Il était le génie de la vie, il n'a pas senti la mort. Belle épitaphe que celle offerte par George Sand à ce très grand bonhomme dont la vie fut à la démesure de l’œuvre.
Petit-fils d'un marquis aventureux et d'une belle esclave noire, fils d'un général révolutionnaire déchu, il naquit avec le siècle et joua un rôle dans tous les grands combats progressistes de son temps. Celui de l'art romantique, aux côtés de Hugo, sur les scènes des théâtres parisiens. Celui de la république, en 1830, fusil au poing sur les barricades, puis en 48, moins jeune déjà, candidat enthousiaste mais malheureux à des élections qui le laisseront sur la touche. Celui de l'indépendance italienne, encore, aux côtés de Garibaldi, alors que la vieillesse lui tendait déjà les bras.
Engagé en littérature par vocation, parce qu'il fallait bien gagner sa vie, parce que la politique ne voulait pas de lui, il devint l'auteur le plus prolifique de son temps (voire de tous !), aidé par de multiples collaborations sans doute, mais aussi et surtout, par une formidable fertilité intellectuelle, une puissance de travail énorme.
Le résultat se chiffre par dizaines : de pièces de théâtre, de nouvelles, d'articles, d'impressions de voyage, de causeries, de romans. Il connut des triomphes magnifiques et des fours formidables. Y gagna des centaines de milliers, qu'il perdit par millions. Généreux, dispendieux, inconséquent, entouré toujours d'innombrables maîtresses, de pique-assiettes éhontés, embarqué sans cesse dans de grandes affaires plus ruineuses que rentables, il finit à peu près aussi pauvre qu'il avait commencé. Et au milieu de tout cela, il trouva encore le temps de voyager, avec autant de passion qu'il en mettait pour le reste : en Suisse, en Italie, en Belgique, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Espagne, en Afrique du Nord, en Angleterre, en Russie...
Grand spécialiste de Dumas, Claude Schopp en livre ici une biographie d'une grande précision. Un poil trop précise, même, peut-être : alors que je ne connais pas trop mal l'époque et le contexte, j'avoue m'être parfois un peu perdue dans cette accumulation de faits, qui aurait gagné à un peu plus de synthèse et d'analyse, à quelques remises en perspective politique et littéraire. De même, j'aurais apprécié un peu moins de détails sur les très nombreuses maîtresses, les grands amours dont la répétition devient très vite lassante, et en contrepartie en apprendre un peu plus sur ces belles amitiés qui furent aussi l'un des grands fondements de la vie de Dumas.
Malgré ces quelques réserves, la lecture est très intéressante, enthousiasmante même parfois, lorsque la jeunesse s'emballe dans ses premiers combats, lorsque les théâtres croulent sous les applaudissements, lorsqu'il faut affronter les vieux prégugés et la censure, lorsque les balles sifflent sur les barricades. Bien plus tard, même, lorsque vieilli, ruiné, l'incorrigible Alexandre refuse encore de devenir respectable, fait le désespoir de son fils en posant, égrillard, enlacé d'une belle écuyère demi-nue.
Enthousiasmante parfois, et parfois franchement poignante, lorsque les amis commencent à mourir, que les désastres s'accumulent, que l'argent fait défaut et oblige à courir toujours plus vite après le moindre sou, à prostituer le talent pour tenter de sauver le navire. Lorsque la formidable vitalité se heurte désormais, régulièrement, à la mélancolie, et qu'un réalisme désabusé vient ternir les beaux idéaux d'autrefois. Claude Schopp est particulièrement doué pour décrire ces moments noirs, qui donnent à ce grand monstre impétueux une belle profondeur.
Nuancé et intelligent, le portrait de l'auteur, indéniablement, est superbe !
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