Préservons ces témoignages, les voix s’éteignent, c’est le cycle de la vie, mais les écrits restent pour dire l’indicible afin que nul n’ignore et que tous nous transmettions encore et encore.
Ce devoir de mémoire nous ancre dans la mémoire collective, dans l’appartenance à la Nation.
L’horreur n’a eu ni limites ni frontières.
Edith Bruck à la fin de l’ouvrage nous livre une confidence poignante, celle de la mémoire qui s’enfuit et donc l’urgence à témoigner encore.
Dans tous ces témoignages, Primo Levi, Simone Veil, Marceline Loridan, Charlotte Delbo entre autres,il y a l’universel et le personnel.
D’où l’importance de dire l’indicible.
Edith est née le 3 mai 1931, dans un petit village hongrois Tiszabercel, près de la frontière ukrainienne, en 1944, elle subit les premières manifestations de racisme contre les juifs. Petite fille vive et intelligente, déjà pourvu d’un caractère affirmé, elle est emmenée avec sa famille à l’aube de ses 13 ans, dans un convoi pour les camps.
Dernière image heureuse, sa mère les mains dans la pâte à pain, dont les ingrédients avaient été offerts par des voisins compatissant devant leur dénuement.
La famille est séparée, le père avec son frère David, la mère avec Jonas, et Edith avec sa grande sœur Judit.
Edith devient le matricule 11152.
« Marcher ! Vite ! En avant ! nous répétaient les deux gardes. Celle qui n’y arrive pas doit le dire et on l’hospitalisera !
Quatre sœurs, dans l’espoir d’un lit, levèrent aussitôt la main, et les fusils des soldats répondirent par quatre coups. »
Un an de camps puis la liberté ?
Les deux sœurs ont pu rester ensemble jusqu’au bout.
Le rapatriement se fait dans l’ordre d’arrivée, les Hongrois seront les derniers rapatriés, Edith et Judit vont faire comme d’autres partir dans un voyage de retour périlleux.
Que peut-il y avoir de pire que ce qu’elles ont déjà vécu ?
Il y a des escales où elles retrouvent des survivants, où elles apprennent les morts, où elles découvrent qu’il y a eu des hommes et des femmes qui se sont battus contre l’ignominie « les Justes »,
La première personne qu’elle retrouve c’est Mirjam, leur sœur aînée, très endurcie, un accueil glacial, elle ne cherche pas à savoir ce qu’elles ont vécu, Judit et Edith se sentent « de trop ». Mirjam leur apprend que leur frère David est chez leur autre sœur Sara, c’est ainsi qu’elles apprennent qu’elles ne reverront pas leurs parents ni le petit Jonas.
Ne se sentant désirées nulle part, elles vont retourner dans leur village. Arrivées sur place, c’est là aussi l’indicible, une maison pillée, les voisins craignent les représailles qu’elles pourraient vouloir exercer.
C’est au milieu du fumier qu’Edith récupère son seul héritage, les quelques photos de famille qui ont résisté.
Dès lors Judit n’a qu’une idée, aller en Palestine, comme en rêvait leur mère. Edtih, elle, veut écrire encore et encore, elle commence ses carnets.
Judit partira la première, Edith retournera chez sa sœur Sara, puis ira chez David qui s’est marié, puis elle partira.
Elle finira par aller en Palestine où elle retrouvera Judit.
Mais, brisée, elle ne se sent pas à sa place.
Les hasards de la vie font qu’elle finira par s’installer en Italie, où elle fera sa vie, continuera ses carnets débutés en hongrois et continués en italien.
Une identité et une place retrouvée grâce à l’écriture, témoigner c’est se réappropriée son être.
Edith Bruck, quasi nonagénaire, veut encore témoigner. Elle dit en fin d’ouvrage comment lors de signe de perte de mémoire, elle a ressenti l’urgence de dire.
Chaque récit sur cette période a une valeur universelle, mais aussi une valeur personnelle.
Ce qui est commun c’est de taire ce qui a été vécu, enfouir pour oublier. Mais au contraire d’autres veulent dire encore et encore. Ne pas oublier, surtout si comme moi c’est la voix de l’enfant que vous entendez derrière ces témoignages.
Edith Bruck rend celui-ci particulièrement prégnant et émouvant. Il me semble que c’est la première fois que je lis le rejet d’une famille, l’absence de cohésion, ce repli sur soi.
Une enfant devenue adulte dans l’horreur, et des décennies plus tard c’est la voix de l’enfant que vous entendrez.
A lire car ce n’est pas du passé.
©Chantal Lafon
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