Citations de Erich Maria Remarque (694)
Nous apprîmes qu'un bouton bien astiqué est plus important que quatre tomes de Schopenhauer. D'abord étonnés, puis irrités, et finalement indifférents, nous reconnûmes que ce n'est pas l'esprit qui à l'air d'être prépondérant, mais la brosse à cirage, que ce n'est pas la pensée, mais le "système", pas la liberté, mais le dressage....Au bout de trois semaines, nous comprenions très bien qu'un facteur galonné pût avoir plus de droits sur nous qu'autrefois nos parents, nos éducateurs et tous les génies de la culture, depuis Platon jusqu'à Goethe.
Nous nous sommes étourdis et nous avons cherché; nous nous sommes endurcis et nous nous sommes laissés aller; nous nous sommes baissés et nous avons bondi; nous nous sommes égarés et nous avons continué à marcher; mais nous sentions toujours peser sur nos épaules l'ombre à laquelle nous voulions échapper.
Nous croyions qu'elle nous poursuivait, ignorant que nous la traînions avec nous; qu'elle était là, muette, partout où nous étions; qu'elle n'était pas derrière, mais qu'au contraire nous la portions en nous, en nous-mêmes.
Nous avons voulu construire des maisons, nous avons eu des désirs ardents de jardins et de terrasses, car nous voulions voir la mer et sentir le vent; mais nous avions oublié que les bâtiments ont besoin de fondation.
-" Monsieur le Directeur, dit-il de sa voix claire, vous avez vu la guerre à votre façon ; étendards au vent, enthousiasme, fanfares; mais vous ne l'avez vue que jusqu'à la gare d'où nous sommes partis. Oh ! nous ne vous le reprochons pas, nous pensions tous exactement comme vous. Mais depuis, nous avons appris à connaître le revers de la médaille, un revers en face duquel le pathos de 1914 a bien vite été réduit à rien. Nous avons cependant continué à résister, soutenus par un sentiment plus profond, un sentiment qui ne s'est révélé qu'au front; la conscience d'une responsabilité dont vous ignorez tout et qui est impropre aux discours."
Je veux faire comprendre à mes petits élèves ce qu'est réellement leur patrie. Et vraiment leur pays, pas un parti politique. Mais leur pays, ce sont les arbres, les champs, la terre et non pas de grands mots qu'on braille. J'ai bien réfléchi et je crois que nous sommes assez âgés maintenant pour nous donner un Devoir. Ce sera le mien.
Brusquement, une chaleur extraordinaire m'envahit. Ces voix, ces quelques paroles prononcées bas, ces pas dans la tranchée derrière moi m'arrachent tout d'un coup à l'atroce solitude de la crainte de la mort à laquelle je me serais presque abandonné. Elles sont plus que ma vie, ces voix; elles sont plus que la présence maternelle et que la crainte; elles sont ce qu'il y a au monde de plus fort et de plus efficace pour vous protéger: ce sont les voix de mes camarades.
Je me lève, je suis très calme. Les mois et les années peuvent venir. Ils ne me prendront plus rien. Ils ne peuvent plus rien me prendre. Je suis si seul et si dénué d'espérance que je peux les accueillir sans crainte.
Avant-hier, nous étions encore sous le feu et aujourd’hui nous faisons les badauds et nous nous laissons vivre. Demain, nous reviendrons dans la tranchée. En réalité, nous n’oublions rien. Tant que nous devons rester en campagne, les jours de front, lorsqu’ils sont passés, tombent comme des pierres au fond de notre être parce qu’ils sont trop lourds pour que nous puissions aussitôt les méditer. Si nous le faisions, ils nous anéantiraient, car j’ai déjà remarqué ceci : les horreurs sont supportables tant qu’on se contente de baisser la tête, mais elle tuent, quand on y réfléchit.
Personne, à proprement parler, ne veut la guerre et soudain elle est là. Nous n'avons pas voulu la guerre, les autres prétendent la même chose, et pourtant la moitié de l'univers y travaille ferme.
C'était ce sinistre secret : que la réalité éveille les désirs, mais ne peut jamais les satisfaire. Que l'amour commence dans l'homme, mais ne finit jamais en lui. Et que tout peut se trouver réuni : un homme, l'amour, le bonheur, la vie...et que d'une façon terrible, c'est toujours trop peu, et que cela diminue à mesure que cela semble s'accroître.
Je rapportai les fleurs à la maison, puis je ramenai la voiture à l'atelier, et je revins à pied. Une odeur de café frais venait maintenant de la cuisine, et j'entendis Frida faire une bruit de vaisselle. Je ne sais pourquoi, l'odeur du café me mit de meilleure humeur. J'avais remarqué cela pendant la guerre...Ce n'étaient jamais les grandes choses qui vous consolaient... C'étaient toujours les petites choses sans importance.
Qui pense au futur ne sait pas quoi faire du présent.
