Dans cet épisode, les ateliers henry dougier vous proposent la lecture d'un extrait de "Chemins sans issue selon Van Gogh", un roman qui retrace la création de Champ de blé aux corbeaux et les derniers jours du peintre, suivie d'un entretien avec l'auteur, David Haziot.
Un podcast conçu et réalisé par Margot Grellier et Gaëlle Bidan.
Les ateliers henry dougier présentent... le roman d'un chef-d'oeuvre.
Mêlant récit romanesque et enquête historique, chaque auteur raconte la véritable saga d'un tableau en le mettant en scène à l'époque et dans le lieu où il a vu le jour.
Plus d'informations sur le livre :
http://ateliershenrydougier.com/chemins_sans_issue.html
Lire un extrait : https://fr.calameo.com/read/0055539603a705ed27e82
À commander en ligne : https://www.interforum.fr/Affiliations/accueil.do?refLivre=9791031202839&refEditeur=155&type=P
--------------------------------------------------------
Website : http://ateliershenrydougier.com/
Facebook : https://www.facebook.com/ateliershenrydougier/
Instagram : https://www.instagram.com/
Twitter : https://twitter.com/AteliersHD
+ Lire la suite
Ah mon cher Théo*, si tu voyais les oliviers à cette époque- ci...!Le feuillage vieil argent et argent verdissant contre le bleu. Et le sol labouré orangeâtre. ... c'est d'un fin, d'un distingué ! ... Le murmure d'un verger d'oliviers a quelque chose de très intime, d'immensément vieux. C'est trop beau pour que j'ose le peindre ou puisse le concevoir.
P. 388
* Théo est le frère de Vincent Van Gogh

Il plissa les yeux pour mieux apprécier la structure, puis il traça au pinceau la ligne d'horizon. Il était encore conscient jusque-là. Puis il se lança avec fureur dans l'attaque de la toile, comme un somnambule paradoxal qui calculerait ses moindres gestes. Les artistes, les musiciens, les écrivains connaissent cette fièvre, cette ivresse qui monte des profondeurs et donne une surconscience. Les verts commencèrent à vibrer, rehaussés de jaune citron et de chrome, des touches de violet pour les complémentaires qui enchanteraient les yeux en les asservissant à leur charme sourd. Le ciel fut balayé au cobalt, avec la densité sur l'horizon pour signifier la menace de l'orage. On aurait cru la nuit dans la lumière du matin. Il jeta des nuages en blanc frottés de bleu. La solitude. Pas un homme, pas un cheval, pas un chien. Il ponctua le premier plan de quelques gouttes d'espoir ou de sang en carmin. Des coquelicots. La touche discontinue qu'il aimait tant pour suggérer resta au bas de la toile. Et les brosses lui tombèrent des mains. Un silence impressionnant planait sur cette image : Champ de blé sous un ciel orageux. Presque un trop grand calme. L'infini silencieux. Le monde sans moi peut aller de l'avant, se dit-il.
[...] l'accord bleu-jaune est pour lui l'accord du bonheur, de la vie, le rouge-vert étant celui de la mort et des passions mauvaises, le noir-rouge, celui de l'angoisse.
Vincent Van Gogh est Icare, il s'élèvera en effet sur les ailes de la peinture jusqu'au jaune, jusqu'à l'or absolu de la fin de l'été 1888, rencontrera cette figure brutale du père qu'il voulut voir en Gauguin, puis, après la chute à travers les formes tournoyantes de Saint-Rémy, s'abîmera dans les bleus d'Auvers-Sur-Oise.
Le ciel fut balayé au cobalt, avec la densité sur l'horizon pour signifier la menace de l'orage. On aurait cru la nuit dans la lumière du matin. Il jeta des nuages en blanc frottés de bleu. La solitude. Pas un homme, pas un cheval, pas un chien. il ponctua le premier plan de quelques gouttes d'espoir ou de sang en carmin. Des coquelicots. La touche discontinue qu'il aimait tant pour suggérer resta au bas de la toile. Et les brosses lui tombèrent des mains. Un silence impressionnant planait sur cette image : Champ de blé sous un ciel orageux. Presque trop grand calme. L'infini silencieux. Le monde sans moi peut aller de l'avant, se dit-il.
Je travaille même en plein Midi, en plein soleil, sans ombre aucune, dans les champs de blé, et voilà, j'en jouis comme une cigale. (p. 463)
Mais là il se trouvait devant une déshumanisation complète, un statut pire que celui d'esclaves. Les paysans de Millet étaient encore du monde de la lumière, ils croyaient, priaient au moment de l'angélus, travaillaient au grand air, selon les rythmes du jour et des saisons, tandis que toute parole de consolation religieuse paraissait grotesque ou insensée pour ces damnés de la terre.
Vincent comprit l'inanité de ses prêches : devant une telle situation faite par des hommes à d'autres hommes, et à tant d'enfants, les bonnes paroles ne suffisaient plus, il fallait combattre. Sa vocation religieuse mourut au fond du puits de Marcasse, tandis que son amour des hommes et des humbles ne connut plus de limites. Il avait été une sorte de prêtre ouvrier avant l'heure, il devint armée du salut à lui seul et se sacrifia sans compter aux mineurs.

Un jour, Ptahouseneb, haut et riche fonctionnaire de l’Empire, commanda à l’atelier, la décoration de son immense villa.
Le jeune artiste Khaëmhat fut chargé de ce travail.
