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Critiques de Franck Venaille (23)
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C'est-à-dire

Pour les philosophes romains, la vieillesse devait être le temps de la sagesse et de l'apaisement, un doux passage vers la mort. Dans notre monde moderne et consumériste, au contraire, la vieillesse est présentée comme une deuxième vie qui nous permet de réaliser enfin tous nos rêves. Le retraité se doit d'être en forme pour escalader les montagnes et s'éparpiller en mille activités. Le sourire lumineux comme à vingt ans, il mourra les crampons aux pieds.



Mais pour la plupart d'entre nous, entrer en vieillesse, c'est simplement apprendre à renoncer. Il faut accepter un à un tous ces petits abandons du corps qui nous clouent sur place. On va moins vite et moins loin et on ne voyage plus, si ce n'est dans le monde perdu de l'enfance. Le cœur a tant souffert qu'il est devenu comme un vieux bois sec et la source des yeux, pour certains, s'est tarie. Alors, sans réponses et parfois sans amour, ne restent que la colère et une indicible angoisse devant l'éternité qui s'annonce.



"Que répondre à un homme qui, à la fin de sa vie, estime avoir été floué?" demande Franck Venaille. "Tout m'est blessure. Je ne sais plus que faire pour vivre mieux."



Ecrit six ans avant sa mort, "C'est à dire" est l'un des derniers recueils du poète. Un livre testament? Peut-être pas, mais un livre qui fait la somme de ses tourments et de son art. Arrivé à plus de 70 ans, le poète est dans l'urgence de dire et d'écrire encore. En aura-t-il le temps?



"La bouche close, nous faisons face à la barbarie et la mort, parfois, nous fait cadeau d'un peu d'eau. Que renaisse le dialogue! J'ai tellement besoin de dire ce que j'ai toujours tu. Ce couloir sera-t-il assez long?"



C'est une longue promenade à laquelle Franck Venaille nous invite, se livrant avec une rare sincérité et faisant de nous ses complices. Sur son lit d'hôpital, il nous dit la douleur de la chair et celle de l'âme qui parfois se fondent en une même intense souffrance. Cela donne lieu à d'incroyables trouvailles: "Le corps est lourd surtout quand il faut, dans la nuit, le tourner dans un lit. (...) je suis malade de la mélancolie des muscles".



Ainsi, nous le suivons volontiers dans ses souvenirs d'enfance et dans ces paysages de Flandres qu'il aimait tant et que j'aime tant. La mer du Nord, les plages d'Ostende et de Blankenberge, tout m'est revenu à la lecture de ces poèmes qui disent le gris et le jaune de ses eaux et la lumière si particulière de son ciel qui livre le cœur à sa mélancolie. J'ai longtemps cru que Franck Venaille était belge tant il savait chanter la tristesse et la beauté des campagnes flamandes et de l'Escaut. Mais il était français, né à Paris, le cœur flamand.



J'ai bien sûr été éblouie par la maîtrise et la beauté de l'écriture mais j'ai surtout été admirative de la façon dont Franck Venaille a construit son recueil. Parvenu à la fin du livre, il écrit ceci:



"J'avais aimé, haï d'assez près

J'avais pleuré grand misère

Le monde est mauvais je le sais."



Que de désespoir et d'amertume dans ces trois vers mais quelle fulgurance! Franck Venaille avait servi son pays pendant la guerre d'Algérie et les horreurs de cette guerre étaient pour lui inoubliables. D'œuvre en œuvre, elles revenaient le hanter. Mais il n'est pas interdit de penser que Franck Venaille avait aussi vécu une vie d'homme, tout simplement, et que cela peut suffire à nourrir bien des regrets.

Il est à craindre que le poète n'aie finalement pas trouvé l'apaisement avant de quitter ce monde mais il nous laisse la douloureuse empreinte d'un homme qui, s'étant souvent perdu, se sera néanmoins cherché jusqu'au bout.



"égaré dans la nuit

dans ce qui est



l'obscur complet

j'avance lentement



me tenant par la main"











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L'enfant rouge

"L'enfant Rouge", ce chant désespéré est le chant le plus beau, évoque ce vers des nuits de Musset. Franck Venaille pourrait aussi murmurer ces mots de Baudelaire, passant de la rue Paul Bert, "soit sage ô ma douleur et tiens toi plus tranquille".





