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Stephane Cunescu (Autre)Marc Blanchet (Autre)
EAN : 9782850351235
688 pages
l'Atelier contemporain (06/10/2023)
3.5/5   1 notes
Résumé :
Errance sur les routes de la côte belge, d’hôtel en hôtel, errance dans la nuit de Paris ou de Bruxelles, leurs lieux interlopes et leurs néons criards, errance dans la mémoire trouble des crimes de la guerre d’Algérie : telles sont les atmosphères dans lesquelles nous plonge la poésie de Franck Venaille. Qui fut, comme l’écrivait son ami Lucien Becker, « un des rares poètes qui sache dire des mots de tous les jours », qui sache dire « tout le tragique existant n’im... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Lisant 𝐴𝑣𝑎𝑛𝑡 𝑙'𝐸𝑠𝑐𝑎𝑢𝑡 (L'atelier contemporain, 2023), le gros volume qui rassemble tous les livres de poésie de Franck Venaille publiés avant 𝐿𝑎 𝐷𝑒𝑠𝑐𝑒𝑛𝑡𝑒 𝑑𝑒 𝑙'𝐸𝑠𝑐𝑎𝑢𝑡 (Obsidiane, 1995), on se plaît à déceler ici et là un avant-goût de l'atmosphère magique dans laquelle baigne la longue déambulation de 𝐿𝑎 𝐷𝑒𝑠𝑐𝑒𝑛𝑡𝑒 (ainsi qu'on nommera peut-être un jour ce livre, comme on dit 𝐿𝑎 𝑅𝑒𝑐ℎ𝑒𝑟𝑐ℎ𝑒). En témoigne cette page de 𝐿𝑎 𝑔𝑢𝑒𝑟𝑟𝑒 𝑑'𝐴𝑙𝑔𝑒́𝑟𝑖𝑒 (p. 369) :

« Hospice des Incurables. » Léviathan. Quoi ! serons-nous toujours cet homme qui marche ah, pays trop plat, mais, qu'enfin s'ouvrent vos dalles, vos tombeaux. Il Marche. À ce moment il n'a pas de pensée n'est qu'une bête romantique qui a peur qu'on l'égorge mais dans la chambre bleue où il a vécu avec Algéria : des miroirs – des miroirs – des miroirs ! […]

Il me semble qu'après 𝑃𝑜𝑢𝑟𝑞𝑢𝑜𝑖 𝑡𝑢 𝑝𝑙𝑒𝑢𝑟𝑒𝑠 etc., il y a eu chez Venaille une longue traversée du désert : une série de livres assez ingrats, malgré leurs inventions formelles et certains très beaux passages, en raison d'un tropisme qu'on pourrait dire avant-gardiste, qui se traduit en particulier par le refus (au moins apparent) de la biographie et l'émiettement extrême du récit. Mais au terme de ce qu'il faut bien nommer un passage à vide, au cours duquel il a peut-être forgé les outils de son écriture à venir, il atteint à une première grande réussite avec 𝑂𝑝𝑒𝑟𝑎 𝐵𝑢𝑓𝑓𝑎 (Imprimerie nationale, 1989). Ce livre en forme d'opéra où, au milieu d'une multitude de "personnages" plus ou moins étonnants (Dante, le commissaire Gadda, l'épileptique mélomane, etc.), le "narrateur" apparaît simultanément comme enfant et comme adulte, accompagné de son père, de "la femme blonde" et d'un neuropsychiatre, est le premier recueil véritablement incarné. Exemple :

Il fit la connaissance de la douleur !
Bien sûr, il ne s'attendait pas à ce qu'elle eût ce visage.
Mais il ne découvrit en elle rien qui l'effrayât,
qui évoquât Éros qu'il fuyait désormais.
Je veux dire : rien !
Pas même ces traits, ces attitudes, ces regards tels qu'ils sont décrits dans quelque livre.
C'était une pauvre gamine.
Elle dit : « Je suis venue vous livrer le nom de vos nouveaux ennemis. » C'est ce qu'elle dit en premier.
Elle lui dit cela. Elle en fut satisfait.
Ainsi, de nouveau, il allait pouvoir se battre !
C'était une pauvre gamine
il eut de la tendresse pour son air hagard.
Sans beaucoup de formes. […]
Elle dégrafa sa robe. Entre le tissu et la peau il ne distingua rien. Simplement elle lui tendit quelques feuillets qu'elle tenait cachés sous l'aisselle.
Il distingua un nom. Il blêmit. Il.
C'est ainsi qu'il fit la connaissance de la douleur.
(Opera buffa, p. 588)

On y lit aussi une étonnante réminiscence de l'Algérie, qui traverse toute l'oeuvre sous forme de cauchemars ("... c'étaient plutôt les hurlements qui me tenaient éveillés quand / ceux de mon âge / s'amusaient avec les prisonniers quelques mégots une paire de tenailles il faut parfois bien peu de choses pour rendre fou..." 𝐶𝑎𝑏𝑎𝑙𝑙𝑒𝑟𝑜 𝐻𝑜̂𝑡𝑒𝑙, p. 249 "), et qui affleure ici tout à coup en une image apaisée et presque heureuse :

Au fond de moi je voudrais que la nuit algérienne me reprenne
Et je vous conduirais dans mon orangerie préférée
Là, nous boirions du thé à la menthe
(Tous deux !)
À même cette terre battue et retournée par les pas des automates
(𝑂𝑝𝑒𝑟𝑎 𝐵𝑢𝑓𝑓𝑎, p. 651)