Le matin est gris ; lorsque nous sommes partis, c'était encore l'été et nous étions cent cinquante hommes. Maintenant nous avons froid ; c'est l'automne ;
les feuilles bruissent, les voix s'élèvent d'un ton las : « Un, deux, trois, quatre... » Et après le numéro trente-deux, elles se taisent.
- Je ne tiens pas à réussir en quoi que ce soit... père, je ne tiens qu'à une chose, à vivre.
Detering va et vient en pestant. "Je voudrais savoir le mal qu'ont fait ces bêtes." Ensuite, il revient sur le même sujet. Sa voix est émue, elle est presque solennelle lorsqu'il lance: " Je vous le dit, que des animaux fassent la guerre, c'est la plus grande abomination qui soit "
Parmi les nouveaux arrivés, il y a deux jeunes soldats qui ont les pieds plats. À la visite, le médecin-chef s'en aperçoit et il s'arrête, tout joyeux.
« Nous arrangerons ça, raconte-t-il. Nous ferons une petite opération et vous aurez alors des pieds normaux. Écrivez, ma sœur. »
Lorsqu'il est parti, Joseph, qui sait tout, fait entendre l'avertissement suivant :
« Ne vous faites pas opérer. Le vieux a la manie des expériences. Quand il peut avoir quelqu'un pour cela, il ne le lâche plus. Il vous opère les pieds plats et ensuite, effectivement, vous n'avez plus les pieds plats ; en revanche, vous avez des pieds bots et il vous faut, pendant toute votre vie, marcher avec des bâtons.
— Mais alors que faire ? demande l'un des soldats.
— Dire non ; vous êtes ici pour guérir vos blessures et non pas vos pieds plats. Est-ce qu'au front vous ne les avez pas eu ? Ah ! voyez-vous, maintenant vous pouvez encore courir, mais dès que le vieux vous aura tenu sous son couteau, vous serez infirmes. Il a besoin de sujets d'expériences ; pour lui, la guerre est, à cause de cela, une époque magnifique, comme pour tous les médecins. Voyez en bas, au centre médical, une douzaine de ses opérés s'y traînent. Plusieurs sont là depuis des années. Pas un seul ne peut marcher mieux qu'avant ; presque tous marchent plus mal et la plupart avec les jambes dans le plâtre. Tous les six mois il les rattrape et il leur brise les os une fois de plus, en disant chaque fois que la guérison va venir. Tenez-vous sur vos gardes ; il n'a pas le droit de le faire si vous dites non. »
Chapitre X.
Kropp, lui, est un penseur. Il propose qu'une déclaration de guerre soit une sorte de fête populaire avec des cartes d'entrée et de la musique, comme aux courses de taureaux. Puis, dans l'arène, les ministres et les généraux des deux pays, en caleçons de bain et armés de gourdins, devraient s'élancer les uns sur les autres. Le pays de celui qui resterait debout le dernier serait le vainqueur. Ce serait un système plus simple et meilleur que celui où ce ne sont pas les véritables intéressés qui luttent entre eux.
Nous sommes à neuf kilomètres en arrière du front. On nous a relevés hier. Maintenant, nous avons le ventre plein de haricots blancs avec de la viande de boeuf et nous sommes rassasiés et contents. Même, chacun a pu encore remplir sa gamelle pour ce soir; il y a en outre double portion de saucisse et de pain : c'est une affaire!
[...] Les rats se sont beaucoup multipliés ces derniers temps, depuis que les tranchées ne sont plus très bien entretenues. Detering prétend que c'est le signe le plus certain que ça va chauffer.
Les rats sont ici particulièrement répugnants, du fait de leur grosseur. C'est l'espèce qu'on appelle « rats de cadavre ». Ils ont des têtes abominables, méchantes et pelées et on peut se trouver mal rien qu'à voir leurs queues longues et nues [...]
Lorsqu'on a vu autant de morts,on ne peut plus tres bien comprendre tant de douleur pour un seul
Mon regard embrasse toutes ces choses et il me paraît que je les vois aujourd'hui pour la première fois. Elles me semblent, soudain, si peu familières que je ne les reconnais presque plus.
Est-il possible que ce bout de gazon sordide et mouillé, là, devant moi, appartienne vraiment aux années de mon enfance, ces années dont ma mémoire a conservé un souvenir si radieux, si ailé ?
Est-il possible que cette place déserte et morne avec la fabrique- vis-à-vis- constitue vraiment cette parcelle du monde que nous appelions le pays natal et qui seule, dans le flot d'horreur du front, évoquait l'espoir et le sauvetage avant la noyade ?
Est-ce bien elle et pas une autre, cette rue grise avec d'affreuses maisons dont l'image, pendant les rares trêves que nous accordait la mort, s'élevait au-dessus des trous d'obus comme un songe farouche et mélancolique ?
N'était-elle pas plus lumineuse et plus belle, plus large et plus animée dans mes rêveries ?
Tout cela ne serait-il plus vrai ?
Mon sang m'a t-il menti, mes souvenirs m'on-ils trompé ?