"Je suis seul dans l’échelon ultime de la solitude". Avec discrétion propre à ceux qui, jour après jour, s’installent parmi les oubliés, Franck Venaille, verse dans un désenchantement sans faille. La solitude est martelée, scandée, revendiquée pour l'habiller à l'ultime moment de sa vie de guenilles.

Habité par l'angoisse, il est ce regard douloureux, ce voyant qui finit par se libérer du poids de sa colère dans un livret testament "L'enfant rouge".

Il s'adresse à nous en une prière, " Je vous en conjure : criez pendant qu’il est temps encore".





Comment peut-il oublier ce qui se cache en lui. Les images du passé défilent, et l'enfant qu'il a été, Moi-de-onze-ans revit les jours et les nuits où il a vu et entendu comme un parquet qui craque les os d'une fracture ancienne. Toujours l'enfant écoute.

De pages en pages il remonte à ses premières colères, " je vous maudis d'avoir fait de moi cet être capable de cacher sa douleur".

L'enfant parfois joue à s'éloigner, à prendre du recul, là où l'on souffre moins. Il ne sont pas loin cependant ses questionnements quand revient à sa mémoire page 28 par ricochet , les 1200 enfants du 11e arrondissement exterminés dans les camps de la mort





Il s'interroge en permanence sur le pourquoi, de cette peur, comment son être est devenu porteur de souffrances. Pourquoi cette disposition à ressentir, pourquoi avoir voulu parler de cette couche d'encre noire qui passe dans la rue Paul Bert au moment où l'on s'y attend le moins?

"J'ai appris à pleurer avec discrétion. J'ai appris cela autrefois, Moi-de-onze-ans," l'attente de l'estafette venue des enfers, et l'homme en noir porteur de nouvelles mauvaises, celles que nous craignons avec raison. Ce sont toujours des morts qui viennent me chercher.





Quand il écrit page 46, "me voici libre !" " De retour au concert Pacra. L'ai je bien descendu cet escalier ? Joséphine Backer l'a heurté du talon"... On pourrait penser qu'une autre part de lui-même va s'ouvrir enfin à des choses légères comme par la revue Miror Sprint.





Mais dès la page suivante, il refait ce qu'il nomme ce geste de mutilé, " la vie mourra pour nous. La vie mourra pour nous, mais le fera-t-elle en même temps que le corps son vieux complice ? Avant ? Après ? Il fait lourd ce soir sur la rue Paul Bert". "Chacun est seul avec lui-même, car je suis un solitaire. Je ne crois plus au concept de l'apport prépondérant des masses laborieuses, page 49" .





Et pourtant parfois il se souvient de Charles Tillon. Il se souvient ; Charles Tillon est là devant lui il a vaincu à la fois la malédiction et les troupes du mal. Il a connu la joie pure de l'action, celle qui a redonné le goût du combat aux banlieues. La politique aida Franck Venaille à donner un sens à la vie, par son engagement politique, où il expliquait seul à la Tribune, le sens profond de la politique du parti. Cette blessure intérieure se revivait reprend-t-il cependant page 52, "quand je m'éloignais au fond de moi chaque jour davantage de la pure doctrine". Avril le merle moqueur n'est pas venu pour fêter cela.





N'est-ce pas seulement il y a quelques semaines que les rescapés hommes et femmes aux vêtements fripés, tachés, déchirés, quittant le lointain hôtel Lutétia sont revenus dans leur quartier, retrouver leur impasse, leur appartement saccagé, souillé par la milice ?

Longs pyjamas aux raies jaunes, trop grands, toujours trop larges, pouvant servir pour deux corps à la fois. Ils tiennent leur étoile au creux de la main comme ultime pièce à conviction de reconnaissance de soi, se dit Moi-de-onze-ans, page 54.





"Suis je trop sensible ? Se demanda Moi-de-onze-ans. Je ne sais pas répondre à de telles questions, dit l'oiseau que nous portons en nous. Un merle a-t-il une patrie, une idéologie ? Bien sûr", p 58. "Compagnon noir, gracieux, c'est avec toi que l'homme de la solitude extrême aurait souhaité descendre la rue Paul bert.



"J’ai décidé de mourir avant de naître. Sinon c’est impossible de continuer.”



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C'est nous les Modernes

 

 

La grande dévoreuse a emporté ce jeudi 23 août,

le Grand Poète, Franck Venaille.



