AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de Fatou Diome (712)


Plus que tout autre, les artistes sont sollicités, convoqués sur le terrain de
la bienfaisance. Pourtant, leur sensibilité les disposant davantage à
l’humanisme que la moyenne des gens, beaucoup d’entre eux s’investissent
d’eux-mêmes dans l’action sociale, et plus que les donneurs de leçons. Ces
derniers ne sont généralement généreux que de demandes, leur grandeur ne
consistant qu’à plastronner sur la montagne d’efforts qu’ils exigent et
obtiennent des autres. Et, malheur ! De tous les artistes, ce sont les africains
qu’ils exploitent le plus, au nom de cette sacro-sainte et éternelle prétendue
aide humanitaire à l’Afrique, qui pourtant fait si bien vivre tant
d’Européens. Pays en voie de développement, nous disent-ils ! Soyons
sérieux, une voie qui n’arrive jamais à destination est une voie mortelle. Si
justement nous sommes pauvres, nous faire travailler en permanence
gratuitement, nous maintenir donc dans ladite pauvreté, n’est-ce pas une
démarche de sadiques ? Dévoyée, l’entraide vire au servage. Donner de
mon temps, soutenir des causes, aider de temps en temps, bien d’accord. En
revanche, du bénévolat toute l’année, alors que mon père ne s’appelle pas
Crésus, même pas en rêve !
Commenter  J’apprécie          00
Si vraiment la liberté d’expression vous tient à cœur, sachez que, sans
ressources, aucune plume n’est libre. Si la nécessaire gamelle ne
domestiquait pas, les chiens seraient encore en train de savourer la même
liberté que les loups, qui, eux, chassent et s’assurent eux-mêmes leurs repas,
seule raison qui leur garde une indomptable liberté. Alors, l’écrivain ?
Travailleur permanent, mais, gagnant sa vie de moins en moins ; sa voie
est-elle encore le chemin de la liberté ou le discret début d’un servage ? Si
ça continue ainsi, avant d’écrire du pudding, le silence me semble un joli
bras d’honneur à tous les gougnafiers. Mais, d’abord, je devrais peut-être
écrire deux tomes, à l’intention des futurs ex-écrivains, qui ne seront
engagés ni chez Renault ni au Paris-Saint-Germain Football Club : tome 1 :
Comment glaner des châtaignes sur les belles collines du vignoble
alsacien ? Tome 2 : Comment, au besoin, les chaparder du Bade-
Wurtemberg jusqu’au Palatinat ? Ceux qui suivraient les pistes de ces
guides risquent fort de croiser des collègues allemands, se plaignant des
mêmes maux que nous. Et, alors, Weltliteratur de galériens ! au moins, ce
serait un beau débat forestier. Allez, je m’y mets ! Guten Abend, mein lieber
Goethe ! voici tes cadets réunis ; sur ton conseil, ils œuvrent passionnément
pour une Littérature-monde, se souciant de l’ensemble du genre humain ;
mais, pourront-ils continuer avec cette universelle dévalorisation de leur
travail ?
En échange de notre belle liberté d’expression, la libérale Démocratie fait
aux écrivains l’obligation de vivre du commerce de leur talent. Et, ils suent
sans trêve. À la fois écrivains, conférenciers, animateurs, intervenants
scolaires, et même artistes de scène, nous démultiplions les activités pour
remplir péniblement la même gamelle. Flux et reflux, d’un contrat à
l’autre ! Flux et reflux, d’une tournée de conférences à l’autre ! Nous
sommes nombreux à vivre avec un stress qu’ignorent les
salariés mensualisés : des revenus fluctuants. Et, des jaloux mal informés se
croient altruistes en prétendant dispenser la société de nos droits d’auteur !
En vérité, leur fumeuses théories ne font que légitimer le vol. Gratuité de la
Culture ? Sûrement une chanson d’ivrogne ! Mangent-ils une pomme sans
l’avoir payée ? Et nos livres, dont chacun nous coûte plusieurs saisons de
notre vie, devraient être moins considérés que les pommes ? Yo, des tartes !
Les sophistes au ventre plein qui entretiennent ce fantasme, filent-ils
seulement la pièce au mendiant, vu qu’ils souhaitent en voir d’autres dans
nos rues ? Comme tous ceux pour qui l’élégance compte, je n’aime pas
parler d’argent, mais, revendiquant leur dû, les artistes n’ont pas moins de
noblesse d’âme que ces beaux parleurs aussi créatifs qu’une pierre tombale.
