Claire Kingsley

— Tu aimais ma maman ? demande-t-elle.

Sa question me prend complètement au dépourvu. Elle me pose rarement des questions sur Melanie. J’ai toujours été ouvert au sujet de sa mère. Je lui ai montré des photos, et je lui ai dit à quel point Melanie l’aimait. Il y a un an environ, elle a voulu savoir comment sa mère était morte, et je lui ai parlé de l’accident de voiture. Depuis, elle n’a plus posé de questions à son sujet.

— Oui, ma puce. J’aimais beaucoup ta maman.

— Est-ce qu’on aime toujours une personne quand elle est morte ?

— Oui. J’aime toujours ta maman. Je l’aimerai toujours. Est-ce que tu as peur que si j’aime quelqu’un d’autre, cela voudra dire que je n’aime plus ta maman?

— Non.

— Alors qu’est-ce qui te tracasse ?

— Est-ce que tu aimais ma maman et moi en même temps ?

— Oui, bien sûr. Je t’ai aimée dès que tu es née. Ça n’a pas changé ce que je ressentais pour ta mère. Je l’ai aimée encore plus parce qu’elle m’a donné le plus beau des cadeaux. Elle t’a donnée à moi.

— D’accord.

— Tu as peur que si j’aime quelqu’un d’autre, je ne t’aime plus autant ?

Elle hoche la tête sans me regarder.

— Oh, ma puce.

Je la soulève de sa chaise et la prends sur mes genoux. Pendant un long moment, je la serre contre moi. Elle enroule ses bras autour de mon cou et je frotte lentement de petits cercles dans son dos.

— Rien ne pourra jamais changer à quel point je t’aime. Rien dans le monde entier.

Je la déplace pour qu’elle soit assise et que je puisse regarder son visage.

— Écoute, ma chérie. L’amour n’a pas de limites. Il est aussi grand qu’on veut qu’il le soit. Tu te souviens du film Le Grinch, quand son coeur grossit ?

— Oui.

— L’amour est comme ça. Avant de rencontrer ta maman, j’aimais ma famille. Aimer ta mère ne m’a pas fait les aimer moins, ça a simplement fait grossir mon coeur. Et quand tu es née, il est devenu si gros que je n’étais pas sûr qu’il tiendrait encore dans mes côtes.

Elle enfonce son doigt dans mon torse et glousse.

— Aimer quelqu’un de plus fait simplement grossir ton coeur. Donc si j’aime quelqu’un d’autre, quelqu’un comme Linnea, ça veut juste dire que j’ai plus d’amour dans mon coeur. Et c’est toujours toi qui as le plus fait grossir mon coeur.

— Je pense que tu devrais te marier avec Linnea, comme ça je pourrai l’avoir comme maman.

J’ai appris qu’une immense partie du marché du livre était dominée par la romance, tout particulièrement le marché du livre numérique. Soudainement, la suggestion désinvolte et espiègle de Kendra d’écrire des histoires d’amour ne me semblait plus aussi folle. En fait, c’était peut-être même une excellente idée.
Si je peux écrire une romance décente. Et c’est un très gros si.
Le seul problème, c’est que les romances sont soumises à une règle très spécifique : elles se terminent sur une fin heureuse, digne d’un conte de fées. En ce qui me concerne, cela relève du fantasme. Couler des jours heureux jusqu’à la fin de sa vie est plutôt rare de nos jours, les quelques élus pourraient tout aussi bien être des licornes.

Il y a quelque chose dans ce sourire. Il oscille généralement entre stoïque et arrogant, mais celui-ci est quelque part entre les deux. C'est comme si j'avais droit à un petit aperçu du vrai Weston. Le mec qui se cache sous cette armure de connard.

Lexi a une manière bien à elle de rendre ses personnages incroyablement réels. J’ai l’impression de faire le voyage à leurs côtés, de vivre l’histoire au travers de leurs yeux. Je suis complètement emportée, comme à chaque fois. Elle a un talent vraiment spécial pour déchirer mon cœur en lambeaux. Curieusement, elle sait toujours exactement comment le recoudre, le replaçant délicatement à sa place, dans ma poitrine. Je pose ma main sur mon cœur pour vérifier qu’il bat encore. Je nage dans un océan d’émotions, mon esprit tourbillonnant et mon ventre rempli de papillons.