Il avait reçu de nombreux prix, notamment :

. le prix Mallarmé pour La Descente de l'Escaut, en 1996,



. le prix Alain-Bosquet en 2009,

. le prix Robert Ganzo en 2009,

pour Ça, Mercvre de France en 2009



. le Grand prix de poésie de l'Académie française en 2011

pour l'ensemble de son œuvre,



. le Prix Goncourt de la poésie pour Requiem de guerre en 2017.







Dans C'est nous les Modernes (Flammarion, 2010), Franck Venaille

consigne notamment :



" Écrire n’est pas se montrer raisonnable, plier devant

l’autorité du style, se protéger de ses propres humeurs.

En un mot je ne suis pas pour le respect (de la langue,

de la prosodie, de la narration, du descriptif et de la

sage psychologie). Je suis de l’écriture. Dans l’écriture.

C’est mon seul bien. Écrire m’a fait. Écrire m’accompagnera

jusqu’à la fin.



[…]



" Être poète, c’est croire à l’intensité du langage, à ses méandres,

ses contre-pieds, ses contradictions et sa générosité également.

Il me reste à gérer ma mélancolie, c’est à dire une forme de violence

contre soi très ancienne et silencieuse.

Être poète ce n’est pas seulement écrire – vers ou proses – des poèmes.

C’est donner à notre douleur la force et les moyens de se dépasser, de

devenir ainsi la douleur de tous, y compris de la poésie elle-même.

Ainsi c’est par la souffrance que l’on rejoint les autres hommes ?

Oui je le crois.







Dans Ça (Mercvre de France, 2009), Franck Venaille

nous donne ce poème, tout à fait proche de mon

état d'esprit, après sa disparition. Ce soir, je rentre

chez moi,

/encore plus âgé/encore plus triste





" Faire sourire un corps mort !



On s'interroge

pour employer le mots justes



Puis

on raconte



Mais sans cesse

celui que la vie a quitté

exige une autre histoire

avec une autre fin



Et

l'on rentre chez soi

encore plus âgé

encore plus triste



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La Descente de l'Escaut : Suivi de Tragique

Je suis un homme meurtri



Les blessures, cette anxiété qui jamais

ne me quitte



La chair la nuit la nudité des corps

m'obsèdent



L'appréhension est un rongeur circulant dans mes

poumons

la gueule pleine



Faut-il le dire ?



Quand cessera, quand prendra fin ce temps

d'épuisement ?



Déjà ce corps flottant, déjà

d'amers pressentiments de bras en croix



Par la vie entière !



Je suis un homme meurtri
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La Descente de l'Escaut : Suivi de Tragique

Franck Venaille... Je me suis tenue longtemps éloignée de ce poète, disparu en 2018. Peut-être en raison des consonances brutes, rocailleuses de ses prénom et nom, du visage sévère, fermé qu'on présente souvent de lui... Et comme j'avais tort!



Certes, sa poésie est exigeante, souvent torturée, sombre , mais ô combien fascinante et inventive! Ce livre réunit deux recueils, " La descente de l'Escaut" publié en 1995 et " Tragique" en 2001.



Pour le premier, j'étais étonnée qu'il évoque un fleuve passant près de chez moi alors qu'il a vécu les vingt premières années de sa vie à Paris. Mais j'ai lu qu'il s'était rendu enfant en Belgique et en avait gardé un souvenir très fort. Et le voilà parti adulte à pied, le long de l'Escaut. Les textes l'évoquant sont saisissants , intenses, variés dans la longueur et la forme, vers ou prose, les ruptures d'un vers à l'autre qui ne sont pas vraiment des enjambements, coupant même un mot en deux, surprennent :



" (...) Ô soleil blanc voici que tu m'aveu-

gles. Ce couple de mariniers s'exprimant en fla-

mand. Et moi qui sais ne rien savoir Justement!"



" Tragique" présente des textes plus courts, certains sont presque des haïkus, mais tout autant innovants, étonnants...et addictifs.



" J'arrache brins de lyrisme

Et d'émotivité.



Je prends source dans la langue.



Cela ressemble à des bouquets d'ortie.



Des gerbes de fleurs amoureuses.