Suffit, l’exploitation !
Commenter  J’apprécie          00
À l’étranger, le samedi se passe sans laisse ; les week-ends, en général,
ceux qui jonglent avec le cerveau des autres n’ont pas besoin de vous, mais
de ceux qui comptent vraiment pour eux. Les parents ne sont bien souvent
qu’un prétexte, ils ne sont jamais dans ces parcs, restaurants et pianos-bars,
dans lesquels, confondus, les absents présents vous servent leur
interminable laïus. « Je dois rendre visite à mes parents », c’est l’excuse-
massue ; et vous qui n’en avez pas ou plus, en tous cas loin, très loin de
l’Hexagone ? Allez donc promener votre gueule d’orphelin(e)
ailleurs ! Frères et sœurs de même condition, choisissez donc une
bibliothèque ou, peut-être, la pénombre d’un cinéma, plutôt, ancien, les
fauteuils y sont moelleux et réconfortants. Sinon, n’importe quel parc fera
l’affaire et, bienveillante, l’ombre des platanes épargnera votre triste mine
aux passants. Ne blâmez pas cette sœur qui file un revers de main à
Casanova ; sa faute à lui, ce n’est pas seulement d’être trop entreprenant,
mais aussi d’être trop heureux pour être en phase avec les saules pleureurs.
Sur le même banc, les promeneurs n’entendent pas toujours le même
chant d’oiseau. Rouge-gorge vs corbeau ! Ce n’est pas un concert, rien
qu’une cacophonie. Plus discret que l’aurore, le crépuscule vient arrondir
les angles du jour. D’un pas feutré, il raccompagne tous les oiseaux chez
eux, tout en gardant à chacun son reste de plumes. Le regard des autres ne
protège déjà pas le regard lui-même. Hier, il était si doux et lumineux ;
aujourd’hui, on s’y noie comme dans une piscine sèche. Et, aussi inquiet
que perplexe, l’étranger fait avec, il essaie même de garder le sourire.
L’étranger a souvent de bonnes raisons de se demander si l’Autre l’apprécie
sincèrement ou bien respecte simplement les apparences. De la
susceptibilité ? Bien sûr, quel bipède n’en aurait pas, à des milliers de
kilomètres de chez lui ? La susceptibilité peut vous sauver la vie, a fortiori,
lorsque votre visage suscite chez certains la même réaction qu’ils ont face à
l’irruption d’un sanglier sur l’autoroute : un freinage brutal, aussitôt suivi
d’un départ en trombe. Non, vraiment, on n’a pas encore tout écrit sur la vie
des immigrés. Et, croyez-le ou non, leur blues est trop sincère pour s’offrir
le luxe d’en rajouter ; trente ans loin de mon berceau m’autorisent à
l’affirmer sans trop écouter Socrate, cette fois-ci, je prête plus l’oreille à
Jean Gabin : oui, tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien, mais, ce que je
sais de l’exil, ça, je le sais. Et, si vous en doutez, partez donc vivre une
trentaine d’années à Tamadalka et retrouvons-nous dans une autre vie pour
en parler. En attendant, si les Lettres persanes ne sont pas à portée de main,
demandez à vos connaissances expatriées, si vous en avez, ce qu’elles
pensent de ceci : aux étrangers, il manque tant de choses, mais, il y a une
richesse qui ne leur fait jamais défaut, ils en ont même généralement plus
que les autochtones : le sens de l’observation. Souvent, leur timide silence
n’est que réflexion.
Quand les jongleurs ajustent leurs tours de passe-passe, je suis perchée au
balcon de leur théâtre. Certains parmi eux sont si mielleux que votre tartine
se passe de confiture pendant les deux semaines suivant leur appel. En ce
siècle de la maigreur, oser faire ça à quelqu’un, surtout à une piscivore ! Je
les dénoncerai à mon grand-père ; envoyez-leur des kilos de karité, suite à
la fessée, ils passeront l’automne à plat ventre. Ils appellent, réitèrent,
insistent, matin, midi, soir, jusqu’à l’accomplissement de leur programme,
qu’ils tiennent pour nécessaire à l’humanité. Ensuite, pour la paie, ils
s’inscrivent aux abonnés absents ou vous font lanterner, jusqu’à ce que la
tachycardie vous ordonne de les attendre avec un gourdin au Jugement
dernier. Alors, aussi déçu que déprimé, on se dit que l’immigration
nécessite vraiment une grand-mère de poche, pour tous ces jours gris qui
réclament une berceuse. Alors, musique ! Bach ou Kouyaté Sory Kandia, le
blues gronde, ronronne à vous rompre les cordes du cœur. Et ça dure ainsi,
jusqu’à ce que votre frigo vous encourage à parier à nouveau sur une autre
carotte. Et ainsi de suite ! Et vous souhaitez la longévité ?
