Je ne connaissais pas les romans de Clara Arnaud, mais lorsque l'on m'a proposé de lire son dernier roman, j'ai immédiatement été séduite par la thématique autour de la montagne, de notre rapport à la nature, aux animaux domestiques comme sauvages.
Ce roman se passe dans les Pyrénées, un lieu où j'ai mes racines, un endroit que j'ai eu envie de retrouver pendant quelques soirées à travers cette lecture.
L'ours est le personnage principal de ce récit. Au centre des débats, sa réintroduction dans les Pyrénées centrales suscite de vives émotions entre d'un côté, les défenseurs de la cause animale et de l'autre, les éleveurs et bergers qui doivent cohabiter avec l'animal.
Avec une question qui demeure : est-il possible de vivre en harmonie et en sécurité à proximité des ours ?
J'ai aimé l'impartialité de l'autrice. Pour mieux nous faire comprendre les enjeux et les positions de chacun, elle assemble et croise trois points de vue en une longue tresse narrative : celui de Jules, orsalher à la fin du XIXème siècle ; Gaspard, berger pyrénéen ; Alma, docteure en biologie comportementale, qui étudie les ours de la région pour le centre national de la biodiversité.
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“Nous étions en paix comme nos montagnes
Vous êtes venus comme des vents fous. »
Le récit commence en 1883 par la voix de Jules. Il habite le petit village d'Arpiet dans les Pyrénées.
Depuis tout petit, Jules rêve de devenir montreur d'Ours et de partir faire fortune en Amérique. Alors, après avoir localisé l'emplacement de la tanière d'une ourse ayant mise-bas, il attend qu'elle s'absente pour lui subtiliser un de ses petits.
« L'ourse est sa muse, sa soeur, sa fille. Elle est née une première fois dans la tanière, créature glabre tout juste sortie du ventre de sa mère, et, la capturant, il lui a offert une seconde naissance, à son monde, celui des hommes. »
Ces pages m'ont emportée dans le passé au temps où les hommes faisaient des ours des bêtes de foire, des animaux dont la fourrure avait, disait-on, le pouvoir de guérir. J'ai trouvé cette partie cruelle, très violente, mais aussi fascinante et sublime par l'écriture.
Tout comme l'ourse, j'ai tressailli sous les coups de bâton qu'elle recevait, j'ai eu de la peine pour cette vie de captivité et de mauvais traitements, j'ai haï Jules.
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Puis nous revenons au temps présent. L'histoire de Jules et de son ourse continue à planer, permettant d'éclairer l'origine des problématiques actuelles.
« Nous avons fait front comme nos montagnes
Vous avez hurlé comme les vents fous. »
Gaspard est berger, il se prépare au rituel de la transhumance, en montant en estive les troupeaux de brebis de plusieurs éleveurs de la région. Malgré un accident traumatisant survenu l'été précédent, il ne peut envisager de vivre sans ces mois de vie intense et solitaire dans les pâturages de haute-montagne. Sa vie est rude, âpre, mais c'est celle qui lui permet d'être heureux, de vivre pleinement, sans regrets ni manques.
J'ai aimé son regard sur la montagne, son envie de vivre dans les hauteurs, sa vocation pour le métier de berger, son amour de la nature, son goût de la liberté et des grands espaces, sa passion des animaux, son lien avec ses chiens et son troupeau. Même si les ours mettent en péril son activité, il n'est pas haineux et agressif envers eux comme tant d'autres. Il comprend que la montagne doit se partager et que l'ours y a toute sa place.
« Parce qu'ici vie et mort, joie et peine, intensité et lenteur, hommes et bêtes, lumière et néant, ciel et terre, douceur et violence se côtoient ; parce qu'il s'y fond et s'y efface, s'y sent si vivant, il s'accroche à ce bout de montagne. »
Mon esprit a voyagé et a imagé Gaspard sous les traits d'un berger que j'ai connu près de Barèges, il s'appelait Laurent Crampe. Avec ma classe, on venait le voir chaque année, cette visite était devenue incontournable. C'était un moment plein de beauté et de joie. Je me rappelle son visage jovial, épanoui, passionné, attentif à ses bêtes. C'était merveilleux de l'écouter nous parler de son métier, le voir guider son troupeau avec ses chiens, dans une sorte de langage secret uniquement compréhensible d'eux. C'est avec un pincement au coeur que je lui disais au revoir et à l'année prochaine.
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Éternels nous sommes comme nos montagnes
Et vous passerez comme des vents fous.”