Que je brûle. "



Ponctuée fréquemment de points d'exclamation rageurs ou angoissés, voilà une poésie puissante, où l'humain et l'animal se mêlent, où s'expriment cris et auto-dérision. Un univers impressionnant.





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La Descente de l'Escaut : Suivi de Tragique

 

 

L'homme marche pas à pas le long

de ce " poème-fleuve " et lance des

cris-défi proches de cris-tendresse.



Il s'en va Hurler Hurlant face à la mer,

l'homme-oiseau entend le chant-ami

de ce dernier et va se taire contre le

petit corps chaud.





Ainsi :



" Hurler Hurlant face à la mer



au grand dessous des glaciers bleus



S'en allant à grands pas vers la falaise



pour s'y laisser glisser — pour s'y jeter d'effroi



Hurlant — muet — la bouche à vif   Et



à l'instant même de la chute



Ah ! sentir les ailes de l'oiseau



Ah ! entendre son chant ami



Hurler Hurlant face à la mer



Se taire contre le petit corps chaud



Puis y poser ses lèvres folles !

p.148

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Requiem de guerre

Ce recueil est particulier, l'auteur étant à la fois narrateur de sa destinée et spectateur des personnages qu'il invite dans son livre, afin de les faire témoigner d'une manière abstraite aux événements de sa propre vie. Ces vers sont un long cheminement existentiel entre les souvenirs, le vécu, les épreuves, les combats et bien sûr l'histoire avec un grand H. L'auteur raconte dans une poétique exacerbée et chaotique, ses révoltes, ses luttes, mais aussi, ses moments plus intimes en se rappelant des paysages aimés et de son enfance avec une nostalgie mélancolique. Néanmoins, la colonne vertébrale du recueil reste sa vision guère optimiste d'un monde qu'il faut changer, pour le rendre meilleur, nécessité vitale pour retrouver les espérances des révolutions passées ou tout simplement pour vivre entouré de poètes, troubadours, amuseurs, qui feront régner la joie, la bonne humeur en se moquant des travers d'un univers oppressant. Cependant, là où sa poésie est la plus émouvante, c'est lorsqu'il évoque la maladie de façon absconse, avec une sorte de détachement olympien en substituant à l'angoisse de la mort qui s'approche, un rire poétique sardonique exhalant avec une véhémence satirique, tout le sens de son engagement, tel un guerrier des mots qui mènera la bataille de l'écriture jusqu'au bout.
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Requiem de guerre

La maladie tenaille, la mort n'est pas loin : la poésie de Frank Venaille est d'une infinie tristesse et d'une grande beauté :



hélas je suis tels ces gisants

de longue date et d'ancienne culture

allongés à la recherche d'eux-mêmes



je rêve que je rêve d'un soleil éblouissant

mais les pillards d'images belles se moquent

de ma triste musique, de mon mal et ricanent



Fier, l'air de ne pas s'en laisser compter, le cheval chagrin

avançait, hésitant.



L'homme voudrait s'adresser aux autres voyageurs. Leur demander : "Qu'est-ce qu'un corps mort ? Comment passe-t-on d'une certaine hébétitude au néant absolu ?



Mystère de la poésie qui porte en elle cet élan,

cet appel de la vie

jusque dans l'arène où les hommes, bientôt, devront

mourir
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C'est-à-dire

Disparu en 2018, Franck Venaille fait aujourd'hui encore partie des grandes figures de la poésie contemporaine. Auteur d'une importante oeuvre poétique débutée en 1966, récompensée de plusieurs prix littéraires, c'est au travers de son recueil Requiem de guerre que j'ai fait sa connaissance. Après cette lecture d'il y a quelques années, je m'étais promis de revenir vers sa poésie. Je le retrouve aujourd'hui avec C'est à dire, un recueil paru en 2012 aux éditions du Mercure de France.



L'écriture de Franck Venaille reste toujours aussi discrète et sensible, variée (on va du poème court en vers libre au texte en prose plus ample, avec parfois le recours aux caractères en italique), avec dans chacun des textes une rythmique très particulière mais qui préserve l'unité de style.



Le sentiment qui domine dans ce recueil, c'est celui de la précarité, de la fragilité des liens qui nous unissent au monde, à notre passé, un sentiment dans lequel la nostalgie et l'inquiétude sont toujours présentes.