Commenter  J’apprécie          00
Alors, les sourires suffisent-ils pour payer le loyer, les Pampers du petit
et les baskets de l’aîné ? Les applaudissements assurent-ils le petit-déjeuner,
le déjeuner et le dîner ? Oui, dans un cercueil ! Seuls ceux qui sont assis sur
une fortune peuvent se permettre d’éluder ces questions. Ils sont ravis que
je m’en sois sortie, disent-ils, condescendants, alors que je constate qu’ils
ne veulent surtout pas que je dépasse la barre de la survie ; certains font
même tout pour me garder sous leur nez. Vous leur adressez gracieusement
un livre par fraternité, seul le vent d’hiver vous dit s’ils l’ont reçu ; alors, le
liront- ils ? Pourtant, ils prétendent partager vos combats. Pinocchio, voici
tes frères ! En vérité, ils vous poussent au front, à vos risques et périls, puis
s’évaporent quand le soldat réclame des camarades. Sourds à tout appel, ils
ne vous contactent que pour exiger une conférence gratuite ; le reste de
l’année, vous pouvez dribbler la Rôdeuse des ombres, seul. Non, les paons
n’adoptent pas les pélicans ! Et, il faut les entendre gloser intégration ! Les
écoutant, Mohamed n’aurait pas choisi Médine pour son exil, il les aurait
suivis, la main sur le cœur, mais, une fois édifié, il aurait vite rebroussé
chemin. Quand vous êtes étranger/ère, certains se comportent avec vous
comme s’ils vous faisaient une faveur de leur seule présence même passive
dans votre vie, tout en exigeant sans cesse de vous des preuves que vous
méritez bien d’habiter le même terrain que leur poulailler. Beaucoup
imaginent encore l’étranger comme celui qui est toujours aidé par les
autres. Détrompez-vous. Parfois, si esseulé, donc en quête d’entourage, il
rend tellement service, que certain(e)s qu’il prend pour des ami(e)s
mériteraient qu’il les appelle patrons ou patronnes.
« Mamadou est si sympa, il nous a encore fait un thiéboudiène
dimanche dernier ; il viendra nous aider cette semaine pour élaguer les
arbres du jardin ! Pedro nous a filé un coup de main pour la rénovation de la
salle de bains, c’est nickel ! Nous rentrons de Pékin avec Ting, elle nous
avait hébergés chez sa mère, c’était super ! Nora et Karim nous gardent les
petits le week-end de la Toussaint, d’ailleurs, ils nous invitent pour les
vacances de Noël à Monastir ! » Et, je n’ai pas mentionné le couscous
régulier chez Khadîdja ni les tagliatelles chez Maria, dont le mari,
Alessandro, sert de garagiste gratuit ; pourtant, c’est toujours nous, les
venus d’ailleurs, que l’on accuse tout le temps de profiter. Comme si nous
n’étions jamais utiles aux autres ! Non, rendre service est notre visa
permanent. Et lorsque nous tombons sur des profiteurs invétérés, notre
gentillesse vire au servage, notre indisponibilité étant souvent perçue
comme un crime de lèse-majesté. Alors, être adopté, est-ce passer son
existence à payer, seul, le prix de la fraternité ? Et ceux qui me harcèlent
pour des conférences gratuites et s’offusquent quand l’agenda est seul
fautif ; où sont-ils quand la nostalgie m’envoie ses démons ? Se disant
ami(e)s savent-ils/elles ce qui hante mes jours ou mes nuits ? Où sont-ils,
quand ma rame casse la gueule à la Rôdeuse des ombres pour lui arracher
une aube de plus ? « Une collègue m’a dit que tu as été hospitalisée, elle t’a
vue alors qu’elle rendait visite à sa mère ; qu’est-ce que t’as eu ? Pourquoi
tu ne m’as rien dit ? » Et blabla, rebla… jusqu’à ses labiales meurtries, mes
oreilles aussi. Mais, qui donc peut discuter de ses bobos avec une chimère ?
