La culpabilité est un lourd fardeau à traîner dans son cœur.
Quand Laurel était enfant, dans cette chambre et ce même lit où elle était couchée à présent, elle fermait les yeux et le bruit rythmique de deux voix chères qui se faisaient mutuellement la lecture montait tout à tour vers elle, de l'escalier, chaque nuit. Elle avait peine à s'endormir, elle cherchait à rester éveillée, pour le plaisir. Elle aimait ses propres livres, mais elle aimait encore mieux les leurs, ce qui signifiait le son de leurs voix. Aux heures tardives de la nuit, leurs deux voix se faisaient réciproquement la lecture de façon qu'elle les entendit, sans jamais laisser un silence les diviser ou les interrompre, se fondaient en une voix continue et l'enveloppaient toute entière, tandis qu'elle écoutait, aussi silencieuse que si elle était endormie. Elle glissait vers le sommeil, sous un manteau velouté de mots au riche dessin et brodés d'or, venus tout droit d'un conte de fées, pendant qu'ils poursuivaient leur lecture à travers ses rêves.
Un cahier de composition familier, à couverture noire, se détacha du rayon et tomba sur les genoux de Laurel, ouvert à la page "Mon meilleur pain", écrit vingt ou trente ans auparavant, de l'écriture stricte, anguleuse de sa mère, et donnant tout sauf la manière de procéder: "Une cuisinière n'est pas précisément une imbécile."
On doit équitablement supporter la faute qui consiste à survivre à ceux qu’on aime. Survivre est un acte dont nous nous rendons coupables envers eux. Les fantaisies de la mort ne peuvent être plus étranges que les fantaisies de la vie. Survivre est peut-être la plus étrange de toutes.
Quand à Rosamonde, elle n’avait pas l’intention de dire autre chose que la vérité ; mais quand elle ouvrait la bouche pour répondre à une question, il en tombait des mensonges, au lieu des diamants et des perles.
- Bien, monsieur, il en sera ainsi, dit le Dr. Courtland en se levant. Il ajouta: Vous savez, monsieur, quelle que soit la main qui opère, le résultat de cette opération ne peut être garanti à cent pour cent.
- Soit, je suis un optimiste.
- Je ne savais pas que ces animaux-là existaient encore, dit le Dr. Courtland.
- Ne croyez jamais que vous avez vu le dernier échantillon de quoi que ce soit, railla le juge McKelva. Il répondit au sourire du docteur par un rire qui ressemblait au grognement de triomphe d'un vieil ours mal léché, et le Dr. Courtland, prenant les verres que le juge tenait sur ses genoux, en chaussa doucement son nez.
C’était un innocent venu des terres vierges, un planteur de l’embarcadère de Rodney, et en cela il était bon.
A un moment, ils traversèrent un bois de tulipiers et émergèrent sur une haute crête. Grady et Brucie, qui n'avaient cessé de courir en avant, s'arrêtèrent pile ; un sifflement avait résonné en dessous d'eux, loin là-bas, passait un long train de marchandises. C'était comme une petite procession un jour de fête, se déplaçant avec la lenteur de l'ignorance ou d'un rêve, ce convoi lointain de minuscules wagons roses et gris pareils à des boîtes à secrets. Gady comptait les wagons à voie basse, comme s'il avait été sûr de tous les distinguer clairement, et Brucie observait ses lèvres, muettement, discrètement, comme il aurait regardé boire un oiseau. Des larmes vinrent soudain aux yeux de Grady, mais cela ne pouvait être que parce qu'un tout petit homme marchait sur le toit du train, s'avançant, se déplaçant au sommet du convoi qui roulait. (Le Grand Filet)
Audubon ne dit rien parce qu'il y avait des jours qu'il cheminait sans prononcer un mot. Pour lui, les pensées qui lui inspiraient les oiseaux et les bêtes n'étaient pas d'emblée susceptibles de se changer en mots. Quand il jouait longuement de la flûte, ce n'était pas une façon de se parler à lui-même. Plutôt que d'ordonner ou de décrire avec des mots, il préférait dessiner un cerf barré d'une flèche pour faire comprendre à un Indien son besoin de gibier. Il n'avait découvert les mots que lorsqu'il s'était aperçu que beaucoup de choses qu'il pouvait noter au jour le jour seraient autrement perdues ; maintenant, il tenait souvent un journal, car il ne voulait pas que tout continuer à se perdre comme le passé s'était perdu, et un jour, il écrirait: "Je regrette seulement que le soleil se couche." (Un moment immobile)
Rien de ce que vous aurez jamais mangé de votre vie n’est aussi délicat, aussi embaumé, que ces fraises blanches sauvages. Il faut en savoir assez long pour aller là où elles poussent, s’arrêter et les croquer sur place. C’est tout.