Citations de Erik Orsenna (1826)
![](/couv/sm_11518_aj_m_6327.jpg)
Dans de la terre sèche, la graine est seule. Seule et prisonnière. Des richesses l'entourent, des nourritures, tout ce dont elle aurait besoin pour se développer. Ces richesses, ces nourritures, on les appelle sels minéraux, inutile d'en savoir plus a ton âge. Sache seulement qu'elles demeurent hors d'atteinte. La graine n'a pas de bras pour les atteindre. Ou plutôt ses bras sont enfermés dans une peau qu'elle ne peut déchirer. Imagine le supplice de la graine, si proche de la vie et toujours écartée.
Arrive l'eau. L'eau n'aime que les voyages en groupe. Elle accueille tous les passagers possibles, elle entraîne avec elle tous ceux qu'elle rencontre, et notamment les fameux sels. L'eau a une autre originalité : rien ne lui résiste. Aucune barrière, aucune muraille, aucun verrou. Elle s'approche de la graine. Elle se glisse sous sa peau, dépose ses cadeaux et continue sa route vers une autre graine. Et voilà ! A la fin du jour, le désert a changé de couleur. Le vert à triomphé du jaune.
(...)
L'eau relie donc entre eux les morceaux séparés du monde.
![](/couv/sm_11518_aj_m_8512.jpg)
[début du livre ]
Je ne suis pas scientifique mais promeneur. Et friand de ces questions triviales qui laissent embarrassés les parents mais aussi les savants : pourquoi la nuit est-elle noire ? Pourquoi l’eau mouille-t-elle ? … Et pourquoi les courants courent-ils ?
Il se trouve que depuis l’enfance, j’aime d’amour les courants marins. J’aime ces fleuves cachés dans l’eau. J’aime me laisser happer et dériver, comme en vacances : quelqu’un de fort, soudain, vous prend dans sa paume. Il n’y a plus qu’à se laisser porter.
Mais j’aime tout autant remonter le flot, louvoyer des heures à la voile, gagner mètre après mètre, et tant pis si la nuit tombe et pas question de moteur : on ne torée pas avec une mitraillette. J’aime ces petits alliés qu’on se découvre alors, les contre-courants. Ils ont tout du troll ou du lutin. Ils vous appellent, faut-il leur répondre , N’est-ce pas un piège cette gentillesse ? Ils ne vivent que près, trop près des côtes. Ne va-t-on pas « toucher », « talonner », c’est-à-dire heurter un rocher, ou même s’échouer, si l’on s’approche ?
Plus les marchés sont pauvres, plus les marchés sont riches
Au beau milieu de cette joyeuse partie de cache-cache, la nuit tomba d'un coup, comme d'habitude. On aurait dit que quelqu'un, le vendeur de lumière, chaque soir consultait sa montre. A l'heure dite, brutalement, il baissait le rideau. Fermé, le magasin. A demain, si Dieu nous réveille.
Mieux : supposez que riche et pauvre se prennent la main et qu'ainsi, unissant leurs forces, comblant chacun les faiblesses de l'autre, ils avancent ensemble vers la prospérité commune ?
Alors vous ne pourrez qu'apprécier ce voyage au coeur d'un pays où s'entrelacent comme dans la plus enchevêtrée des mangroves, jusqu'à ne plus y voir la couleur du jour, tendresse et violence, accomplissement et renonciation : une mère.
Les maladies sérieuses, comme les amours véritables, acceptent de rester longtemps tapies, silencieuses, invisibles dans leur coin. Mais c'est pour mieux revenir quand on s'y attend le moins, et lancer leurs assauts détracteurs.
La parole est comme l'eau, Marguerite. Elle aussi rompt notre solitude. Elle aussi transporte toutes les richesses possibles et se faufile sous les carapaces les plus fermées.
- Il y a des saisons , dans la parole ?
- Bien sûr, il y a des crues. Et des sécheresses.
L'eau et la parole : nous sommes de ces deux pays.
Nous savons trop de choses : le savoir nous cache la vérité ! Ma tête est encombrée comme un grenier. Je vais déblayer.
Entre pays et nation, où passe la frontière ?
Abandonnés à eux-mêmes, les chiffres sont muets, les chiffres sont de petits morceaux de mort. Sans cesse, il faut les éclairer par les mots. Sinon ils vous entraînent dans leur silence.
La tristesse, c'est comme la poussière, Marguerite, il suffit de balayer à l'intérieur de la tête.
La guerre est simple, Marguerite. Simple et triste. Les morts pourrissent. Les blessés saignent. Les survivants pleurent. Tu n'y peux rien.
Pour lui, plus rien n'avait d'âme, ni les choses, ni les humains.
Qui sait du désert celui qui ne regarde qu'un grain de sable ?
L'avantage d'un jardin par rapport à un livre est double : il n'est jamais fini, il n'arrête pas de vivre, saison après saison, il continue. Et aussi, on peut le visiter avec son créateur, sa créatrice.
Il était une fois un désir de jardin. Un tel désir peut vous saisir à tout âge. Il prend toutes les formes : désir de parc ou simplement de fleurir un balcon, désir de fleurs ou de grands arbres, désir de potager ou de nénuphars dérivant doucement à la surface d'un bassin...
Chaque histoire a son rythme, chaque chemin sa ramification qu'il faut respecter sous peine de manquer l'essentiel, des péripéties capitales et des personnages qui paraissent secondaires et qui pourtant sont clés.
« Vingt-cinq langues meurent chaque année ! Elles meurent faute d'avoir été parlées. Et les choses qu'elles désignent meurent avec elles. »
« Nos mots préférés sont des affaires intimes, comme la couleur de notre sang. »