Citations de Farah Anah (168)
Les yeux fermés, je m’imagine danser sur le son de sa voix, dessiner d’amples mouvements circulaires, me contorsionner en rythme. Ça me démange ! Je visualise les gestes à améliorer, gigote sur mon siège, habitée par les notes jazzy jusqu’à la racine des cheveux.
Quelle froideur, alors qu’on ne s’est plus vues depuis… un an, je crois, après sa dernière représentation, avec sa troupe de danseurs. Je l’attendais devant la sortie des artistes, accompagnée de Papa. Elle a daigné nous faire la conversation de façon précipitée, sans même nous accorder un café, avant de disparaître de ma vie, une fois de plus.
À chaud, j’ai l’impression de n’avoir rien à lui dire, je n’en ressens même pas le besoin. J’ignore si je suis intimidée ou juste déçue. Par réflexe, je jette un rapide coup d’œil à ses membres, cherchant la moindre trace d’ecchymoses. Il n’y a rien.
Cependant, son fameux sourire, celui qui perçait les cœurs masculins, ne suffit pas à dissimuler ses cernes ou sa pâleur évidente. Même ses grands yeux bruns ont perdu de leur éclat. Elle a rangé ses cheveux blonds en chignon, derrière un large bandeau écarlate, et s’est vêtue comme d’habitude. Une robe bohème ample, bigarrée de rose et d’orange, qui lui descend jusqu’aux chevilles.
Comme c’est étrange de me dire que nous ne nous découvrons que maintenant, bien que nous partageons le même sang. Que j’ai toujours éprouvé une jalousie non assumée pour elle, celle qui a bénéficié de l’amour de ma mère à mon détriment. Bien sûr, je ne suis pas idiote, cette enfant n’a rien fait de mal. C’est d’autant plus évident alors qu’elle se tient devant moi, si heureuse de me rencontrer.
L’amertume qui me minait s’efface au profit d’une douce tendresse. Mes lèvres s’étirent devant sa bouille plus que ravie. Elle est trop jolie, irradie d’énergie positive. La même dont je fais preuve, d’habitude.
Elle se contentait de m’observer de ses grandes billes claires, avec déjà une touffe de cheveux noirs sur le crâne, qui lui descend désormais jusqu’au bas du dos en cascade ondulée.
D’aussi loin que je me souvienne, ses origines ont toujours stimulé mon imagination. Les murs sont habillés de nombreuses fenêtres aux volets décatis, donnant l’impression qu’elle n’a pas été entretenue depuis belle lurette, si ce n’est qu’une rangée de pots de fleurs chatoyantes est placée à leur pied. L’immense jardin n’a pas meilleure allure.
J’ai besoin de me mouvoir, d’extérioriser toute cette tension dans ma nouvelle chorégraphie à travailler. Sia s’époumone dans mes écouteurs. Les yeux fermés, je m’imagine danser sur le son de sa voix, dessiner d’amples mouvements circulaires, me contorsionner en rythme. Ça me démange ! Je visualise les gestes à améliorer, gigote sur mon siège, habitée par les notes jazzy jusqu’à la racine des cheveux.
Elle sait que j’ai toujours eu des difficultés. Que, pour réussir, je dois travailler deux fois, voire trois fois plus que les autres. C’est ma croix, le prix à payer de mes troubles.
Que j’étais naïve…
Et encore, l’étendue de ma candeur s’étalait bien au-delà, car j’étais convaincue que, malgré tout, les choses redeviendraient comme avant.
Jusqu’à ce que je le rencontre.
Cet homme détestable qui m’a volé mon bonheur fantasmé.
Cet homme arrogant, dédaigneux, qui n’en avait rien à foutre de moi. De nous.
Cet homme qui ne nous a accordé aucun regard en nous dérobant la femme qui m’a donné naissance.
- Fait chier... Depuis le moment de notre rencontre, entre espoirs et désillusions, j'ai passé ma vie à t'attendre, Rina. Après que tu te sois barrée de ma chambre, ce fameux jour, mes sentiments me sont tombés dessus comme la foudre, et j'ai su que cette histoire allait mal finir. Quand tu débarquais, plus rien n'existait. Puis, je crevais aussitôt que tu retournais à Florence, à Boston, à Mexico. À chaque fois, t'emportais une parcelle de mon être avec toi. À force, je suis foutu, là.