« Je vous regarde rouler à même le sable

enfants de mon enfance triste

quand sur vos bicyclettes d'un beau noir de

Flandre

vous montez à l'assaut des dunes

tandis

que

dans cette fin de journée passée à

Me souvenir, enfants, de vous

J'

entends les cris les rires les disputes

Puis

larmes dans la gorge Je laisse

l'eau baute

en sa décrue

emporter avec Elle

ces sons d'autrefois qui

aujourd'hui encore

tant

me

font

souffrir »



Dans des thèmes aussi variés que le passé, l'enfance, la mer du Nord, la présence féminine, la guerre, la religion ou encore la poésie, l'auteur révèle l'image d'une conscience un peu égarée mais qui cherche comme un point d'arraisonnage, une solidarité contenue dans le langage.



« C'est-à-dire

qu'il suffisait de voir la mer se lever

dans des sortes de morsu-

Res de vagues

avec l'écume (de quelle couleur déjà?)

et :

1

2

3

naissait

en nous cette envie

ď

d'avancer

au devant de cette eau qui cautérise nos blessures



Pourquoi ne pas dire que la mer

rassemble ses vagues

comme le journalier ses stères

de branches d'arbres

abattus la veille !



Toutes les marées hautes se ressemblent

Toutes vies se valent & valsent ensemble

Chaque barbare cherche à étreindre

sa part intime de sable et de vent



C'est cela qui est à dire. »



Ce dernier poème confirme l'impérieuse nécessité pour l'auteur de dire, de préciser, de confirmer ce qu'il faut retenir de ce qui s'apprête à partir, à être oublié.

Sa poésie s'engouffre dans cette fêlure de l'être, dans cette douleur existentielle. Franck Venaille veut sans cesse croire à l'intensité du langage, à ses méandres, à ses contradictions mais aussi à sa générosité, à son pouvoir de résilience.

Généreuse et réservée, sa poésie porte en elle le regret de l'enfance disparue et la clairvoyance du présent à vivre.



« Ainsi je marche tombe me relève & reprends ma marche »





.

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L'enfant rouge

Je le savais poète. Grand poète. Mais je ne l’avais jamais lu. L’homme s’est éteint deux mois à peine avant la parution de ce petit livre d’une centaine de pages, si puissant. Alors qu’il entrevoit le crépuscule de sa vie, Franck Venaille part à la quête de son enfance. De ses pas, résonnant courant marchant sautant déambulant, dans sa rue d’avant, celle des commencements. La rue Paul-Bert, nichée dans un quartier populaire de l’est parisien. Revenir là pour mieux comprendre le cheminement jusqu’ici. Accompagner de ses mots d’aujourd’hui, ce « Moi-de-onze-ans », comme il dit. Faire un bout de route ensemble. Retourner sur les lieux et revoir les visages, sentir les odeurs les malheurs les bonheurs, penser aux guerres à la mélancolie aux agitations aux cortèges, se rappeler les idées et les désillusions, déformer le réel peut-être, le contourner éventuellement, revivre les balbutiements de son engagement politique de ses révoltes sociales, laisser voir les écorchures les souffrances. Des réminiscences comme autant d’images et de sensations intimes, qui tendent infailliblement vers le collectif. Qu’il est fort ce voyage du poète solitaire, de l’enfant rouge et d’Avril le merle noir qui à tire d’aile, relie les deux. Que la prose est belle et percutante.
Lien : https://lesmotsdelafin.wordp..
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La Descente de l'Escaut : Suivi de Tragique

Enfant de la brume et du rêve, je longe régulièrent les berges de l'Escaut, écartant au hasard des clairières, le regard posé sur le silence.C'est mon fleuve, où naît de temps en temps un fragment de parole, un scintillement de phrases jouant avec la lumière elle - même jouet des variations du vent.
Lien : https://www.babelio.com/monp..
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Requiem de guerre

Franck Venaille est mort voilà quelques jours.

J'ai un peu de peine, comme quand s'éteint une voix réellement singulière.

Ce "Requiem de guerre" est assez combatif et rageur par endroits, parfois plus résigné, vivant en tout cas.

Si vous voulez découvrir ce poète, je conseillerais de commencer par "La descente de l'Escaut".
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La descente de l'Escaut

Que trouve-t-on le long du fleuve ? Une immense marche en poésie pour convoquer la mémoire d’un monde.





Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2022/07/18/note-de-lecture-la-descente-de-lescaut-franck-venaille/



C’est grâce à Claro, et à la scansion qu’il a su extraire avec régularité de Franck Venaille pour rythmer son extraordinaire memento mori, « Sous d’autres formes nous reviendrons », publié début 2022, que j’ai enfin franchi le pas, et dévalisé l’une de mes étagères pour me plonger dans cette poésie qui hantait mes projets de lectures depuis déjà un certain temps.



Dans les bonnes conditions de température et de pression créatrices, la marche est une expérience poétique s’il en est. Loin toutefois des sentiers bucoliques, Franck Venaille, pour son dixième recueil, presque trente ans après « Papiers d’identité » (1966) choisit d’arpenter les berges d’un fleuve chargé d’histoire et d’industrie bien davantage que de nature inviolée : l’Escaut. Publié en 1995 chez Obsidiane (avant d’être réédité en 2010 dans la collection Poésie de Gallimard, en compagnie de son successeur de 2001, « Tragique »), le voici structuré, peut-être, comme le bassin versant même (en un improbable hommage à distance aux rêveries argumentées d’un Gary Snyder) du symbole aquatique millénaire des Flandres, française, belge et néerlandaise.



Rythmé d’affluents aussi soudains que brefs, prenant la forme de notations incisives laissant blanc l’essentiel de la page, le cours principal se développe avec une certaine majesté inquiète : le fleuve souvent jugé quelque peu paresseux, exposé qu’il est à l’influence de la marée jusqu’à plusieurs centaines de kilomètres en amont de son embouchure, est surtout riche aujourd’hui de ses friches industrielles (transformant en plusieurs occasions la marche elle-même, et son compte-rendu poétique, en exercices d’urbex avant la lettre), formant ici autant de sources et d’obstacles pour l’énergie créatrice fiévreuse – qui doit naître de l’eau, courante et, malgré tout, vive.



« À de légers signes, je compris que le fleuve saisissait le sens de ma démarche » : il y a parfois une sensation paradoxale glissant vers le « Chant du monde » de Jean Giono, dans ce parcours, mais qui télescoperait les regards de Charles Baudelaire ou de Lambert Schlechter en s’approchant de son terme (« voici la grande, la large bouche édentée »), tandis que presque tout au long de ses méandres, le cours d’eau sera périodiquement ramené à sa condition de « grand corps malade ».



De l’autre côté du fameux dernier terrain vague qu’est la mer du Nord, n’était-ce pas la Tamise, sœur jumelle géologique de l’Escaut, qui servait de fil conducteur secret aux errances méthodiques du Iain Sinclair de « London Orbital », « London Overground » et « Quitter Londres » ? Chez Franck Venaille, lorsqu’il n’est pas encombré de déchets industriels, de cargaisons échouées, de bivouacs conquérants et de scènes de guerre civile (« Les soldats de la mer » d’Yves et Ada Rémy ne sont parfois pas si loin, non plus que « L’énigme des sables » d’Erskine Childers), le fleuve se retrouve enfin eau, entre Gaston Bachelard et Jacques Darras, enjeu de mythologies concurrentes, courante et stagnante, et peut alors accueillir au bout du chemin de halage (désormais purement métaphorique le plus souvent) la solitude qui l’accompagne (et que l’on se souvienne alors, à quelques dizaines de kilomètres à peine, du bord des canaux de Georges Rodenbach et de sa « Bruges-la-morte »).



De Franck Venaille, Claro écrivait tout récemment sur son blog (ici) : « l’errance de l’ancien enfant, par monts et rues, frotté ici aux berges d’un fleuve-mémoire, carambolé là dans le lacis d’un arrondissement natal, et la longe des phrases jetée dans le vide à venir, les stases dans la chambre des morts et des amours, le chœur des dernières cavales, et cette voix sans cesse s’éveillant à la nuit ». On ne saurait mieux décrire la magie d’une langue qui peut impunément orchestrer le télescopage toujours curieusement feutré (malgré les fréquentes exclamations) de registres d’écriture réputés incompatibles ou en tout cas disjoints, de mots qui ne devraient pas être là, et qui pourtant, conduisent bien, ensemble, où il le faut : « Et ce fut dès lors d’un pas incertain que j’entrai dans la danse ».