Il installa ses outils dans la maison de cet homme que l’on disait dur et autoritaire.
– Tu me peins la grande salle ! Et n’oublie pas ! Je veux que les nobles en crèvent de jalousie. Je saurai te récompenser.
On le laissa seul.
Les jours s’écoulèrent. Le travail avançait bien,
… lorsqu’un soir, au moment où il examinait la mise en place de ses figures, il entendit des rires de jeunes filles derrière un rideau étoilé.
– Ça remue encore. Des gamines… Je vais les surprendre.
Rien !
– Je n’ai pourtant pas rêvé !
Mais les fantômes avaient oublié d’emporter leurs parfums… Traces de myrrhe, de lotus, de musc, abandonnées dans l’air par les fugitives…
– Hum… Pas si gamines que ça !
Le lendemain et le surlendemain, même processus. Impossible de donner corps à ces rires.
– C’est de la magie !
Il avait tenté d’appuyer sur tous les blocs, rien ne bougeait.
Il se sentit observé et le rythme de son travail se ralenti.
Le troisième jour et le jour suivant, la salle retomba dans le silence. Khaëmhat commençait à oublier.
Mais un soir, il devina une présence muette derrière lui.
Il se retourna lentement et son regard fut happé par deux yeux énigmatiques qui l’observaient dans l’ombre en lui lançant comme un appel muet.
– Aussi belle qu’Isis…
Puis le rideau se ferma doucement, tendrement, et l’image disparut.
Dès lors, il ne chercha plus à savoir comment ce mirage apparaissait ou s’évanouissait.
Le jour suivant, tandis qu’il peignait les eaux du Nil, il tourna la tête et plongea son regard avec délices dans celui de la belle inconnue, à la même heure, le soir, quand le soleil enflammait les murs, les ors de la tenture et ses dessins où la couleur commençait à palpiter.
Elle revint tous les soirs.
Et le désir se déclara. Brutal, âpre, sauvage. Qui était cette fille ? Elle revenait, disparaissait. Un songe.
Deux yeux intenses… Parfois un sourire. Un soir, une fleur trouvée sur son fourbi de peintre, « Chut », lui faisait-elle, un doigt sur la bouche.
Il obéissait, fasciné, immobile. Cette présence insidieuse lui dévora l’imagination.
Elle ondulait là-bas dans les étoffes, … blanche, frémissante, taquine.
Ses yeux se brouillèrent… Il la vit partout. Il ne pouvait plus travailler, imaginer, dessiner.
À l’atelier, dans son sommeil, sur la barque, à l’aube, dans les roseaux, dans les vapeurs, dans les reflets de l’eau… Elle était là, provocante, son visage ou sa robe fondus dans le miroitement du fleuve.
« Est-ce que je l’aime ? » se disait-il, brusquement réveillé.
Elle n’apparaissait qu’au moment où il était seul, comme si elle craignait quelque chose… Lui l’attendait maintenant chaque jour, malade de désir, mais n’osant lui parler : aborder une jeune fille de ce rang pouvait lui coûter cher. Un soir, elle s’offrit longuement, à peine vêtue à ses regards.
Un baiser de la main, puis elle disparut avec un sourire, mais un peu tremblante.
Le lendemain, il trouva un papyrus enroulé.
« Tes roseaux sont beaux, mais je vaux mieux qu’eux ! Je t’attends ce soir… Taousert, ma servante, t’expliquera comment me joindre là où nul ne peut nous surprendre ». Néfrourê.
Et presque immédiatement…
– Je suis Taousert. Si tu veux la voir dès cette nuit, marche sur le lotus derrière la tenture et suis la fleur jusqu’au bout.
– Prends garde ! Ce mur est un secret. Nul ne doit te suivre.
– Si tu te sens filé par un homme, fais mine de sortir et reviens par la terrasse aux clématites que tu vois là-bas. Il y a une dalle qui te ramènera derrière le rideau.
– Il te faudra toujours suivre le lotus.
Elle s’éloigna dans un claquement de sandales sur la pierre.
Il est des créateurs qui ont besoin d'exclure les autres pour avancer, une forme de cécité à ce qui n'est pas indispensable, il en est d'autres, tout aussi grands, que le parcours des autres ne gêne pas, qui son prêts à le comprendre. Hugo reconnaît Beaudelaire si loin de lui, Vincent reconnaît Gauguin, mais Gauguin ne voit pas Vincent. C'est ainsi et aussi vieux que l'histoire de l'art et de la littérature.
Mais suivre l'histoire des Rouart, c'est vivre aussi comme une aventure de l'individu, dans l'art et dans la société.
Parti d'un mouvement de la peinture contre la tyrannie de l'Histoire, de la mythologie, et des sujets préétablis, ce courant d'idées et d’œuvres qu'ils ont porté ne cessa de réaffirmer la priorité de l'individu, de son présent dans l'art et ailleurs, ici et maintenant. Ce respect infini de la personne, témoigne chez eux d'un profond humanisme. Les Rouart sont des hommes libres.
[...]
Peut-être savaient-ils, pour avoir vu de si près quelques-uns des plus grands créateurs de l'art français, qu'il y a loin de nous aux purs esprits et que la transparence universelle est un leurre. Toute oeuvre, quelque soit sa puissance, la lumière qu'elle jette sur notre condition, s'élèvera encore pour longtemps sur fond de ténèbres et de silence.