Citations de Claire Berthomy (57)
Vous connaissez cette chanson ? Celle que l'on se chante à voix haute pour égayer son humeur. Celle qui redonne de l'entrain quand tout autour de soi viserait à nous accabler. Celle, enfin, que je me chante à chaque fois que je cherche à faire le vide dans mon esprit. On a tous une chanson pour ça.
« On dirait une rose, cette fille. La peau aussi fragile et délicate qu’un pétale, un parfum qui enivre et des épines acérées. »
Je me fais sans doute des films plus épiques que ne l’est la réalité. Ce n’est pas parce que j’ai grandi auprès d’un monstre que… Je serre mes poings. Que quoi ? Qu’est-ce que je raconte ? Que l’horreur n’existe pas ? Bien sûr qu’elle existe ! Je suis bien placée pour en parler !
« C'est drôle comme le monde s'arrête de tourner avec lui. Comme il devient mon monde. J'aime cette façon bien à lui de me voir. »
« L’amour est une chose incompréhensible. Il peut nous gonfler d’un courage immense pour, l’instant d’après, autoriser les pires peurs à nous envahir. »
Il émane de ces gens, des hommes pour l’essentiel, une telle détresse que mon cœur ne peut s’empêcher de se serrer à la vue d’inconnus dont l’échine courbée laisse deviner une vie remplie de coups durs.
L’entendre prononcer mon nom me remue de l’intérieur. Ces gens font preuve d’une singulière familiarité, à peine rencontrés. Je n’aurais jamais entendu autant mon prénom qu’en l’espace de cette seule journée. Ils me donnent l’étrange sensation d’avoir atterri dans l’un de ces villages maudits des récits fantastiques où les habitants sont tous de mèche. J’en ai des frissons. À y regarder de plus près, cet endroit n’est qu’un immense décor de film d’horreur, en commençant par la caravane… Je souffle une fois dehors, contrariée par cette vieille revêche qui n’a rien voulu entendre.
Je m’en veux de ne pas lui avoir ouvert la porte. Des vieux réflexes sans doute. Après tout, j’ai grandi dans la haine de la police. Je n’ai pas cette confiance aveugle que d’autres manifestent à leur égard.
Elle me sourit. De ces sourires cassés par la tristesse d’un regard qui peine à s’éclairer. J’ai vraiment envie de la prendre dans mes bras. J’ignore son histoire, mais quelque chose en moi me pousse à la consoler.
Son regard me donne chaud. Mes joues me brûlent soudain. Je ne trouve rien d’autre de plus intelligent que de lui répondre par un hochement de tête timide. Je me sens idiote… Sexuellement troublée et idiote…
C’est plus fort que moi, mes yeux sont irrémédiablement attirés vers lui. Il dégage ce quelque chose d’animal dont on pressent la férocité sans parvenir tout à fait à s’en éloigner. Ce serait comme croiser un loup en pleine forêt. L’instant flirte entre magie et danger.
Je n’ai pas le temps de me cacher avant que son regard ne croise le mien. Ma respiration se coupe. Ses yeux sont aussi perçants que ceux d’un aigle. Un courant électrique irradie ma poitrine. Mon cœur s’arrête de battre. Une seconde. Une seconde seulement. Une seule, au cours de laquelle je perds pied et retiens mon souffle. Puis il baisse la tête et plonge ses mains dans les poches de son jean tout en s’avançant en direction du bar.
Les mots s’emmêlent dans ma tête et ne ressortent pas dans le sens que je voudrais leur donner. J’abandonne. Je ne suis plus à un jour près. Demain, je serai sûrement plus inspirée.
Je sens qu’elle attend quelque chose de moi. Son regard marque une incertitude mêlée à de la méfiance. Je lui souris comme on brandirait un drapeau blanc pour rassurer sur ses intentions.
Tout s’emmêle dans mon esprit, et je ne me sens pas tranquille. J’ai faim, la nausée au fond de la gorge et une mauvaise nuit dans les jambes qui ne me met pas dans les meilleures dispositions pour appréhender cette journée.
La pire chose qui pouvait m’arriver : loger dans l’endroit le plus éloigné qui soit de toute civilisation. J’ai conscience qu’ils ne pouvaient pas anticiper mon angoisse des espaces vides, seulement, ils auraient pu ménager les habitudes de vie d’une citadine. J’accuse déjà avec violence le fossé entre ce jour qui commence et ma vie d’avant-hier.
Ce n’est pas de l’extérieur dont je devrais avoir peur, mais bien de ce qui hante le théâtre de mon esprit.
Je frissonne, mortifiée par ma lâcheté et affaiblie par la fatigue et la faim. Je ne sortirai pas de cette caravane, c’est décidé. Un an, enfermée ici, ça doit pouvoir se faire. Tout plutôt qu’un an, exposée à un monde qui m’effraie déjà au cœur de la nuit.
Ces quatre fenêtres en plexiglas qui m’entourent ne me laissent pas tranquille. On dirait deux paires d’yeux qui m’observent. J’ai l’impression d’être exposée à un extérieur que je ne maîtrise pas. Je baisse les stores, inutiles pour me protéger, mais au moins je ne vois plus le noir de la nuit dans lequel les dangers aiment s’inviter.
C’est pas vrai, quelle horreur ! Je vais passer une année entière dans la plus rudimentaire des caravanes, à vivre au milieu de rien. J’ai l’impression de revenir à la case départ sans gagner les vingt mille dollars. Sans espérer Boardwalk, je ne m’attendais pas à Mediterranean Avenue1… L’espace est si étroit qu’on ne peut même pas y circuler à deux. Que je regarde autour de moi… La douche se résume à un kit en plastique installé en bordure de la minuscule kitchenette. Il donne sur trois mousses bleu foncé qui forment une banquette accolée à une table en formica marron soudée au sol. Un bain d’huile patiente au pied d’une chaise. Quelqu’un l’a allumé. Je pose ma main dessus pour vérifier sa chaleur. Il est brûlant.
Je me demande où est le lit. Un rapide balayage du regard tout autour de moi. Je pense avoir trouvé. Je tire les poignées d’un placard et une alcôve m’apparaît. Et voilà ma nouvelle couche... Elle occupe tout l’espace. Une épaisse couverture bleu foncé à franges la recouvre.