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Citations de Clara Arnaud (263)


Les montagnes baignaient dans la brume dont les mouvements, la variation de la densité agissaient sur son âme, la coloraient. En ce jour gris, elle était diffuse et homogène, elle sculptait les cimes, faisant douter de la réalité même des reliefs, qu'elle avalait, puis recrachait, passant et repassant dans le champ de vision que ménageait la fenêtre de la cabane. Et c'était chaque fois un nouveau tableau qui s'offrait, d'une minute à l'autre. Au creux d'une vague de brume, il crut distinguer le vol du percnoptère. Un retardataire ? Ils étaient déjà partis vers l'Afrique à cette époque de l'année. Un vieux vautour qui n'avait plus la force du grand voyage ? Son intuition du début de saison avait été juste, cette montagne était un tombeau, un tombeau superbe pour les esprits d'altitude, mais aussi une matrice qui engendrait la vie. La nuit ne tarderait pas à tomber, les jours raccourciraient. Il s'apprêta à sortir voir les bêtes rassemblées dans le parc. Les derniers jours, il les y contraignait la nuit, afin d'éviter d'avoir à courir la montagne en long et en travers. Le soleil déclinait derrière l'opacité nuageuse, tout était brun alentour. L'automne avait commencé à déshabiller les arbres, annonçant la fin du temps de l'estive.
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La vieille jument avait décidé de mourir ici, après s'être enivrée des fleurs et des horizons de l'estive, comme si elle avait choisi son lieu et son moment. Il songea à Jean, qui serait aussi heureux que triste, de la savoir partie ainsi. Il lui dirait qu'il l'avait trouvée déjà entamée par les rapaces, reposant au milieu d'un tapis mauve de crocus éclos dans les derniers rayons de l'été. Il rentra à la cabane en pleurant, laissant les vautours, auxquels succéderaient les gypaères, faire disparaître l'enveloppe charnelle de la jument. Il se plut à penser que son esprit allait désormais résider en ces lieux, dans l'herbe qui s'agitait sous la brise d'été, les rochers, les nuages, disséminés un peu partout, veillant l'esrive. Cette mort-là était gracieuse, il en parlerait à ses filles, elles verseraient une larme mais elles comprendraient.
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Il douta un instant de la certitude du printemps, de la possibilité même de cette résurrection. Et du retour des percnoptères de leur retraite africaine, de la sortie de tanière des ours, du bourgeonnement des hêtres, comme si questionner ces éclosions leur restituait une valeur magique, et que, à l'égal des Mayas, il eût pu douter du retour du soleil chaque matin, de la course des saisons.
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La montagne n'était jamais aussi belle qu'à la toute fin de l'estive, ce moment étrange où coexistait en lui l'envie de quitter cet océan d'altitude, de gagner la terre ferme – comme ces navigateurs au terme de longues traversées océaniques – et la nostalgie d'un monde auquel il fallait s'arracher, le spleen du retour que partageaient bergers, marins et voyageurs. Et même après avoir affronté les pires tempêtes, manqué la mort de peu, songé mille fois à abandonner, tous ceux qui avaient connu le grand large, océanique ou montagnard, fréquenté les déserts ou les abysses, n'avaient de cesse d'y retourner, de s'y enfoncer, et les autres ne les comprendraient jamais tout à fait, et ils diraient encore, mais pourquoi tu t'infliges ça ? À quoi bon ? Et les marins, les errants, les bergers répondraient toujours à côté, parce qu'on n'explique pas avec les mots à quel point la montagne peut suffire à un homme, remplir toute son existence, la déborder, même, envahissant ses rêves.
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La montagne éprouvait, elle faisait le tri entre ceux qui ne faisaient qu'y passer et ceux qu'elle accueillait, dont tout l'être, le corps se pliaient à ses caprices.
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II observa encore l'astre incandescent, la silhouette irréelle des montagnes dans sa lueur rouge. Qu'il se fût réveillé par hasard au moment précis où la Lune se trouvait dans l'ombre de la Terre l'interpella. Il ne savait pas si l'ardeur de l'astre lui signalait que la montagne l'accueillait, ou s'il s'agissait d'une menace.
