Citations de Colson Whitehead (747)
En un sens, la seule chose que nous avons en commun, c’est la couleur de notre peau. Nos ancêtres sont venus de toutes les régions du continent africain. Et il est vaste. (..)
Ils avaient des coutumes différentes, des moyens de subsistance différents, ils parlaient cent langues différentes. Et ce grand mélange a été emmené vers l’Amérique dans les cales des navires négriers. Vers le Nord, vers le Sud. Leurs fils et leurs filles ont récolté le tabac, cultivé le coton, travaillé dans les plus vastes domaines et les plus petites fermes. Nous sommes des artisans, des sages-femmes, des prêcheurs et des colporteurs. Ce sont des mains noires qui ont construit la Maison-Blanche, le siège de notre gouvernement national. Ce mot nous. Nous ne sommes pas un peuple mais une multitude de peuples différents.
Il nous faut croire dans notre âme que nous sommes quelqu'un, que nous ne sommes pas rien, que nous ne valons pas rien, et il nous faut arpenter chaque jour les avenues de la vie avec dignité, et avec cette conscience d'être quelqu'un.
Martin Luther King
Le maître répétait souvent que la seule chose qui soit plus dangereuse qu'un nègre avec un fusil, leur dit-il, c'était un nègre avec un livre.
Les vastes champs éclataient de centaines de milliers de capsules blanches, reliées entre elles à l'image des constellations dans le ciel par la plus claire des nuits claires. Quand les esclaves en avaient fini, les champs se retrouvaient dépouillés de leur couleur. C'était un processus magnifique, de la graine au ballot, mais aucun d'entre eux ne pouvait s'enorgueillir de son labeur. On les avait spoliés. (p. 94)
Le seul moyen de savoir depuis combien de temps on est perdu dans les ténèbres, c’est d’en être délivré.
Il ne manquait jamais le marathon. Il ne s'intéressait pas aux vainqueurs, ces super-héros qui couraient après des records du monde et dont les semelles claquaient sur l'asphalte des ponts et des avenues extra-larges de New-York. (...)
Lui, il aimait les coureurs sonnés, qui traînaient les pieds dès le trente-septième kilomètre en tirant la langue comme des labradors. Qui franchissaient la ligne d'arrivée coûte que coûte, les pieds en sang dans leurs Nike. Les trainards et les boiteux qui ne couraient pas sur la route mais dans les profondeurs d'eux-mêmes, qui allaient jusqu'au bout de leur caverne avant de remonter à la surface avec ce qu'ils y avaient trouvé.
Je n’avais pas besoin d’exagérer la réalité pour écrire ce roman. De même, dans mes autres romans sur l’esclavage, la réalité dépassait la fiction. Je n’ai pas eu à chercher très loin.
A propos de son roman "Nickel Boys".
Je cite beaucoup le révérend Martin Luther King, Jr., entendre sa voix dans ma tête m’a stimulé.
Au-dessus des braises fumantes, de longues perches écartelaient les deux bêtes. Jimmy était le maître du barbecue. Son père avait grandi en Jamaïque et lui avait transmis les secrets du feu des Nègres marrons. Il sonda la viande avec ses doigts et agita les charbons ardents, rôdant autour du brasier comme s'il évaluait un adversaire à la lutte. Il était l'un des plus vénérables résidents de la ferme, un survivant de la Caroline du Nord et de ses massacres, et il aimait sa viande tendre et fondante. Il ne lui restait plus que deux dents.
Il arrive parfois qu'une esclave se perde dans un bref tourbillon libérateur. Sous l'emprise d'une rêverie soudaine au milieu des sillons, ou en démêlant les énigmes d'un rêve matinal. Au milieu d'une chanson dans la chaleur d'un dimanche soir. Et puis ça revient, inévitablement : le cri du régisseur, la cloche qui sonne la reprise du travail, l'ombre du maître, lui rappelant qu'elle n'est humaine que pour un instant fugace dans l'éternité de sa servitude.
Ces hommes étaient des requins qui promenaient leur gueule sous la coque d’un navire, traquant leur pitance qu’ils sentaient proche.
