Citations de Fernando Pessoa (1984)
Viens, Nuit silencieuse et extatique,
Viens envelopper dans le blanc manteau de la nuit
Mon cœur...
Paisiblement, comme une brise dans la légèreté du soir,
Tranquillement, d'un geste caressant de mère,
Avec au creux des paumes la lueur des étoiles
Et sur ta face la lune, masque mystérieux.
Tous les sons sonnent autrement
Lorsque tu viens.
Dès que tu entres on baisse la voix,
Nul ne te vois entrer.
Nul n'a su quand tu entrais,
Si ce n'est en voyant que soudain tout se recueille,
Perd ses contours et ses couleurs,
Et qu'au plus haut du ciel, d'un bleu très-pur encore,
Croissant finement découpé déjà, disque blanc ou lueur vague qui monte,
La lune devient réalité.
J'appartiens néanmoins à cette espèce d'hommes qui restent toujours en marge du milieu auquel ils appartiennent, et qui ne voient pas seulement la multitude dont ils font partie, mais également les grands espaces qui existent à côté.
La vie est un voyage expérimental accompli involontairement.
La tyrannie, c’est toujours la tyrannie, reprit le banquier. Pourquoi diable remplacer la tyrannie sociale du système bourgeois par la tyrannie d’État, comme dans le système socialiste ou communiste ? C’est comme faire passer un prisonnier de la cellule 23 à la cellule 24.
Nous sommes par moitié ce que nous sommes, et
Par moitié ce que nous pensons. Dans le torrent
Une moitié parvient
À la rive, l'autre se noie.
Soudain, tel un enfant du Mystère, un coq se met à chanter, ignorant la nuit. Je peux enfin dormir, car c'est le matin au fond de moi. Et je sens ma bouche sourire, déplaçant doucement les plis légers de la taie qui encadre mon visage. Je peux m'abandonner à la vie, je peux dormir, je peux m'ignorer … Et à travers le sommeil tout neuf qui m’obscurcit, ou bien je me souviens du coq qui vient de chanter ou bien c'est lui qui réellement chante pour la seconde fois.
je serai toujours celui qui attendait qu’on lui ouvrît la porte
auprès d’un mur sans porte
et qui chanta la romance de l’Infini dans une basse-cour,
celui qui entendit la voix de Dieu dans un puits obstrué.
En ces jours de l’âme comme celui que je vis aujourd’hui, je sens, avec toute la conscience de mon corps, combien je suis l’enfant douloureux malmené par la vie. On m’a mis dans un coin, d’où j’entends les autres jouer. Je sens dans mes mains le jouet cassé qu’on m’a donné, ironiquement, un jouet en fer-blanc. (page 31)
Prestige des mots isolés, ou rassemblés selon l'accord des sons, les résonances intimes et les sens divergeant au moment même où ils convergent ; faste des expressions glissées parmi les sens propres à d'autres expressions, malignité des traces, espérance des forêts – et puis rien d'autre que le calme des bassins, dans les jardins d'enfance de mes subterfuges. (page 55)
J'ai cueilli pour l'écrire l'âme de toutes les fleurs et,
des instants éphémères de tous les chants de tous les oiseaux,
j'ai tissé un réseau d'éternité et de stagnation.
Extérioriser nos impressions, c'est bien plus nous convaincre que nous les éprouvons que les éprouver réellement.
J'ai demandé si peu à la vie - et ce peu lui-même, la vie me l'a refusé. Un rayon d'un reste de soleil, la campagne, un peu de calme avec un peu de pain, une conscience d'exister qui ne me soit pas trop douloureuse, et puis ne rien demander aux autres, ne rien me voir demander non plus. Cela même m'a été refusé, de même qu'on peut refuser une aumône non par manque de cœur, mais pour éviter d'avoir à déboutonner son manteau.
Aimer c'est se lasser d'être seul : c'est donc une lâcheté, et une trahison de nous-mêmes.
(P193)
Il semble que ce soit cette lampe qui rende la nuit sombre. Il semble que ce soit parce que je suis là, éveillé et rêvant dans les ténèbres, que cette lampe éclaire.
La littérature, comme toute forme d'art, est l'aveu que la vie ne suffit pas.
Je considère la vie comme une auberge où je dois séjourner, jusqu'à l'arrivée de la diligence de l'abîme.
(Texte n°1 P42)
Je suis né en un temps où la majorité des jeunes gens avait perdu la foi en Dieu, pour la même raison que leurs ancêtres la possédaient - sans savoir pourquoi.
(Texte n°1 P39)
Je lis, et me voici libre.
Je n’éprouve pas réellement de peine pour cet ami que l’on va opérer. Je n’éprouve pas vraiment de peine pour tous les gens que l’on va opérer, tous ceux qui souffrent et qui peinent en ce monde. J’éprouve seulement de la peine d’être incapable d’en ressentir.
Notre intelligence abstraite ne sert qu’à ériger en systèmes, ou en pseudo-systèmes, ce qui pour les animaux consiste à dormir au soleil.