Citations de Emma Cline (149)
Car ça on pouvait toujours compter dessus, même quand l'amour faisait défaut: le filet de la famille, la pureté de l'habitude et du foyer. Vu la quantité de temps qu'on passait chez soi, c'était peut-être ce qu'on pouvait espérer de mieux, ce sentiment d'un enclos sans limites, comme chercher l'extrémité d'un ruban adhésif sans jamais la trouver.
J'étais une fille moyenne, et c'était là leur plus grande déception : il n'y avait aucun éclat de grandeur en moi. Je n'étais pas assez jolie pour justifier de tels résultats, la balance ne penchait pas assez franchement du côté de la beauté ou de l'intelligence.
J’aime imaginer que cela prît plus de temps que ça. Qu’il fallût me convaincre pendant des mois, me forcer la main lentement. Me courtiser avec prudence comme une amoureuse. Mais j’étais une cible enthousiaste, impatiente de m’offrir.
J'étais malade d'espoir insensé, convaincue que je resterais éternellement dans l'espace béni de son attention. J'essayai de prendre sa main.Une tape dans sa paume, comme si j'avais un message à transmettre. Suzanne sursauta légèrement et s'arracha à une brume que je n'avais pas remarquée avant qu'elle se déchire.
"Quoi?" fit-elle sèchement.
Mais j'aurais dû savoir que quand des hommes vous mettent en garde, ils vous mettent en garde contre le film sombre qui défile dans leur propre cerveau. Un rêve éveillé violent provoque ces exhortations coupables à "rentrer bien sagement à la maison".
Elles ne tombaient pas de très haut, je savais que le simple fait d'être une fille dans ce monde entravait votre capacité à croire en vous.
Je revoyais Russel gifler Helen et cela refaisait surface comme un petit accroc à l'arrière-plan de certaines pensées, un souvenir de méfiance. Mais je trouvais toujours un moyen de donner un sens aux choses.
Depuis que j'avais rencontré Suzanne, ma vie avait pris un relief tranchant et mystérieux, qui dévoilait un monde au-delà du monde connu, le passage caché derrière la bibliothèque.
Pauvre Sasha. Pauvres filles. Le monde les engraisse avec des promesses d'amour. Elles en ont terriblement besoin et la plupart d'entre elles en auront si peu.
C’était une pensée étrange : il n’existait que cette sensation banale d’être entraînée sur le fleuve éclatant de ce qui allait arriver. Que ça pouvait être aussi simple que ça.
Quel infime glissement avait pu faire basculer l'issue ? Si les visages rayonnants des planètes avaient gravité autour de la Terre dans un autre ordre, si une marée différente avait grignoté le rivage cette nuit-là.... la séparation entre le monde dans lequel je n'avais rien fait et celui où j'aurais pu faire quelque chose était-elle aussi ténue que cela?
On voulait certaines choses et on ne pouvait pas s'en empêcher car au réveil, on se retrouvait face à sa vie, face à soi-même, et comment se dire que ce qu'on veut est mal ?
Pauvres filles. Le monde les engraisse avec des promesses d'amour. Elles en ont terriblement besoin et la plupart d'entre elles en auront si peu.
En ville, un garçon s'était suicidé avec une arme à feu dans son sous-sol aménagé : je ne pensais pas à tout ce sang, aux entrailles humides, uniquement à la sérénité de l'instant qui avait précédé le coup, combien le monde avait dû lui paraître propre et bien rangé. Toutes les déceptions, la vie quotidienne avec ses châtiments et ses ignominies, rendues excédentaires d'un seul geste ordonné.
C'était là notre erreur, je pense. Une de nos nombreuses erreurs. Croire que les garçons suivaient une logique que nous pourrions comprendre un jour. Croire que leurs actions avaient un sens au-delà de la pulsion inconsidérée. Nous étions des théoriciennes du complot, nous voyions des présages et des intentions dans chaque détail, en espérant ardemment être assez importantes pour faire l'objet de préparations et de spécula-tions. Mais ce n'étaient que des gamins. Idiots, jeunes et directs : ils ne dissimulaient rien.
Beau, avec le côté ténébreux et féminin d'un méchant de cinéma, mais j'apprendrais plus tard qu'il venait simplement du Kansas.
Minable, songea George, minable. Allons, ce n'était pas gentil. Maîtrise-toi, se dit-il. Il était ivre.
Suzanne était enivrée par quelque chose, je le voyais. Pas de l'alcool. Autre chose, ses pupilles semblaient dévorer les iris, une rougeur entourait son cou tel un collier victorien psychédélique.
Il était déjà un spécialiste de la tristesse féminine : un affaissement particulier des épaules; des démangeaisons nerveuses. Une inflexion subtile à la fin des phrases, des cils détrempés par les larmes.
Les drogues rassemblaient des pensées simples, banales, en un patchwork de phrases qui paraissaient chargées d'importance. Mon cerveau détraqué d'adolescente avait désespérément besoin de causalités, de complots qui inondaient chaque mot, chaque geste, de sens. Je voulais que Russell soit un génie.