Damien et Renan Luce chez Michel Druker avec Isabelle Nanty
Le galet
Le silex est la pierre de la guerre,
Le galet est celle de l'amour,
polie par les eaux de la tendresse.
Mon professeur de piano me faisait jouer du Ravel. Un Prélude. Papa n'était pas tendre avec Ravel. Je crois surtout qu'il était un peu jaloux. Il le traitait de fakir. Il lui reprochait de vouloir "épater son monde". Il disait : "Qu'est-ce que c'est ce que ce compositeur qui n'écrit qu'un seul prélude, une seule fugue, une seule sonatine ? Moi, quand j'écrivais des préludes, j'en écrit vingt-quatre." Mais il admirait les Jeux d'eau et les jouait en cachette quand il se croyait seul. Le Prélude est une petite chose toute fragile, une boîte à musique qu'on a peur de casser en jouant trop fort. C'est très différent de papa et pourtant ça lui ressemble. Comme deux peintres qui dessineraient le même paysage, l'un à la gouache (papa), l'autre au crayon (Ravel).
Si le silex est la pierre de la guerre, le galet est celle de l'amour, polie par les eaux de la tendresse.
Mon épanouissement, je le dois à des parents qui ont su me pousser vers mon naturel, vers ce qu je sais faire, et m'inculquer le sens du dévouement. L'école s'obstine souvent à te mettre le nez dans tes points faibles, quand ce sont tes points forts que tu dois identifier et nourrir. Car à travailler davantage tes points faibles que tes points forts, tu en deviens médiocre en tout.
Pourquoi une fille comme moi s'est retrouvée à faire le trottoir? D'abord,on ne fait pas le trottoir,c'est le trottoir qui nous fait.Il nous fabrique à son image:sale,piétiné par tout le monde,dur,insensible.C'est l'avantage du métier on ne sent plus rien.
Ecrire est comme une respiration. La plume respire une gorgée d'encre, et parle sur le papier. Au bout de quelques phrases, elle s'étouffe, et il faut l'abreuver à nouveau.
Un lit, ça doit être assez petit pour qu'on puisse passer facilement d'un bord à l'autre, quand nos rêvent changent de cap.
Le jugement de Jeanne en matiére d'art est altéré par le goût de sa mére.Ce goût s'exprime principalement dans la décoration de l'appartement familial.Il est gouverné par un concept aussi fumeux qu'arbitraire: celui de la modernité. Papa Chemin a beau lutter pour faire comprendre à son épouseque l'adjectif ne comporte aucune connotation esthétique, seulement une indication temporelle, rien à faire. Chaque fois qu'un achat important est nécessaire, le conflit refait surface.
- Peux-tu me dire ce que tu trouves de si attrayant à ce canapé?
- Il est moderne, ça me plait.
- Ce qui signifie que tu ne l'aimeras plus dans cinq ans ?
- Et alors ?
-Ton goût change donc tous les cinq ans ?
-J'évolue avec mon temps.
- Moi, j'appelle ça ne pas avoir de goût, s'il suffit de quelques tours de cadran pour te faire changer d'avis.
- Toi, tu es rétro.
- Non, je juge simplement les choses selon des critéres subjectifs et sûrs: la couleur, la forme, l'équilibre, et non pas selon des critéres objectifs et précaires, comme le temps.(...) J'aimerais un jour que tu m'expliques ce qui fait qu'un objet est moderne à tes yeux.
- Tu ne peux pas comprendre.
- J'ai l'impression qu'il suffit que cela soit incongru, bizarre.
- J'aime la nouveauté.
- Mais ce n'est pas un critère de qualité, ça! Une chose peut-être nouvelle et laide!
- Tu ne peux pas comprendre.
Cela peut durer des heures...Le résultat est toujours le même: l'achat d'un canapé moderne, d'une lampe moderne, d'une table moderne...
A chaque enfant naissant avec un défaut de fabrication, c'est deux handicaps qui sont créés, le sien, et celui du monde qui l'entoure, qui avance estropié sur ces terres hors nomes
Oui,ma vie
Ce fut d'être celui qui souffle-et celui qu'on oublie!
(Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac)