Lecture de Jean Lancri : une création originale inspirée par Edmond Jabès.
Ce cycle est proposé par la Maison des écrivains et de la littérature (Mel) en partenariat avec la BIS. Un mois avant la restitution, l'écrivain est invité à choisir un élément dans les fonds de la BIS. Lors de la rencontre publique, « le livre en question » est dévoilé. Chaque saison donne lieu à la publication d'un livre aux éditions de la Sorbonne "Des écrivains à la bibliothèque de la Sorbonne"
Saison 5 : Jean Lancri, Gaëlle Obiégly, Sylvie Germain et Michel Simonot
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On ne naît pas étranger. On le devient, à mesure que l'on s'affirme.
Qu’est-ce que l’on a, de soi, à transmettre ? - Sans doute rien ; mais ce Rien est tout ce qui nous possédons. ("Le Livre des marges")
Il faut apprendre à écrire
avec des mots gorgés de silence
L'art de l'écrivain consiste à amener, petit à petit, les mots à s'intéresser à ses livres.
Les mots tracent
Tu parles toujours à partir d’un silence contre lequel tu te briseras.
Il n’y aura jamais eu, derrière et devant nous, que le même silence.
Le premier.
J'ai quitté une terre qui n'était pas la mienne,
pour une autre, qui non plus, ne l'est pas.
Je me suis réfugié dans un vocable d'encre, ayant le livre pour espace,
parole de nulle part, étant celle obscure du désert.
Je ne me suis pas couvert la nuit.
Je ne me suis pas protégé du soleil.
J'ai marché nu.
D'ou je venais n'avait plus de sens.
Où j'allais n'inquiétait personne.
Du vent, vous-dis je, du vent
Et un peu de sable dans le vent.
(" Un étranger avec, sous le bras, un livre de petit format")
La pensée permet aux mots d'accéder au pouvoir.
Le fou est la victime de la rébellion des mots.

Il était un temps
où ton corps
ouvrait les routes
Tu te confondais
avec l'horizon
Je ne vois plus
où tu respires
Tu te défends
Mes yeux ont porté les tiens
mes jambes ont délié tes jambes
et ma bouche tes lèvres
Je te donne le nom
que tes sens épellent
Tu es l'écho
de chair et d'os
l'image fidèle
de mon devenir
Il était un temps
où tu m'étonnais
où pour te trouver
il me fallait lutter
contre la fatigue
contre les intrigues
A la lueur de nos baisers
les continents émergeaient
ils étaient nos complices
et se révélaient à nous
par carré par habitant
La terre a pris feu
elle s'est depuis noyée
Nous nous agitons dans l'espace
accrochés à l'eau
pendus aux flammes
brûlés noyés
Tu as attendu que je te dépasse
pour me suivre
tu ne m'as pas trahi
Je dors dans un monde
où les vivants ont tort
au-dessus des ruines grimpantes
sur des colonnes d'agonie
et de couteaux
La nuit nous confronte
avec nos sosies
Il était un temps
où pour croire à la joie
j'avais besoin de tes rires
Le jour est en moi
tu y roules nue
J'ai écrasé nos liens
sans rougir
serpents dont nous étions les charmeurs
ingénus
Tu es libre où je te consacre
tu me soutiens
J'ai arraché nos racines
encombrantes
au sol qui se soulève
prêt à nous griffer
L'arbre s'est affaissé
il nous désignait
aux autres
Nous trompons le vide
Nous sommes invisibles
Les mots sont des fenêtres, des portes entrouvertes dans l’espace ; je les devine à la pression de nos paumes sur elles, aux empreintes qu’elles y ont laissées.
Autour d’un mot comme autour d’une lampe. Impuissant à s’en défaire, condamné, insecte, à se laisser brûler. Jamais pour une idée mais pour un mot. L’idée cloue le poème au sol, crucifie le poète par les ailes. Il s’agit, pour vivre, de trouver d’autres sens au mot, de lui en proposer mille, les plus étranges, les plus audacieux, afin qu’éblouis, ses feux cessent d’être mortels. Et ce sont d’incessants envols et de vertigineuses chutes jusqu’à l’épuisement.
Voyage dans le voyage.
Errance dans l’errance.
L’homme est, d’abord, dans l’homme, comme le noyau dans le fruit, ou le grain de sel dans
l’océan.
Et, pourtant, il est le fruit. Et, pourtant, il est la mer.