Un café, samedi prochain ? Désolée, je ne suis pas disponible, avait dit
celle qui se plaignit ensuite de n’avoir pas été informée du rendez-vous
chez Hippocrate. Pourtant, j’avais ramé longtemps dans son sens. Oh,
hisse ! Alors, on pourrait se caler un dîner le samedi suivant ? J’aurais aimé,
mais… mais, ce week-end-là, je vais chez mes parents. La centaine d’autres
week-ends précédents, c’était du même tonneau, quand son Alexandre le
Grand n’avait pas des projets pour le monde. La patience, la frustration, le
dégoût, l’adaptation, puis, le renoncement, certes résigné mais aussi digne
que résolu, ces petits détails-là, ceux qui causent pour la forme ne s’en
rendent jamais compte, l’ami(e) étranger/ère étant censé(e) être
compréhensif/ve et reconnaissant(e) même pour une relation d’une mortelle
médiocrité.
Petit matelot, j’en ai vu des mirages, ils me retrouvent comme ils me
laissent, toujours fidèle à ma rame. Inutile de leur reprocher l’absence,
celle-ci m’est si familière, et puis, ma plume contient assez d’humains pour
peupler le Sahara et le Kalahari réunis. Quitte à froisser quelques
susceptibilités, allons-y gaiement : abandonner un écrivain, volontairement
ou non, c’est toujours lui rendre service, car, c’est une chance qu’on lui
donne de poursuivre tranquillement sa plus passionnante conversation :
l’écriture. Et, ne le prenez pas mal, mais, s’il est aussi passionné que moi, il
ne se rendra compte de votre absence qu’à votre retour. Entre Arthur et
Boris, quand ces galants compagnons de veillées s’appellent Rimbaud et
Vian, les nuits d’une Dame ne manquent de rien. Et, si la lecture allège la
solitude, imaginez donc l’écriture et ses sortilèges ; d’une pirouette, la
plume vous envole un tanker de blues pour le large. Qu’importent les traces
de pas sur le rivage, chaque livre est un navire en partance. Une vie
intérieure, ça existe vraiment et, bien apprivoisée, elle vous apprend à vivre,
à survivre à la comédie humaine qui, finalement, n’est faite que de petites
tragédies. La Rôdeuse des ombres nous pourchasse, grimaçante. Eh bien,
qu’elle vienne ! C’est souriant que nous l’accueillerons à coups de rame,
même les carpes ne se rendent pas sans combattre. Avec ou sans soleil, je
rame en chantant, le chœur des vagues jamais ne tombe et l’écho du large
me vaut coryphée. Polyphonies sérères, mé-é/anda-è ! Toujours, un vieil
homme me rend le refrain : « mon petit matelot, ne crains pas la solitude de
l’exil ; sache qu’ici comme ailleurs, les jours de houle, certains se mettent
au sec. C’est la vie ! » Capitaine, j’ai bien vu, il en est même qui traversent
leurs jours en ciré ! C’est la vie, rame ou coule ! Mais, les dauphins ne font
pas des poules. Oh, hisse !
Commenter  J’apprécie          10
Au pays de la Téranga, rien de beau, de grand ne se
faisait sans les griots. Garants de la réussite de nos fêtes, ils sont témoins de
nos bonheurs et, maîtres de la parole, ces diplomates ne fuyaient pas nos
malheurs. De toutes les branches sociales sénégalaises associées à des
métiers, c’est de la leur que je me sens plus proche : outre qu’ils sont mes
frères et compatriotes, le goût du verbe et de sa beauté nous réunit dans la
même barque de la poésie. Littéraire, je partage avec eux le khayaane : la
vie d’artiste. Prose ou poésie, l’écriture m’est Tassou/improvisation
poétique, khakhar/satire, garouwalé/pamphlet, bakou/chant de défi, tagueu/
éloge, lèèb/contes et légendes, thiakh/charade, nakhataane/apologue et
slam, lamento ou joyeuse transe, toujours, le verbe pour seul outil.
Les griots, mes consœurs et confrères du verbe, Gathié Ngalama ! C’est
par le verbe que les hommes deviennent humains, c’est avec des mots que
les peuples tissent leurs valeurs et jettent une passerelle vers le futur. Que
les médisants se souviennent, nombre de nos héros mouraient au front avec
leur Beuk Nègg, leur griot assistant personnel et messager, ou rentraient
vivants, réconfortés, galvanisés par lui, et même, parfois, sauvés par lui.