Lien : https://charybde2.wordpress...
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Requiem de guerre

J'ai entendu Franck Venaille sur France Culture, je n'avait rien lu de lui, je lis très peu de poésie...son écriture me bouleverse. Je ne saurais dire pourquoi...
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Avant l'Escaut: Poésies et proses 1966-1989

Lisant 𝐴𝑣𝑎𝑛𝑡 𝑙'𝐸𝑠𝑐𝑎𝑢𝑡 (L'atelier contemporain, 2023), le gros volume qui rassemble tous les livres de poésie de Franck Venaille publiés avant 𝐿𝑎 𝐷𝑒𝑠𝑐𝑒𝑛𝑡𝑒 𝑑𝑒 𝑙'𝐸𝑠𝑐𝑎𝑢𝑡 (Obsidiane, 1995), on se plaît à déceler ici et là un avant-goût de l'atmosphère magique dans laquelle baigne la longue déambulation de 𝐿𝑎 𝐷𝑒𝑠𝑐𝑒𝑛𝑡𝑒 (ainsi qu'on nommera peut-être un jour ce livre, comme on dit 𝐿𝑎 𝑅𝑒𝑐ℎ𝑒𝑟𝑐ℎ𝑒). En témoigne cette page de 𝐿𝑎 𝑔𝑢𝑒𝑟𝑟𝑒 𝑑'𝐴𝑙𝑔𝑒́𝑟𝑖𝑒 (p. 369) :



« Hospice des Incurables. » Léviathan. Quoi ! serons-nous toujours cet homme qui marche ah, pays trop plat, mais, qu'enfin s'ouvrent vos dalles, vos tombeaux. Il Marche. À ce moment il n'a pas de pensée n'est qu'une bête romantique qui a peur qu'on l'égorge mais dans la chambre bleue où il a vécu avec Algéria : des miroirs – des miroirs – des miroirs ! […]



Il me semble qu'après 𝑃𝑜𝑢𝑟𝑞𝑢𝑜𝑖 𝑡𝑢 𝑝𝑙𝑒𝑢𝑟𝑒𝑠 etc., il y a eu chez Venaille une longue traversée du désert : une série de livres assez ingrats, malgré leurs inventions formelles et certains très beaux passages, en raison d'un tropisme qu'on pourrait dire avant-gardiste, qui se traduit en particulier par le refus (au moins apparent) de la biographie et l'émiettement extrême du récit. Mais au terme de ce qu'il faut bien nommer un passage à vide, au cours duquel il a peut-être forgé les outils de son écriture à venir, il atteint à une première grande réussite avec 𝑂𝑝𝑒𝑟𝑎 𝐵𝑢𝑓𝑓𝑎 (Imprimerie nationale, 1989). Ce livre en forme d'opéra où, au milieu d'une multitude de "personnages" plus ou moins étonnants (Dante, le commissaire Gadda, l'épileptique mélomane, etc.), le "narrateur" apparaît simultanément comme enfant et comme adulte, accompagné de son père, de "la femme blonde" et d'un neuropsychiatre, est le premier recueil véritablement incarné. Exemple :



Il fit la connaissance de la douleur !

Bien sûr, il ne s'attendait pas à ce qu'elle eût ce visage.

Mais il ne découvrit en elle rien qui l'effrayât,

qui évoquât Éros qu'il fuyait désormais.

Je veux dire : rien !

Pas même ces traits, ces attitudes, ces regards tels qu'ils sont décrits dans quelque livre.

C'était une pauvre gamine.

Elle dit : « Je suis venue vous livrer le nom de vos nouveaux ennemis. » C'est ce qu'elle dit en premier.

Elle lui dit cela. Elle en fut satisfait.

Ainsi, de nouveau, il allait pouvoir se battre !

C'était une pauvre gamine

il eut de la tendresse pour son air hagard.

Sans beaucoup de formes. […]

Elle dégrafa sa robe. Entre le tissu et la peau il ne distingua rien. Simplement elle lui tendit quelques feuillets qu'elle tenait cachés sous l'aisselle.

Il distingua un nom. Il blêmit. Il.

C'est ainsi qu'il fit la connaissance de la douleur.