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Le jour de leur rencontre, Alma s'était assise contre un arbre, elle avait ôté ses chaussures de marche, posé les jumelles ; elle grignotait un morceau de chocolat, s'apprêtant à repartir bredouille – il fallait savoir renoncer –, quand elle avait entendu une pierre tomber. Un isard ? Elle avait levé les yeux et, juste au-dessus d'elle, à quelques centaines de mètres, l'ourse jouait les équilibristes dans les éboulis. Indifférente à sa présence, l'animale retournait d'énormes pierres pour trouver insectes et charognes. Derrière elle, deux oursons duveteux, encore frêles, cavalaient, au risque de dévaler la pente à tout moment, entraînés par l'un des blocs que leur mère balançait sans ménagement. Le souffle court, Alma avait saisi sa paire de jumelles, incroyable de les voir comme ça. Son pouls s'était emballé, rester calme surtout, mais le bang bang se répercutait dans sa cage thoracique, et il lui semblait qu'on pouvait entendre son cœur battre dans toute la vallée, alors qu'elle braquait son attention sur l'ourse. Stature exceptionnelle, fourrure noire et ce collier de poils argent, c'était bien la doyenne, celle que l'on appelait parfois la Negra dans l'équipe. L'ourse avait jeté encore quelques pierres qui, dévalant, l'avaient fait sursauter. Puis l'animale l'avait fixée, et c'est comme si, à ce moment précis, Alma prenait la mesure de sa puissance, les cent kilos de muscles et de fourrure de l'ourse affamée par la diète hivernale, de la largeur de ses paumes, t'inquiète ma belle, je sais que je suis chez toi. L'ourse l'avait toisée de son promontoire, se dressant sur ses pattes arrière pour jauger une éventuelle menace grâce à son flair, avant de s'éloigner, sans hâte, escortée des deux petits, son corps épais se mouvant avec une exceptionnelle dextérité.
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Il l'aimait autant qu'elle l'étouffait.
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Et au fil des ans, des mondes qui se superposaient dans ses souvenirs, des gens aimés, perdus de vue, il lui semblait que sa colonne vertébrale, son ancrage, reposait ailleurs qu'en un lieu, dans une manière de se mouvoir dans le monde, l'observer, s'y fondre.
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La montagne faisait le tri, elle choisissait ceux qui méritaient de l'habiter.
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Les plantigrades ne méritaient pas plus d’être défendus que n’importe quelle autre espèce en sursis, mais, les protégeant, c’était tout un écosystème qu’il s’agissait de conserver. L’ours prenait place dans une chaîne d’interdépendances, impliquant quantité de plantes, d’oiseaux, de mammifères, d’amphibiens, mais aussi les hommes et leur bétail. Alma ne pouvait pas lancer ce genre de démonstration ou de débat au comptoir, où les conversations ne supportaient pas la nuance, alors elle se tut et repensa aux montagnes.
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Nous étions en paix comme nos montagnes
Vous êtes venus comme des vents fous
Nous avons fait front comme nos montagnes
Vous avez hurlé comme des vents fous
Eternels nous sommes comme nos montagnes
Et vous passerez comme des vents fous

Hovhannès Chiraz « Impromptu »
Poète arménien (1914-1984)
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La brume s'était dissipée, le dernier rayon de soleil caressa le sommet du mont Calme. Il regarda le cirque. Il se sentit appartenir très fort à ces lieux. Ici, il avait aimé et pleuré, connu des siestes paisibles et des orages vigoureux, les éclairs avaient déchiré le ciel, il y avait eu des matins mauves, des soirées orange, des feux ardents, des bains transis dans les torrents, il avait connu les naissances et les morts, goûté le recommencement éternel des saisons ; et même si elle avait été jouée mille fois, si on en connaissait les ressorts narratifs, les ficelles, les trucs, les effets de style, l'histoire de la vie était toujours aussi spectaculaire. Et le cirque était tout à la fois un monde clos et une porte ouverte, un cul-de-sac, le début d'une aventure ; il ne savait pas, plus, il naviguait entre l'épuisement et l'extase, les certitudes et le doute, le corps de Lucie et le fantôme d'llia, ce qu'il transmettrait à ses filles et ce que sa mère ne lui avait pas dit avant de s'évaporer, il se sentait puissamment vivant et la seconde d'après, les contours de son corps, ses pensées, son existence même lui semblaient incertains.
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La montagne ne pardonnait pas. Il fallait de nouveau s'y frotter pour se forger un corps qui ne craignait ni les variations thermiques, ni l'humidité, ni les efforts lents des ascensions, ni les courses folles en descente.