Nous avons tous connu ces moments dans notre vie où nous nous rendons compte que nous avons tout foutu en l’air, et qu’il n’y a aucune échappatoire.

— Hé, peut-être que je pourrai dormir dans ta chambre un jour. Un soir où ton père travaille tard. Ça te plairait ?

Elle hoche la tête.

— On pourra faire une soirée pyjama ?

— Bien sûr !

— Tu as quel genre de pyjamas ? demande-t-elle. Les miens sont presque tous roses.

— Mmh, je ne porte pas de pyjama d’habitude, donc je suppose que je vais devoir en acheter un avant notre soirée.

— Tu dors avec quoi ?

— J’enfile quelque chose de confortable. Comme un débardeur.

— Et une petite culotte ? lance Charlotte. Tu as quel genre de culottes ? Sur les miennes, il y a Mon petit poney et Charlotte aux fraises.

Mon visage se réchauffe et je sais que je rougis. J’essaie de ne pas observer Caleb, mais je jette tout de même un coup d’oeil vers lui. Il regarde droit devant lui, les deux mains posées sur le volant.

— J’ai bien peur de ne pas en avoir d’aussi amusantes.

— Ouais. Je ne sais pas s’ils les font en taille adulte.

— Probablement pas.

Il est extraordinaire, tout droit sorti des pages de l’un de mes romans préférés. Ses cheveux sont sombres et épais, des mèches balaient son front. Il a des yeux d’un brun foncé et une mâchoire exquise, recouverte d’une courte barbe. Et quand il sourit ? Achevez-moi. Ses yeux se plissent légèrement et ses lèvres s’entrouvrent sur de magnifiques dents droites. Il a l’air en forme et son corps est tout en muscles, ses vêtements tombent sur lui comme ils le font quand le gars est en bonne condition physique. Je peux voir les lignes de ses muscles courir le long de ses bras, et je n’ai pas honte de dire que j’ai jeté un coup d’œil à ses fesses lorsque nous faisions la queue dans la librairie. Ce mec réussit à rendre un jean séduisant.

L’anonymat me permet une grande liberté quand j’interagis avec les gens. Je suis beaucoup plus à l’aise et moins timide lorsque je discute en ligne, et un pseudonyme me donne encore plus d’assurance. Je laisse sortir la fille que j’aimerais pouvoir être en personne. Cela m’apporte également une certaine sécurité qui, malheureusement, me paraît nécessaire. J’ai reçu quelques e-mails très désagréables de la part d’auteurs en colère, à propos de chroniques que j’avais pu écrire. Certains étaient même menaçants. Il y a deux ans, un gars a réellement suivi et attaqué une blogueuse suite à un avis négatif sur son roman. Je n’ai aucunement envie d’être impliquée dans tout ce cinéma.

J’ouvre et me retrouve face à mon beau-frère, Weston. Il jette un coup d’œil derrière lui, presque comme s’il avait peur que quelqu’un nous observe, puis entre.

— Salut, mec.

Il me fait un signe de tête et vérifie son téléphone avant de le mettre dans sa poche, d’un air que je ne peux que qualifier de soulagé. Nous allons dans le salon, et il s’installe sur le canapé.

— Tu as l’air vraiment tendu. Tout va bien ?

Il soupire bruyamment et s’adosse au canapé.

— Ouais. J’ai juste besoin de me cacher de Kendra pour un petit moment.

J’éclate de rire.

— Pourquoi ?

— On essaie d’avoir un bébé, annonce-t-il. Et elle me traite comme son usine à sperme personnelle.

Ça n’a jamais été facile de venir après la parfaite Shelby. Elle est tout ce que je ne suis pas. Grande et svelte, avec de magnifiques cheveux blonds. Je ne suis pas tout à fait petite, mais je ne suis définitivement pas svelte, et mes cheveux bruns épais sont constamment dans un état proche du désordre peu importe ce que je fais.
Shelby était une nageuse de compétition ; mes talents athlétiques avaient atteint leur maximum avec les jeux de poursuite à l’école élémentaire. Auxquels je perdais à chaque fois. Je suis convaincue qu’elle s’est accaparée toute la grâce et la coordination dans la famille, me laissant empotée, la maladresse incarnée.