(Opera buffa, p. 588)



On y lit aussi une étonnante réminiscence de l'Algérie, qui traverse toute l'œuvre sous forme de cauchemars ("... c'étaient plutôt les hurlements qui me tenaient éveillés quand / ceux de mon âge / s'amusaient avec les prisonniers quelques mégots une paire de tenailles il faut parfois bien peu de choses pour rendre fou..." 𝐶𝑎𝑏𝑎𝑙𝑙𝑒𝑟𝑜 𝐻𝑜̂𝑡𝑒𝑙, p. 249 "), et qui affleure ici tout à coup en une image apaisée et presque heureuse :



Au fond de moi je voudrais que la nuit algérienne me reprenne

Et je vous conduirais dans mon orangerie préférée

Là, nous boirions du thé à la menthe

(Tous deux !)

À même cette terre battue et retournée par les pas des automates

(𝑂𝑝𝑒𝑟𝑎 𝐵𝑢𝑓𝑓𝑎, p. 651)



Par ailleurs, je note l'élégance de l'introduction de Marc Blanchet, sensible et chaleureuse, et la qualité des notes, brèves mais claires et pertinentes, de Stéphane Cunescu. Que dire pour conclure, sinon que ce gros volume est indispensable à tout véritable amateur de poésie.

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Chaos

Franck Venaille (1936-2018) n'est pas un poète contemporain très connu. Pourtant, à mon avis il mérite une mention spéciale. Son style est original, très expressif et caractérisé par certains artifices (comme celui de couper certains mots en deux, d'un vers à l'autre...). Ses textes recèlent souvent de l'angoisse ou de la violence plus ou moins contenue. Intitulé "Chaos", ce recueil (paru en 2007) contient des poésies assez sombres, que je trouve fortes et bien tournées. Je vais en mettre deux en citation sur Babelio, mais il y en aurait encore d'autres à mettre en valeur.
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L'enfant rouge

Le récit poétique de l'enfance de Frank Venaille dans un quartier populaire de Paris (rue Paul Bert dans le 11e arrondissement)
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Cavalier/Cheval

Théâtre. Fons et Ludo, sont de vieux messieurs mais ils ont gardé leur sens de l’humour et de la dérision. Leurs fidèles compagnons à quatre pattes, Germain et Monsieur Poulot, ne me contrediront pas : un cheval de bois qui parle, ça n’existe pas. Encore que….

Ces deux retraités parlent de la vie en général, du temps qui passe et de l’amour en particulier. Leur conversation est rythmée par les bateaux qui passent (14h45 Prinz Albert, 15h30 princes Maria Esmeralda ….)

Des souvenirs d’enfance remontent à la surface : deux garçons de 11 ans et une petit fille qui deviendra l’épouse de l’un, le quittera pour un autre, épousera le deuxième et repartira, libre comme l’air vers de nouvelles aventures.

Le spectateur entendra aussi parler des séquelles d’une chute (de cheval), de communiqués médicaux, de l’impression que l’on ressent quand on se noie.

Fons se « mélange » (exprès ?) dans les lettres et les mots et de ses inversions de lettres naît aussi la poésie. « ma sacaque trêve et blanche » m’a beaucoup plu (il parlait de moi ;-)

Les deux hommes ne parlent pas avec des phrases complètes, se comprenant à demi mots et faisant surgir les images. Toute une vie esquissée entre regrets, souvenirs nostalgiques.

Des enfants viendront les racketter, un passant viendra leur demander où est la mer, les interrompant quelques secondes dans le fil de leur récit.

Entre Shakespeare, l’écuyer hourrite Kibouli, Xénophon et son Hipparque, ces amis rejoueront également la charge du deuxième régiment (4 août 1914).





Je laisse le mot de la fin à Fons « En un mot, l’inquiétude métaphysique est bien le trait dominant du cheval ».





En conclusion : une pièce de théatre qui m’a emballée (je lis très peu de théâtre) et que j’aimerais voir.


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C'est-à-dire

Dans C'est à dire s'expose également, de page en page, la pluralité des formes avec lesquelles joue l'écriture de Franck Venaille.
Lien : http://www.telerama.fr/criti..
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C'est-à-dire

"Alors je marche tombe me relève & reprends ma marche." Ce vers clôt le premier poème de C'est à dire, nouveau recueil de Franck Venaille. Il le clôt en faisant entendre la déchirure qui se déploie tout au long de cette oeuvre où l'élégance et la retenue s'entremêlent, avec génie, à l'émotion la plus brute.
Lien : http://www.lemonde.fr/livres..
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