Les Blancs étaient venus sur cette terre pour prendre un nouveau départ et échapper à la tyrannie de leurs maîtres, tout comme les Noirs libres avaient fui les leurs. Mais ces ideaux qu'ils revendiquaient pour eux-mêmes, ils les refusaient aux autres. Cora avait entendu maintes fois Michael réciter la Déclaration d'indépendance à la plantation Randall, sa voix flottant dans le village comme un spectre furieux. Elle n'en comprenait pas les mots, la plupart en tout cas, mais "naissent égaux en droits" ne lui avait pas échappé. Les Blancs qui avaient écrit ça ne devaient pas tout comprendre non plus, si "tous les hommes" ne voulait pas vraiment dire tous les hommes. Pas s'ils confisquaient ce qui appartenait à autrui, qu'on puisse tenir ce bien dans sa main -comme la terre - ou non- comme la liberté. La terre qu'elle avait labourée et cultivée avait été une terre indienne. (...)
Des corps volés qui travaillaient une terre volée.
Elwood demanda à sa grand-mère quand les Noirs pourraient commencer à descendre au Richmond, et elle lui répondit que dire aux gens comment se conduire et les persuader d'obéir sont deux choses bien différentes.
Le Noir d’Amérique, auquel on fait mornement allusion comme à cette ombre qui gît par le travers de notre vie nationale, est en fait bien plus que cela : il est toute une série d’ombres nées d’elles-mêmes, qui s’entrelacent et contre lesquelles nous luttons en vain.
Elle pressa le pas.
Il y avait au coin de la rue une maison grise dont les occupants étaient indifférents au comportement prédateur de leur chien ,
et une succession de maisonnettes derrière les fenêtres desquelles on apercevait les yeux féroces des épouses.
p. 118
Le Blanc passe ses journées à essayer de vous tuer lentement, et parfois de vous tuer plus vite. Pourquoi lui faciliter la tâche ? Voilà au moins une chose à laquelle on pouvait dire non.
Il n'y avait pas de modèle pour le type d'homme qu'il voulait devenir. il ne pouvait se vouer à l'enclume, car jamais il ne saurait surpasser le talent de son père. En ville, il scrutait le visage des hommes comme lui traquait les impuretés du métal. Partout on s'affairait à des tâches futiles et vaines? Le fermier s'en remettait à la pluie comme un imbécile, le boutiquier disposait en perpétuels rayons des marchandises nécessaires mais fades. Les artisans créaient des objets qui n'étaient que rumeurs fragiles comparées à la dure réalité du fer paternel. Même les plus riches, qui influençaient autant les lointaines bourses londoniennes que le commerce local, ne lui semblaient pas inspirants. Il reconnaissait leur place dans le système, eux qui érigeaient leurs grandes demeures sur des fondations de chiffres, mais il ne les respectait pas. Si on n'était pas un peu sale à la fin de la journée, on n'était pas vraiment un homme. (p. 100)
La liberté était une chose changeante selon le point de vue, de même qu'une forêt vue de près est un maillage touffu, un labyrinthe d'arbres, alors que du dehors, depuis la clairière vide, on en voit les limites. Être libre n'était pas une question de chaînes, ni d'espace disponible.
“L’Amérique a toujours eu son lot de crétins racistes”
Télérama
Malgré la compagnie de ses beaux-parents, Carney aimait venir dans leur maison de Strivers’ Row, « l'Allée des Travailleurs ». Enfant, il admirait ces demeures de brique jaune et de pierre blanche immaculée parachutées en plein Harlem. Vus depuis la 8e Avenue, les trottoirs étaient toujours balayés, les caniveaux débouchés, et les ruelles séparant les maisons lui apparaissaient comme des territoires intrigants. Un pâté de maison qui avait son propre nom, ce n'était pas courant. Comment pourrait s’appeler son vieux bloc d'immeubles de la 127e Rue ? Crooked Way, « la Voie des Escrocs ». Le travailleur d'un côté, le voyou de l'autre. Les travailleurs tendaient vers une vie plus belle - qui existait peut-être, ou peut-être pas - quand les escrocs magouillaient pour détourner le système en place. D’un côté le monde tel qu'il aurait pu être, de l'autre le monde tel qu'il était. Mais Carney se montrait peut-être un peu trop radical. Nombre d'escrocs étaient de grands travailleurs, et nombre de travailleurs trichaient avec la loi. (p.93)