C’est grâce aux griots qu’une bonne partie de l’histoire de l’Afrique est
arrivée jusqu’à nous. Alors, si vous ne jalousez pas leurs talents de poète ou
de musicien qui égayent nos vies, au moins, témoignez-leur de la gratitude
pour ce service qu’ils ont rendu à l’humanité.
Mes chers compatriotes et collègues artistes du verbe, nous admirons
votre art, valorisez-le. Trêve de woyaane et de la précarité de
l’amateurisme ! Formez-vous et devenez des professionnels déclarés, que
vos compétences artistiques se partagent hors de votre cercle. En ce
troisième millénaire, l’école est ouverte à tous et ne demande à personne
son arbre généalogique. Ceux que vous croisez sur ses bancs n’ont nulle
raison de vous céder une part de leur salaire, surtout, lorsque vous gagnez
autant qu’eux, voire parfois plus. Les temps changent, seules les épaves
enlisées restent indifférentes au passage des courants. Au lieu de regarder
certains vivre en laudateurs, sous prétexte de conserver une archaïque
coutume, professionnalisons tous les savoir-faire et que les travailleurs
facturent leurs services. « Loma diokh bakhna : quoi que tu me donnes, ça
ira ou donne-moi ce que tu peux », c’est toujours une arnaque d’un côté ou
de l’autre : ou l’on est trop payé par la gêne ou l’on est sous-payé par la
pingrerie. Que chacun transpire pour sa dignité et soit rétribué de manière
juste pour sa sueur, ce faisant, son pain ne coûtera plus rien aux autres et ne
lui vaudra plus une mine de mendiant ni des quolibets.
Alors, la voici ma pétition : pour les griots restés artistes de métier,
comme pour les écrivains et les artistes de manière générale, j’en appelle à
la Constitution, ainsi qu’à la Déclaration universelle des droits de l’homme
et réclame un traitement décent. Si nos compétences vous sont utiles,
reconnaissez leur valeur et payez-nous, comme vous le faites pour tout
autre travailleur. Quand nous travaillons pour vous, bien que nos
compétences soient modestes, payez-les à leur juste valeur, votre dignité
l’exige autant que la nôtre. J’ai trop attendu pour le crier haut et fort
Commenter  J’apprécie          00
De tous les artistes, ce sont les africains qui vivent le moins bien de leur
labeur. Non seulement, ils sont encore trop souvent les moins bien payés,
mais ceux pour lesquels ils se décarcassent sont ceux qui accordent le
moins de valeur à leurs œuvres. Cinéma, théâtre, musique, combien
adaptent tout ou partie de nos créations, assis sur nos droits ? Des frères et
sœurs, ceux-là ? Même pas des collègues, que des pique-bœufs !
Opportunistes, leurs prétentions artistiques ne sont que des maladies
nosocomiales qui affectent ceux dont ils pillent l’œuvre. Sur les ailes d’un
pélican, capitaine Sankara, l’homme intègre, enverra un peu d’ego à ces
pseudo-artistes qui avilissent l’Afrique : en art comme ailleurs, le vol
déshonore et vous rend indignes d’amour. Coupables, les pirates, d’où
qu’ils viennent ! Et, de tous les malfrats, ceux qui s’attaquent à leurs frères
et sœurs sont les pires ; non seulement ce sont des traîtres, mais, bandits de
proximité, ils vous détruisent plus sûrement que tout autre. Le pire, c’est
quand bien conscients de leur forfait, ils paradent, nous prenant tous pour
des cruches, Africains et Européens confondus.
Commenter  J’apprécie          00
Comme si ce n’était pas déjà assez triste que les éditeurs payent les
écrivains au lance-pierres, Internet vient nous spolier ! Avec le piratage des
livres, des amoraux de tous les pays, unis par le même esprit de charognard,
se repaissent de notre labeur, tout en nous vidant les poches. Mais peut-on
les blâmer sans chapitrer les éditeurs qui leur rendent la tâche facile ?
Mettre nos livres en version numérique, sans les sécuriser convenablement,
c’est les mettre gracieusement à la disposition de la planète entière ; et les
auteurs y perdent plus que les éditeurs. Ces derniers comptant sur leurs
pléthoriques fonds d’édition et la masse de leurs nouvelles publications,
alors que l’écrivain, lui, table sur sa seule et unique plume.
Commenter  J’apprécie          30
L’écoutant discourir si passionnément, je me disais que les vieux
ne radotent pas, ils gardent pied dans la modernité, juchés sur leurs
souvenirs, comme les jeunes guettent l’avenir, juchés sur leurs rêves.
