Citations de Emmanuel Guibert (235)
La mort n'est pas la souveraine déesse qu'on dit. La mort est très largement débordée par la vie. Elle court à droite et à gauche pour faucher tout ce qui bouge mais à peine passée, la vie repousse.
Les vieux jouaient aux vieux avec d'autant plus de perfection qu'ils avaient toujours été vieux.
On aime bien répéter, l'air grave, qu'on naît seul, qu'on vit seul et qu'on meurt seul. On aime moins que ça nous arrive.
Le confessionnal, c'est le meilleur usage qu'on puisse faire d'une voiture. Pour baiser, on est mieux dans un lit mais pour parler, rien de plus propice.
J'ai adoré la tempête. On n'avait pas le droit de sortir, mais on a trouvé une porte mal fermée qui donnait sur un petit poste d'observation juste au-dessus des vagues. Alors on ne disait rien à personne et on sortait, Dominque et moi, regarder la tempête. Le matin, les vagues étaient immenses et quand on était dans le fond d'un creux, on voyait le soleil se lever à travers l'eau. ça faisait une couleur extraordinaire.
On ne savait pas vers quel port on allait. On ne nous tenait au courant d'aucune destination. Bref, on s'est retrouvé au pied d'un immense paquebot et on a embarqué. Je n'étais plus avec Marker et les autres. Je ne connaissais personne autour de moi.
J'étais très très en colère,
mais j'ai dit tant pis,
ça je m'en fous,
c'est MON aventure,
c'est MON aventure dans la guerre
et je ne vais pas me laisser...
Parce que pour moi, voyez-vous, étant donné qu'il FALLAIT aller à la guerre,
je m'étais toujours dit :
je vais prendre ça comme une aventure,
je ne vais pas trembler,
je ne vais pas dire que c'est une tragédie personnelle,
je fais comme tout le monde
et c'est peut-être pour ça que je n'ai jamais eu peur.
C'est très curieux,
je n'ai PAS eu peur pendant la guerre.
J'avais décidé une fois pour toutes qu'arriverait ce qui arriverait.
L'avant-dernier jour, je sors des W.C., et je vois les jambes d'un type qui allait disparaître par la fenêtre. Il sautait du train, il allait se tuer, quoi. Heureusement, il était tout petit et j'ai pu l'attraper et le tirer à l'intérieur. C'était un petit marin de dix-huit ans, ivre, ivre mort. Il ne tenait plus debout. Je l'ai porté jusqu'à ma place et je l'ai gardé sur mes genoux toute la journée et toute la nuit sans connaissance.
Le lendemain, après le petit déjeuner, nous nous sommes dit au revoir, sachant que cette fois on ne se reverrait peut-être plus jamais et très contents de notre amitié.
Voilà. Au revoir, Lou.
C'était juste avant qu'il ne quitte les États-Unis pour la guerre. Ah, il vous aurait plu.
C'était un gars vraiment bien. Un homme très droit, très fort.
Et comme c'est indiqué dans cette histoire, je n'ai pas eu de sa nouvelles pendant très longtemps.
On nous faisait ramper de part et d'autre de la jeep, deux à droite et un à gauche, pour inspecter les bas-côtés de la toute, les bosquets, etc. Je me suis dit : "C'est pas vrai, je vais pas passer toute la guerre à ramper comme ça?"
Il savait tout, Amiel. Tout de la musique, tout de la littérature.Il avait déjà lu tout Proust, par exemple. Il détestait l'armée, bien sûr, détestait la radio. Il était enchanté par le music room. Souvent, il était si pressé d'arriver qu'il ne s'était pas changé, il n'avait pas mangé et il avait les cheveux pleins de poussière rouge.
-Amiel, secoue donc tes cheveux. Ils sont pleins de terre.
-Je m'en fous. Je suis venu pour écouter la musique, pas pour me laver la tête.
Je n'ignorais pas l'existence de la belle musique, mais alors là, c'était une révélation. J'aurais pu rester comme enseignant de radio pendant dix ans tellement j'étais heureux de recevoir cette musique. Il y avait du Bach, du Schubert, du Haendel, de superbes quatuors de Beethoven par l'Original Budapest String Quartet et beau coup d'autres merveilles. Et puis il y avait des soldats qui s'y connaissaient très bien et qui m'expliquaient. Par exemple, un gars assez snob qui étudiait la musicologie avant d'être incorporé.
Voilà, la guerre rageait dans le monde et moi, j'étudiais et j'enseignais la radio en paix. ça ne gênait pas ma conscience. Simplement, j'y pensais. Je faisais mon travail, quoi.
Peut-être que j'ai oublié parce qu'en tant que bon détenteur de secrets, je devais.
Et donc tout le bataillon est parti, compagnie après compagnie. Les quatre bâtiments se sont vidés, ils allaient être remplis le lendemain. J'étais dans un des bâtiments et je regardais tous ces gens qui s'éloignaient au pas sur la route. J'ai vu Lou partir. J'étais seul dans cette grande pièce et je vous assure que j'étais triste.
Nous allions souvent au cinéma, lui et moi. Et s'il fallait choisir entre un film de guerre et un autre, Lou choisissait toujours le film de guerre. Moi, je ne me voyais pas nécessairement dans la peau des personnages.
"-Lou, pourquoi encore un film de guerre?
- Parce que je me demande comment MOI je vais réagir dans ces situations."
Il était très brave, mais je ne sais pas, il avait peur de mal réagir dans ces situations.
Quand on rentrait des marches, en principe, on avait quartier libre. Tous les soldats se couchaient, épuisés, et nous on disait :
"Bon, ben on va à la patinoire."
Et on le faisait. ça engageait tout le monde.
Il était complètement différent de moi. Moi, j'étais un enfant assez timide, j'avais pas froid aux yeux mais j'étais timide, pas du tout sportif, à part pour la natation et grimper aux arbres. Lou, au contraire, c'était le genre membre d'équipes de basket, de foot et de tout ce qu'on veut... On ne sait jamais pourquoi on sympathise avec quelqu'un, mais vraiment on a beaucoup, beaucoup sympathisé. Tant et si bien qu'il y avait des gens qui croyaient qu'on était un peu spéciaux et, lui qui était très bagarreur, il a brisé quelques nez à cause de ça. Haha!
Je me suis rendu compte que ce que je voulais, c'était l'Europe. Je n'aimais plus l'Amérique. Je n'aimais plus de la vie de l'Amérique. J'aimais le pays, la terre, les gens, mais je n'aimais plus la mentalité. Elle a beaucoup de bon, pourtant, la mentalité américaine, mais il lui manque le fond de l'existence. Et c'est pour ça que, sous certains aspects, l'Amérique va si mal. La plupart des Américains vivent sur la surface de l'existence, moi, je voulais vivre sur le fond.
Je ne sais pas si ça vous dit quelque chose, mais c'est ce que je pensais sincèrement.
ses pour les bebe comme toi