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Et bientôt, ils sont à la cabane, les rituels du soir s'enchaînent, puis il s'assoit sur le pas de la porte, dans le frais, et quelque chose opère encore, malgré les larmes qu'il ne peut retenir. Parce qu'ici vie et mort, joie et peine, intensité et lenteur, hommes et bêtes, lumière et néant, ciel et terre, douceur et violence se côtoient ; parce qu'il s'y fond et s'y efface, s'y sent si vivant, il s'accroche à ce bout de montagne. Les bêtes dorment, corps indistincts collés les uns aux autres, le ciel coule, l'herbe ploie sous la brise, partout s'élève l'odeur des excréments d'ovins qui parfument l'estive. Et Chance ronfle, allongée devant la cabane, son vieux flanc chevalin se soulève au rythme de ses respirations. Dans son sommeil, Lunita poursuit des brebis imaginaires. Une autre nuit fond sur l'estive.
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Gaspard appréciait ce grand type aux cheveux fous, il avait aussi de l'affection pour Yves. Ce n’était pas un mauvais gars, le genre à ne penser que la moitié des conneries qu'il balançait.
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Il respirait plus régulièrement. Une goutte de sueur coula le long de son front, froide. Il frissonna. Le ciel donnait l'illusion d'être à portée de doigts, vaste toile sombre, et pourtant rien de plus impalpable que le cosmos, une immensité de matière, de vide, de temps. II observa encore l'astre incandescent, la silhouette irréelle des montagnes dans sa lueur rouge. Qu'il se fût réveillé par hasard au moment précis où la Lune se trouvait dans l'ombre de la Terre l'interpella. Il ne savait pas si l'ardeur de l'astre lui signalait que la montagne l'accueillait, ou s'il s'agissait d'une menace. Il resta assis devant la porte de la cabane, se roula un joint et fuma dans le frimas printanier, sous la lune éclipsée.
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La neige avait fondu, dévoilant les parois - camaïeu terre et mordoré, vrac de roches -, mais bientôt, le printemps imposerait sa fulgurance chlorophylle.
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Le rapport des ours à la mort, à l'infanticide, passionnait Alma. La recherche sur les sentiments animaux connaissait une vraie révolution. On savait désormais que certains vertébrés avaient des rites funéraires élaborés, des primâtes perdaient l'appérit durant les jours qui suivaient le décès d'un proche, les oiseaux pouvaient se laisser mourir après avoir perdu un conjoint, les éléphants honoraient leurs défunts. Et cette ourse, avait-elle vécu le sentiment de la perte après la disparition de ses oursons l'an dernier ?
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Elle s’éloigne lentement, de ce pas suspendu, quelque peu léthargique de la sortie d’hibernation. Malgré les restrictions alimentaires et la perte de poids qu’impose le demi-sommeil hivernal, elle lui semble toujours aussi grande, aussi puissante que la première fois qu’il l’a vue, un an plus tôt, sa grosse tête balançant au rythme de ses pas, du mouvement de ses épaules ourlées de fourrure. Les premières semaines de printemps, ils sont encore faibles, peu réactifs, lui a expliqué Marcel, c’est le bon moment pour s’en approcher sans risque – et des ours, il en a chassé, il a l’habitude, le vieux. Elle dégage pourtant déjà une impression de grande force.
Et maintenant, Jules retient sa respiration, se concentre pour rester immobile, et il prie avec ardeur pour que son odeur soit suffisamment camouflée par celle de la terre, l’humus dans lequel il baigne, qu’elle ne le sente pas, il prie pour que tout se déroule comme dans ses plans, ses rêves. Il suffirait d’un souffle de vent mal orienté. Elle a disparu de son champ de vision, soudain. Il attend quelques minutes, seuls les oiseaux et une brise dans les feuilles, le craquement des branches sous son torse, à chacune de ses respirations, perturbent le silence.
Il attend, attend encore un peu, imaginant l’ourse s’éloigner nonchalamment, gratter le tronc d’un arbre mort, se plonger dans la dégustation de larves d’insectes avec délectation.
Puis vient le moment, il le sent. Il se redresse doucement, déplie son corps centimètre par centimètre, regarde de droite à gauche, et s’avance vers l’entrée de la tanière, comme si une force extérieure, un instinct l’y guidaient plus qu’une décision raisonnée.
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