Commenter  J’apprécie          00
De toute façon, bientôt les écrivains n’auront plus de quoi se nourrir pour
continuer d’écrire. Aucune époque n’a tant fait de la présence des écrivains
l’exhausteur de goût de ses programmes événementiels, pourtant, beaucoup
d’organisateurs rechignent à rémunérer leurs services.
Commenter  J’apprécie          00
Depuis l’estrade, combien de littérateurs patentés
s’avèrent mauvais pédagogues ? Est-ce de l’incompétence perversement
rendue mystérieuse ou la mauvaise volonté des ventres pleins ? Sinon,
jaloux de leur trésor, brouillent-ils expressément les pistes aux néophytes
pour rester exceptionnels en leur fief ?
Commenter  J’apprécie          00
À défaut de circonscrire l’Atlantique qu’est la littérature – une gageure
même pour un pélican –, chaque bête à plume ne peut-elle se contenter de
dire ce qu’écrire signifie pour elle ? Un tisserin du Saloum m’a dit ceci :
Écrire, c’est envisager le voyage de sa vie et déployer ses ailes, sans
s’inquiéter de son envergure au regard de l’immensité du monde ; chacun
parcourt la distance qui lui sied. Écrire, c’est un oxymore, c’est avoir le
courage de ses peurs, tisser un abri pour son âme tout en se dévoilant à ses
frères. Écrire, c’est puiser de la force dans ses fêlures et, l’art pour seule
armure, chasser la Rôdeuse des ombres à coups de plume, assumer sa
condition humaine comme on assume sa gueule face au monde. Écrire, c’est
cultiver l’amour, avoir la bêtise, la haine et la laideur pour ennemies jurées.
Combattant ce funeste trio, on affronte la nuit, ose le grand jour, toujours en
quête de beauté. En somme, écrire, c’est se brûler les rétines à scruter le
soleil comme la lune, non par dédain du plancher des vaches, mais par soif
de lumière. Soif d’eau ou d’amour, trouve-t-on une source ou des bras
ouverts, dans l’obscurité ? C’est donc, d’abord et avant tout, leur soif de
lumière que les hommes se doivent de satisfaire. Raison pour laquelle, en
cette veillée terrestre, chaque poète ajoute sa brassée de brindilles au feu de
bois. Écrire, c’est tisonner ce collectif feu, vivre avec l’ardent désir
d’ensoleiller toute nuit.
Commenter  J’apprécie          00
Accès au savoir pour tous ! rêvons-
nous, avec l’Unesco. Hélas, par trop d’hermétisme, certains rhéteurs
intimident les humbles et les éloignent des lieux dédiés à la Culture. Débats,
conférences et tables rondes ; à qui, à quoi sont-ils utiles, si les orateurs ne
s’adressent qu’à ceux qui sont à leur hauteur ? Les linguistes en
conviendront, le métalangage est le dialecte d’une secte ! Appliqué à la
Culture, il s’offre en spectacle plus qu’il n’offre le savoir en partage. Ceux
qui en abusent pour faire docte clôturent ainsi leur îlot de connaissance et
sapent le but même du langage. Au-delà de l’expression, toute langue vise
l’intelligibilité, sans laquelle point de dialogue possible, encore moins un
partage de connaissances.
Commenter  J’apprécie          00
Dire que tant
d’auteurs sont sur le point de demander une soupe à Coluche ! En parlent-
ils à leur éditeur ? Ma langue au chat ! Une vipère me souffle que le mot
fétiche des éditeurs, ce n’est pas « précarité », mais « projet ». « Alors,
Machin, où en es-tu de ton projet ? T’as bientôt fini ? » Cette question vous
interdit de raconter l’enterrement de votre grand-mère, la poussée des dents
du petit comme vos histoires de salades aux lentilles dès le 15 du mois.
Votre réponse couvre la première partie du rendez-vous, la seconde, elle,
s’évapore entre les consignes et l’aurevoir. C’est que leur agenda écraserait
un éléphant ; alors, un auteur ? « Allez, Bidule, à bientôt ! » À bientôt ? Si
telle est votre prière, dites amen et plantez des patates.
