Christopher Brookmyre

Comme une idiote, je m’étais dit : mais qu’est-ce que ce truc fout ici ? Est-ce que l’obscurité totale ne risque pas d’effrayer un petit bébé ? Maintenant je comprends, mais ce n’est pas comme si on pouvait baisser le store à 4 h 15 du matin et dire à un bébé que c’est pas encore l’heure de se lever.
Je ressors deux sacs remplis d’articles de toilette que je repose sur le lit et gagne de la place en bourrant un tas de grenouillères entre les arêtes du fond de la valise. Une fois les articles de toilette remis à l’intérieur, je n’arrive toujours pas à fermer la valise à cause d’un objet encombrant vaguement transparent identifié par une étiquette comme étant un “stérilisateur de biberons pour micro-onde”.

J’étais trop focalisée sur le fait que Vince m’avait proposé de venir passer l’été en Écosse, avant que j’entre à la fac en automne. Après, j’avais cessé d’écouter parce que j’avais déjà des idées plein la tête.

Ses mots sortent de façon assez naturelle mais là, on dirait plutôt une réplique de théâtre. Cela crée une distance, l’empêche de ressentir réellement quelque chose. C’est particulièrement précieux ce soir, car ce qu’elle ressent l’effraie.

Elle se sent un peu vaseuse en se redressant, sans trop savoir si elle a déjà la gueule de bois ou si elle est encore soûle. Elle se ressaisit en le voyant, cependant. L’heure a sonné. Elle se redresse pour qu’il voie bien qu’elle est nue, et ses mouvements font remuer la silhouette allongée à côté d’elle. Peter, d’après ses souvenirs.

Elle sait que ce n’est sans doute pas une bonne chose – pour lui, en tout cas. Il mérite mieux. Il est sincère et prévenant, avec une bonne volonté qui n’est pas uniquement dictée par le carriérisme. Tout cela fera de lui une victime.

Une partie d’elle en a envie, mais c’est la partie d’elle qui l’effraie. Elle ne peut se permettre aucune négligence. Dans ce boulot, le contrôle est essentiel.

Dans un métier censé être créatif, ce surnom péjoratif n’est pas le plus imaginatif qu’ils auraient pu trouver, mais elle est néanmoins assez fière qu’il lui soit resté. Elle n’a pas besoin qu’ils l’apprécient. Son boulot, c’est de vous faire aimer d’autres gens, et leur boulot à eux, c’est de l’y aider.

Dans son monde, le concept du “moi aussi” n’existe pas, que ce soit à propos d’un pépin cassé ou de n’importe quelle autre chose que vous pourriez imaginer avoir en commun avec elle.

Ivy lui donne une quarantaine d’années et, à son allure, elle doit être mère d’adolescents ; cadre ou cadre intermédiaire, et encore. Sa gestuelle trahit une certaine timidité, comme si elle s’excusait d’exister : une femme qui a atteint le stade de sa vie auquel elle comprend que toutes les choses qu’elle avait cru accomplir ou vivre un jour ne vont jamais se réaliser. Qui s’est probablement bercée d’illusions pendant ces quinze dernières années en se disant que les enfants compenseraient, que les élever était en soi une belle réussite, avant de s’apercevoir – trop tard – qu’elle s’est fait salement avoir.

Le soleil est un désinfectant, disent les gens, comme si le simple fait de mettre quelque chose à la lumière était un acte indubitablement sage et salutaire. En ce qui la concerne, le seul avantage du soleil, c’est qu’il crée des ombres, et c’est là qu’elle opère.

Il y a des livres et des papiers partout, comme il sied à une personne cultivée dont l’esprit est sans cesse occupé. Des diplômes encadrés sur les murs, gages manifestes de réussite. Ce sont des signes de respectabilité, une partie de la façade qui masquait l’homme qu’il était en réalité, ce dont il était capable et jusqu’où il était prêt à s’abaisser.

All her life she has been putting up walls because she thought they would protect her, but in the last few hours she has learned that hiding a truth only makes you its prisoner. Telling the truth makes you powerful. And among those powers is absolution.

A journalist's interest in other people's business isn't inappropriate if they might have something to hide.

J’étais la Prunelle de ses Yeux. Vous noterez les majuscules : il s’agissait d’un nom propre. Ce n’était pas ce que je représentais pour lui, mais le nom qu’il me donnait.

Alors que j’entrais dans l’âge adulte, ce qui me travaillait de plus en plus là-dedans – et dans le choix qu’elle avait fait en dernière année – était de savoir si mon père l’avait assujettie, transformant une jeune femme intelligente en drone obéissant ; ou s’il avait en fait décelé cette docilité, ce manque de personnalité, et l’avait identifié comme étant précisément ce qu’il recherchait chez une partenaire de vie.

C’est le paradigme qu’on nous propose quand on est petites, ce modèle de cour de récréation destiné à façonner nos aspirations pour le bonheur à venir.
Parfois le paradigme ne prend pas, cependant. Parfois le modèle est défectueux. C’était le cas pour moi, Diana Jager.

Je songe à toute la colère et à toute la haine dont j’ai fait l’objet depuis mon arrestation. Il a fallu du temps, mais j’ai enfin compris que je devais me réconcilier avec ce que j’ai fait. Je dois me l’approprier. Je dois me pardonner, car je me moque bien du pardon des autres.
En fin de compte, quelle que soit la façon dont mes actes seront jugés, je sais que c’est une question d’amour.

Il y avait forcément des signes montrant qu’elle était dangereuse. Je n’approuve pas son geste, mais il devait bien savoir ce qui la mettait hors d’elle. Ce qu’elle a fait est impardonnable, mais ça ne serait jamais arrivé s’il n’avait pas fait quelque chose pour la provoquer.
Ce serait le monde à l’envers.

Je n’attends la compassion de personne. Je ne cherche pas le pardon de la part d’individus qui n’ont jamais été mis à l’épreuve comme je l’ai moi-même été. Je veux bien être coupable, et je veux bien être jugée, mais je refuse d’être condamnée : pas par ceux qui sont incapables de comprendre. Personne ici ne peut me juger avant de connaître toute la vérité.

Pour eux, j’aurais dû m’estimer heureuse de tout ce que la vie m’avait apparemment offert, pas demander plus. J’aurais dû me contenter de ce que j’avais reçu, c’était assez généreux d’après leurs estimations.