- Il y a toujours une fille, mon amour. Et je crois que dans les abîmes de son déni, une femme régit le coeur de mon adorable petit frère.
- J'en ai marre de fuir. Ça m'a essorée. Le souci étant que j'ai beau essayer, je suis incapable d'en aimer un autre. Je refuse d'offrir mon coeur à un étranger, je ne supporterais plus de m'abandonner dans d'autres bras. J'ai... l'impression d'avoir vécu un rêve bizarre pendant dix ans, ponctué de réveils grisant ) tes côtés. À chaque fois que je reprenais l'avion, je me rendormais. J'essayais d'être « normale » auprès d'inconnus incapables de me faire souffrir. Incapables de me faire vivre. Je n'ai cessé de de me bousiller, en réalité. Et je t'ai fait du mal, à toi aussi. J'en suis... navrée.
[...]
- Je disais que j'étais incapable de trouver mon souffle sans toi. Je ne sais plus aimer. Voilà, c'est comme ça ! Et je suis décidée à me battre pour te convaincre qu'au terme de ces dix ans, être ensemble, tous les deux, serait une bonne chose ! Je veux vivre avec toi. Je veux tout partager, comme avant. Ça va au-delà de l'appartenance, de l'exclusivité, de notre lien spécial, alors j'aurai du mal à me satisfaire du statut de meilleure amie. Tu dis que tu ne m'aimes plus, mais après tout ce temps, c'est impossible !
- Tu n'as jamais rien remarqué, pendant ces dix ans. Sa façon de te regarder, de te traiter comme la huitième merveille du monde. Il aurait mis l'Univers à tes pieds, si tu le lui avais demandé. Les jours qui ont précédaient chacune de tes venues, il était dans un état d'excitation insupportable, et dès que tu repartais, il gardait bonne figure - comme toujours, parce que c'est Ewen -, mais son jeu en pâtissait. Tu es nocive pour lui, et il commence seulement à se rétablir, ne fais pas tout foirer.
- Les années t'ont transformé.
- Je suppose qu'on a tous changé.
- Non. Certains marginaux sont restés coincés dans la boucle du temps, encore et toujours paumés, malgré leur perpétuelle recherche de liberté ou d'un état proche du bonheur.
[...]
- Je n'ai jamais cherché le bonheur. J'ai eu de la chance; c'est tout. Je me suis laissé bercer par mes obligations en reprenant l'entreprise de mon père. J'ai rencontré Haley et elle m'a plu. Ça s'est fait tout seul. Je ne sais pas si je suis heureux, j'ai juste la certitude qu'elle est mon moteur, que j'éprouve de la joie à me réveiller à ses côtés chaque matin, même lors des coups durs. Mais peut-être que si j'avais aspiré à quelque chose de grandiose ou de spécial, je serais tout aussi torturé.
Il ne comprend pas ! Je n'ai pas besoin de m'appuyer sur lui, j'ai besoin de lui dans ma vie. J'ai besoin de lui pour vibrer, respirer. Sans Ewen, je ne suis qu'un zombie, qu'un emballage dissimulant une masse de vide incolore, inodore, insignifiant.
- [...] Quand votre enfant ne cesse de vous dire qu'il va bien, qu'il se porte à merveille à l'école et qu'il est entouré d'amis, comment lui tirer la vérité ? Je ne suis pas devin !
Pour quoi faire ? Qui a dit que l'amour était facile ? Qui a bien pu dessiner ce schéma à la con où deux êtres s'apprivoisent d'une façon ou d'une autre, pour baiser, vivre leur histoire côte à côte, puis la concrétiser par un mioche, un mariage ?
Et si on s'aimait de loin ?
Comme si, où que nous soyons, un fil nous reliait, renforcé par notre souffrance, par cette nuit que l'on a passée ensemble et tout ce qu'on éprouve l'un pour l'autre. J'ai l'impression qu'elle peut sentir mon coeur battre la chamade, depuis là où elle se trouve. Qu'elle devine mes tourments et l'essence de mes pensées. Et qu'elle n'en flippe que davantage.