Commenter  J’apprécie          00
Écrire, c’est oser son propre regard sur le monde, quitte à se brûler les
rétines. Tous les bébés crient à la naissance, mais chacun module ses notes
avec sa propre voix ; il en va de même pour l’écriture : cri existentiel
consigné par la plume, une création littéraire, lorsqu’elle est honnêtement
menée, porte la signature de l’âme qui l’a conçue. On n’écrit pas que pour
gagner son pain, femme de ménage, je n’étais pas affamée et tant d’autres
activités remplissent la gamelle et mettent à l’abri du froid. Non, on n’écrit
pas que pour vendre. On écrit d’abord et avant tout pour trouver une
harmonie à son chaos intérieur et toute intrusion dans cette quête intime
n’apporte que dissonance, un surplus de mal-être et de souffrance. On écrit
pour apprendre à vivre, pas pour faire semblant de vivre. On écrit pour
assumer pleinement son existence, c’est-à-dire, s’affirmer humain parmi les
humains. Et, parce que l’on ne peut se dire humain sans défendre la dignité
qui va avec, on écrit toujours pour s’affranchir de quelqu’un ou de quelque
chose.
Ce combat-là devient contre-productif lorsque l’édition, in fine, vous
soumet à l’arbitraire d’autrui. Ce texte est la preuve de ce cercle vicieux :
l’écriture, voie de libération étant devenue le lieu même de la contrainte et
la raison d’une autre lutte. Alors quelle issue restait-il ? Quel cap
revendiquer, quand un(e) éditeur/éditrice s’accroche à votre plume et
s’acharne à faire de vous un ballon dirigeable ? Autant que mes paroles,
mes écrits sont intrinsèquement liés à mon souffle et m’engagent
moralement ; donc si l’on m’enlève tout contrôle dessus, quelle emprise me
reste-t-il sur ma vie ? Vous laisseriez-vous pousser dans le ravin sans
résister ? N’ayant pas les os élastiques, je m’agrippe à ma plume, et la
défendrai vaille que vaille, car elle a toujours été ma plus stable rambarde
face à tout précipice. Face à toute personne, toute puissance assez inique
pour tenter d’entraver la danse de ma plume, je râle, mais me sens libre, au
fond de moi. Oui, parfaitement libre, car il me reste un ultime recours :
garder mes mots pour moi, soustraire aux yeux de tout rapace les écrits qui
m’attirent sa malfaisante attention. Contrairement aux mots, le silence ne se
commercialise pas ; et, je ne connais rien de plus inviolable. C’est même la
rondache derrière laquelle Stig Dagerman resta invincible, lorsque d’autres
se sont crus maîtres de sa création littéraire. Le silence, n’est-ce pas l’ultime
rempart des faibles face au rouleau compresseur des puissants ? Alors,
durant les longs mois passés sous les fourches caudines de la cavalière, mon
blues ne murmurait qu’un seul et même mantra : le verbe libre ou le
silence ! C’était, bien sûr, une prière, mais, aussi, la lettre de démission que
j’adressais au Seigneur, au cas où Il serait resté sourd à mon humble
requête. Sans liberté, que vaut la création ? Pas même le poids d’une plume
sur une balance ! Alors, me concernant, ce sera le verbe libre ou le silence.
Commenter  J’apprécie          00
D’après le climat de notre pseudo-collaboration, nous n’avions pas
besoin d’un automne entier à compter les feuilles mortes, qu’elle trouvait à
mon livre, pour comprendre que notre relation allait à son hiver et ne
connaîtrait aucune fleur de printemps. Indépendamment de toute
considération relative à nos compétences respectives, nos goûts, nos idées,
nos sensibilités s’excluaient, c’est tout. Nous mettre d’accord sur la
description d’un simple verre d’eau prenait plus de temps que forer un puits
au Sahel à main nue. Malgré cette évidence qui aurait découragé un fakir, la
cavalière gardait la détermination d’un général japonais. Elle se targuait
d’être assez persévérante pour toujours obtenir ce qu’elle voulait ; moi,
j’étais au bout de mon endurance et ne voyais qu’acharnement de sa part.
Chacune de ses interventions concernant mon livre me gâchait plusieurs
nuits d’écriture. Et, pour la première fois de ma vie, j’ai pensé arrêter
d’écrire, du moins pour publier.
