vie au lieu de la construire. Il n’est pas désagréable de savoir qu’il va prendre fin.
Le matin du 14 février, date que j'avais attendue patiemment, j'ai glissé une rose rouge sous son essuie-glace.
Et d'un doigt, sur le givre du pare-brise, j'ai tracé trois mots tout simples : "je suis revenu".
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C’est aux escrocs et monte-en-l’air qu’on donne le nom de rats d’hôtel, qui pourtant conviendrait bien mieux aux employés.
À la réception, j’ai été accueilli par un jeune homme aux yeux clairs et aux longues mains blanches, qui m’a d’emblée parlé en anglais. L’accent était bon et le ton très juste, ménageant un partage égal entre politesse et indépendance.
Le décalage horaire m’avait plongé dans une douceur pâteuse. Pendant quelques minutes, je me suis senti envahi par la bienveillance. Le fait n’est pas courant. Mon lot ordinaire est plutôt une sourde colère contre mes semblables
Craig
C’est après la descente d’avion, après les formalités et les désagréments d’usage, quand j’ai pu enfin prendre place dans un taxi, que j’ai vraiment eu le sentiment d’être en France. La voiture allait vite. Je me suis retrouvé dans Paris où m’attendait, immuable, la poésie des choses usées, la pierre des immeubles aux angles arrondis et la trompeuse courtoisie des passants sous laquelle affleurent par instant des pointes de sauvagerie.