Par ailleurs, je note l'élégance de l'introduction de Marc Blanchet, sensible et chaleureuse, et la qualité des notes, brèves mais claires et pertinentes, de Stéphane Cunescu. Que dire pour conclure, sinon que ce gros volume est indispensable à tout véritable amateur de poésie.
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Citations et extraits (8) Voir plus Ajouter une citation
Ah que la vie, enfin, s’achève que tout reprenne la couleur d’autrefois. Je suis un homme-oiseau. Il m’arrive de voler au-dessus de cette ville. Ce que j’aime, le soir, c’est voir le car quitter la place principale et s’enfoncer dans les canaux. Il a deux yeux jaunes. Il transporte de la vie des destins cela lui arrivait de le prendre de rouler de ne s’arrêter qu’au plus lointain des. Alors elle se retrouvait. Elle disait que tout ceci était nécessaire. Il lui venait comme un avant- goût, divin ? Pourquoi ? Comment tout cela arrive-t-il ? Je ne sais pas. Je ne sais plus. Mais avant d’être cet être-là j’ai dû c’est cela j’ai dû. Comprendre. Je suis un homme-oiseau. Je vous parle les ailes déployées mais à quatre heures du matin je foutrai le feu à ce. Vous savez, c’est drôle ce qui a pour nom habituel : la vie. Je suis là, dans cette chambre, le front contre les grilles à vous raconter cette histoire du petit jour. On boit. On se donne de la peine pour avoir l’air au moins normal. En fait à l’intérieur cela charrie des cubes des tonnes d’angoisse le sang ! Bon. Ce serait trop long à vous expliquer. » (La Guerre d’Algérie)
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Opéra Buffa
  
  
  
  
Il fit connaissance de la douleur !
Bien sûr, il ne s’attendait pas à ce qu’elle eût ce visage.
Mais il ne découvrit en elle rien qui l’effrayât,
qui évoquât Eros qu’il fuyait désormais.
Je veux dire : rien !
Pas même ces traits, ces attitudes, ces regards tes qu’ils sont
décrits dans quelque livre.
C’était une pauvre gamine.
Elle dit : « Je suis venue vous livrer le nom de vos nouveaux
ennemis. » C’est ce qu’elle dit en premier.
Elle lui dit cela. Il en fut satisfait.
Ainsi, de nouveau, il allait pouvoir se battre !
C’était une pauvre gamine.
Il eut de la tendresse pour son air hagard.
Sans beaucoup de formes.
« De nouveaux ennemis », lui dit-elle. C’es cela qu’elle lui
annonça en premier. Elle le lui dit.
Il se créa un silence. Quelque chose de morne. Il aima.
Oui !
La gamine sans forme affirmées.
Quelque chose comme une attente !
« Voulez-vous connaître leurs noms ? », dit-elle. Dit l’enfant
qui n’avait en elle rien d’étrange.
Il ne sut quoi répondre.
Elle dégrafa sa robe. Entre le tissu et la peau il ne distingua
rien. Simplement elle lui tendit quelque feuillets qu’elle
tenait cachés sous l’aisselle.
Il distingua un nom. Il blêmit. Il.
C’est ainsi qu’il fit la connaissance de la douleur.
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Que pense-t-elle Que pense-t-elle de lui encore pleine de fous rires de projets Et quelle image emportera-t-elle dans ses rétines c’est un bon compagnon Oui tout finit dans le criaillement des oiseaux Le train La masse du train se fout de ses angoisses tout à l’heure il ne distinguera d’ailleurs plus qu’une main qui salue et/chante le vent/à un prochain week-end Tant pis s’il a envie de hurler comme autrefois sur les quais du métro avant qu’on ne l’enfermeferme D’ailleurs l’été est bien meilleur À ses côtés la femme l’observe dans sa beauté dans sa tendresse dans cet/quel mot encore/dans cet amour qu’elle porte à l’homme malade instable à l’homme du 5 novembre et des tasses de thé Ainsi autour de nous en nous plusieurs êtres rêvent s’aiment et se déchirent devant la mer blanche » (Caballero Hôtel)
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Dis pourquoi tu pleures…
  
  
  
  
– et suis triste amen On me dit triste Les mots que je ne prononce pas Les phrases tues au nom de la pudeur Et les rires stoppés Les grands élans du cœur et ceux de la tendresse Voici mes mains Mes os Mes muscles arrachés jetés sur l’étal de la vie quotidienne Et je suis cet enfant qui pleure dans le noir Pourtant mon beau jouet en peluche respire contre mes hanches mais entre nous déjà l’angoisse tire sa toile Pose sa bouche lasse sur mes tempes N’éteignez pas N’éteignez pas l’ampoule modeste la petite lueur l’espoir l’espérance indécise qui vacille déjà N’éteignez pas hurlait l’enfant dans son lit triste Et me voici adulte – matricule léger – au pavillon des incurables de l’âme –


parlé Souffert Aimé Tandis que dans la ville tant de fois violée
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La Guerre d’Algérie
  
  
  
  
Alors on les attrape On les agrippe et on les hisse Avec les autres il va rouler tête contre tête dos contre dos tassés serrés dans la terrible haleine de la nuit maure au milieu des jurons tout cela sent la sueur et le mauvais café Tout cela pue la peur et de terribles envies de tuer tandis qu’ils roulent traversent des villages, pistes pourries, chacun son arme entre les jambes sur les genoux décomposés les mecs à cause des mines des embuscades comme on a scrute la nuit pourrie ! Il arrivait qu’ils roulent des heures oui cela arrivait Elle conduisait silencieuse et dure oh ce jour brique sur la mer et les premiers vélos vers usines rouges
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