Commenter  J’apprécie          00
Les préjugés sont aussi des cloisons, mais inversées, celles-là ; pour
séparer les humains, elles ne s’élèvent pas, mais s’enfoncent dans l’abîme
de l’ignorance, ce sont des brèches ouvertes dans la bienséance. Et, bien
sûr, les lourdauds s’y engouffrent avec une délicatesse de rhinocéros. Cette
attitude de la cavalière ne m’était pas inconnue. Durant la promotion de
mon premier roman, un animateur télé – que je ne nommerai pas par charité
laïque –, qui se voulait sympathique, adopta un ton des plus paternalistes
pour m’interroger, tel Jacques Martin penché sur un bout de chou. Il aurait
pu m’appeler Mademoiselle Banania, l’effet aurait été le même, sur son
plateau.
– Ben alors, Fatou Diomé, vous êtes l’une des révélations de cette
rentrée ! Eh ben, bravo ! Avec un tel succès, que vous dit-on, là-bas, dans la
cité ?
– Quelle cité ? lui demandai-je, dans un sourire pare-balles.
[...]
Fatiguée par la trop fréquente répétition de la bêtise humaine,
j’inspirai profondément, avant de tenter une réponse. Même contenue par la
politesse, je me devais d’élargir le carcan dans lequel il m’enfermait. Je n’ai
absolument rien contre les cités, seulement, vérité oblige, je lui dis que je
n’avais jamais vécu en cité, ni en France ni au Sénégal, et que mon livre ne
s’adressait pas à une communauté prédéterminée, mais à tous ceux qui
veulent bien se donner la peine de le lire. Il opina du chef et jeta un œil
agacé à ses fiches. Eh oui, c’est toujours embêtant quand l’invitée ne se
contente pas de valider les suppositions du maître de cérémonie ! Le respect
des invités requiert un minimum de préparation qui évite de se retrouver
dans la panade, mais certains s’en passent. Pendant que le monsieur
meublait, fouillant dans ses fiches, je priais afin qu’il y trouvât autre chose
que de sempiternels clichés, cela aurait été une divine clémence pour les
téléspectateurs, mais aussi pour moi. Hélas, on n’apprend pas à nager le
jour du naufrage.
Commenter  J’apprécie          00
Il y a poésie, chaque fois que l’imagination dépasse les misérables
contingences humaines. De la poésie, on en manque souvent, mais il n’y en
a jamais de trop.
Commenter  J’apprécie          00
Vouloir changer ma façon d’écrire, c’est changer ma manière de regarder, de sentir
le monde, c’est aussi stupide qu’exiger de moi le port de chaussures dont la
pointure ne serait pas la mienne. La cavalière voulait mon texte comme ci,
le voulait comme ça, et peu lui importait mon tournis. Par mail, par
téléphone ou par courrier postal, Madame voulait, encore et encore, des tas
de choses, comme un enfant malaxe sa pâte à modeler en rêvant de
figurines qu’il est pourtant incapable de réaliser. M’offusquer, rouspéter ne
desserrait pas sa poigne, bien au contraire. Elle considérait que son
strapontin l’autorisait à mettre la plume d’autrui au service de ses propres
lubies.
Commenter  J’apprécie          00
Si l’écriture d’un roman ne consistait vraiment qu’à foncer droit au
but, moins d’une page suffirait à contenir n’importe quel sujet. En
littérature, l’économie lexicale peut signifier une élégante sobriété, certes,
mais, la plupart du temps, elle indique une pauvreté de l’expression qui
confine à la médiocrité. « Ce n’est pas de la poésie, c’est un roman ! »
Selon la cavalière, le langage poétique n’aurait donc sa place que dans un
poème !
Commenter  J’apprécie          00
Toujours prête à dégainer sa tronçonneuse, donc à trahir la création des
auteurs, elle ne mettait pas que mon écriture en péril, c’est ma vie entière
qu’elle était en train d’anéantir. L’écriture avait toujours été ma plus stable
béquille face à tout précipice, la cavalière en avait fait un autre gouffre sous
mes pieds. Ses remarques vexatoires et ces injonctions répétitives
m’enfonçaient dans l’abîme du blues, duquel, il devenait de plus en plus
difficile de remonter. « Trop d’images ? » Est-ce mon texte qui en comptait
trop ou bien son imagination à elle qui était trop famélique et facile à
déborder ?
Commenter  J’apprécie          00



Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Fatou Diome (2074)Voir plus

Quiz Voir plus

La peau de Chagrin

Comment se nomme le personnage principal?

Valentin de Raphaël
Benjamin De Villecourt
Raphaël de Valentin
Emile

20 questions
1617 lecteurs ont répondu
Thème : La Peau de chagrin de Honoré de BalzacCréer un quiz sur cet auteur

{* *}