Citations de David Graeber (399)
On continue à se demander si un marché libre et sans entraves va vraiment produire les résultats prévus par Adam Smith ; mais nul ne se demande si « le marché » est naturel.
À chaque question subtile et complexe, il existe une réponse parfaitement simple et directe, qui est fausse.
H. L. Mencken
le facteur crucial, qui sera longuement exploré dans ces pages, est l’aptitude de la monnaie à faire de la morale une question d’arithmétique impersonnelle – et, ce faisant, à justifier des choses qui sans cela paraîtraient odieuses ou monstrueuses.
Nous tous, êtres humains, nous nous construisons les uns les autres : c’est en cela que consiste la vie. Même les individualistes les plus radicaux n’accèdent au statut d’individu que grâce à l’attention et au soutien de leurs semblables. Et l’« économie » n’est rien d’autre, en fin de compte, que la façon dont nous nous procurons les moyens matériels pour ce faire.
1) la plupart des gens tirent leur dignité et leur amour-propre du fait de gagner leur vie grâce à leur travail ;
2) la plupart des gens détestent leur boulot.
Promenez-vous dans un cimetière : vous ne trouverez pas de pierres tombales marquées « Chauffagiste », « Vice-président exécutif », « Garde forestier » ou « Employé ». Quand un être meurt, on estime que l’essence de son âme réside dans l’amour qu’il a porté à son conjoint et à ses enfants, dans celui qu’il a reçu d’eux. Pour ceux qui ont fait la guerre, on mentionne la division militaire dans laquelle ils ont servi. Dans toutes ces dimensions interviennent à la fois une intense implication émotionnelle et le fait de donner et reprendre la vie. Pourtant, il y a fort à parier que, de leur vivant, la première question que l’on posait à tous ces gens quand on faisait leur connaissance était : « Vous faites quoi dans la vie ? »
Au sein des sociétés patriarcales, les hommes aiment à croire qu’ils accomplissent sur le plan social ou culturel ce que les femmes accomplissent, selon eux, de manière naturelle
L’allongement de l’espérance de vie depuis 1900 résulte davantage des progrès de l’hygiène, de la nutrition et d’autres avancées en matière de santé publique que des découvertes de nouveaux traitements médicaux. En d’autres termes, les améliorations de la santé devraient plus aux infirmières et aux agents d’entretien hospitaliers (très mal payés) qu’aux médecins (très bien payés).
Plus mon travail bénéficie aux autres, moins je suis susceptible d’être payé pour le faire.
L’économie elle-même est née sur le socle de la philosophie morale (la discipline qu’enseignait Adam Smith), laquelle était, à l’origine, une branche de la théologie
Les éditorialistes sont les moralistes de notre temps. Ils sont un peu l’équivalent laïc des prédicateurs. Lorsqu’ils s’expriment à propos du travail, leurs arguments reflètent une tradition théologique très ancienne qui voit ce dernier comme un devoir sacré, un malheur autant qu’une bénédiction, tandis que les hommes seraient d’incurables pécheurs, des paresseux qui ne manqueront jamais d’essayer de se dérober à l’effort s’ils le peuvent.
Apparemment, il y a bien une relation étroite entre la financiarisation de l’économie, l’épanouissement des industries de l’information et la multiplication des jobs à la con.
Par ailleurs, étant donné que la valeur du travail réside désormais moins dans ce qu’il produit ou dans les bienfaits qu’il apporte aux autres que dans sa dimension sacrificielle, tout élément susceptible de le rendre moins pénible ou plus plus plaisant, y compris la satisfaction de se sentir utile à ses semblables, diminue sa valeur - justifiant donc un salaire inférieur.
En 2006, JP Morgan Chase & Co., la première banque américaine, annonçait qu’environ deux tiers de ses profits provenaient des « commissions et pénalités » facturées à ses clients
Je ne raisonne pas en termes idéologiques et je ne l’ai jamais fait », a déclaré Obama en poursuivant sur le thème de la santé. « Ceux qui défendent le système à payeur unique nous disent : “Regardez tout l’argent qu’on gagnerait en supprimant les assureurs et la paperasserie !” Or cela représente un, deux, peut-être trois millions de postes, des gens qui travaillent à Blue Cross Blue Shield, Kaiser ou ailleurs. Qu’est-ce qu’on fait d’eux ? Où on les emploie ? »
Plusieurs études se sont intéressées aux conséquences des expériences d’amour non réciproque vécues à l’adolescence. Elles ont montré que la plupart des hommes ou des femmes qui ont éprouvé un amour non partagé finissent par digérer l’épisode, n’en gardant que peu de cicatrices émotionnelles permanentes. En revanche, pour ceux qui ont été l’objet d’un amour unilatéral, c’est une autre histoire. Beaucoup se débattent encore avec la culpabilité et le désarroi. L’une des raisons majeures, expliquent les chercheurs, tient à l’absence de modèles culturels. Quand vous tombez amoureux d’une personne qui ne vous rend pas votre affection, vous avez à votre disposition des milliers d’années de littérature romantique décrivant par le menu les émotions que vous traversez. Mais si elle raconte avec un luxe de détails les affres de Cyrano, cette tradition demeure quasi muette sur l’expérience de Roxane, ce qu’elle est susceptible d’éprouver et, encore plus, comment elle est censée se comporter.
Selon moi, ce n’est pas le capitalisme en lui-même qui produit ces foutaises. C’est l’idéologie « managérialiste » telle qu’elle est mise en pratique dans les grandes organisations. À mesure qu’elle s’incruste, des pans de plus en plus vastes du personnel universitaire sont assignés à une seule et unique fonction : jongler avec la myriade de joujoux qu’elle invente – stratégies, objectifs de performance, audits, rapports, évaluations, nouvelles stratégies, etc. Le tout totalement déconnecté de ce qui devrait couler dans les veines de l’université : l’enseignement et l’éducation.
Plus les puissants nuisent au monde, plus ils sont susceptibles d’être flanqués de béni-oui-oui et de propagandistes qui leur inventent des raisons de penser qu’au contraire ils lui sont bénéfiques, et plus une fraction d’entre eux au moins a de chances de se laisser convaincre
Comment parler de dignité au travail si l’on estime en son for intérieur que son job ne devrait pas exister ?
Les tabloïds se déchaînent contre les cheminots qui paralysent le métro londonien pendant des négociations conflictuelles. Le fait que ces travailleurs puissent mettre la ville à l’arrêt montre que leur travail est indispensable, et c’est précisément ce qui semble poser un problème