Alma est éthologue, spécialiste des ursidés. Elle a été recrutée pour étudier les ours, participer à leur suivi, comprendre leurs déplacements afin de faciliter la cohabitation des éleveurs avec les ours, prévenir les attaques possibles avec les troupeaux.
L'accident de l'an passé a fortement marqué les esprits, les tensions sont exacerbées par la présence de cette ourse et de son petit qui se jouent des bergers et de leurs chiens pour venir régulièrement prélever un animal dans le troupeau. Alma doit rapidement trouver le moyen d'empêcher de nouvelles attaques.
J'ai aimé me glisser dans ses pas passionnés, arpenter les chemins tracés par le passage répété des animaux sauvages, me couler dans les traces de l'ourse Negra, attentive aux moindres indices de sa présence : poils, empreintes, excréments, pierres retournées, … L'approche d'Alma est respectueuse, c'est comme un pas de côté qui permet de partir à la rencontre de l'ours, de son environnement, de la montagne, et bien sûr de soi.
« La plupart d'entre eux ne rencontreraient jamais l'ours. Les face-à-face étaient rares, des siècles de chasse acharnée avaient inscrit dans la mémoire des plantigrades le genre humain comme un danger. Ils s'étaient adaptés, vivant la nuit, se repliant le jour dans des vallons escarpés, des couloirs à avalanche, partout où les êtres humains étaient encombrés par leurs corps malhabiles, pris de vertige. L'ours, lui, dansait sur les crêtes, sinuait dans les forêts épaisses, au mépris des épineux qui s'accrochaient à son cuir épais. »
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La plume de Clara Arnaud se fait délicate, lumineuse et profonde pour parler des liens puissants, inextricables et complexes qui nous relient à la nature et à sa faune. Elle s'harmonise parfaitement entre le regard du poète et celui du scientifique, jouant ainsi sur la sobriété et l'efficacité comme sur l'élégance et la douceur.
L'autrice a su me captiver en tissant des liens entre deux époques, en entremêlant les rencontres et les points de vue, en alternant narration et réalité, en proposant une réflexion intéressante sur la réintroduction de cet animal tout en exprimant les sentiments des bergers moralement affectés par la prédation.
L'autrice entretient une tension constante par la présence de l'ourse autour des troupeaux et par l'évocation tout au long de l'histoire, par flash-back, du drame qui a laissé des cicatrices invisibles mais considérables sur les lieux et les hommes.
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Les descriptions de la montagne sont superbes, magnifiées par les levers ou les couchers de soleil, la présence des troupeaux sur l'estive. Théâtre de drames, lieu de refuge, les mots de l'autrice disent toute la beauté de ce monde, sa fragilité aussi, dans un carrousel d'émotions, de sensations, de couleurs, de lumières, de senteurs et de bruits.
Si la figure de l'ours est centrale, elle n'hésite pas à y mêler l'intime, le destin des hommes, racontant les méandres de leur vie avec leurs tempêtes et leurs revers, avec leurs peurs et leurs questionnements, mais offrant également des moments d'émerveillement, de plénitude, de réconfort et de paix.
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A travers les personnes, les lieux et les époques, Clara Arnaud explore l'équilibre fragile entre la nature, l'animal et l'homme. Elle évoque les polémiques autour de la présence de l'ours, les bienfaits du pastoralisme sur la biodiversité des montagnes, l'intérêt de réintégrer l'ours dans la chaine alimentaire, le décalage entre le monde lent de la transhumance face au monde moderne qui demande rapidité, productivité, efficacité. Il est aussi question du réchauffement climatique.
« Elle savait combien les lâchers d'ours précédents avaient été polémiques, créant des remous dans tout le pays. L'ours charriait avec lui des siècles de mythologie, convoquait des terreurs archaïques. le débat dépassait l'enjeu de sa présence, il s'agissait du rapport de la société au monde sauvage, à ce qui échappait au champ du prévisible. »
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Pour conclure, Clara Arnaud signe un très beau roman, richement documenté, superbement écrit avec toute l'émotion que l'on peut mettre dans les mots.
Je l'ai savouré page après page et c'est avec une pointe de nostalgie et de regret que je quitte ces magnifiques paysages et cet animal si fascinant.
Je ne peux que vous le recommander très sincèrement.
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Je remercie très chaleureusement l'équipe de Babelio et les Editions Actes Sud pour l'envoi de ce roman accompagné d'un très joli marque-page d'une couverture de roman d'Aki Shimazaki et d'un petit mot personnalisé auquel j'ai été très sensible.
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