Citations de François Cérésa (86)
Seulement c’est bien connu, l’important n’est pas d’expliquer comment les choses se sont passées, mais comment elles ont été ressenties.
Quand je rencontrais de grands intellectuels au Nouvel Observateur, j’avais l’impression d’être au zoo.
Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien, se plaisait à dire maman qui n’avait pas lu Socrate.
Il me rappelle aussi mon vieux maître Hermann P. qui, comme lui, détestait Wagner. L'autre jour, il m'a dit qu'à chaque fois qu'il écoutait du Wagner, il avait envie d'envahir la Pologne. N'est-ce pas hilarant ? Comme lui encore, il n'a jamais vu d'aveugle dans un camp de nudistes.
(page 230)
Le temps, lui, se charge de tout. Parents unis, amants désunis, souvenirs, joies, tristesses : il s’en tape. Il efface, il brise, il détruit, il annihile.
–Ce n’est pas parce qu’on est malheureux qu’il faut emmerder les autres,....
Aujourd’hui, on est en plein cynisme. Nous sommes la société de la périphrase, des trembleurs, celle où les gens n’osent plus dire qu’un chat est un chat.
Tout est tellement normal quand il n’y a pas ce petit grain de sable qui vient perturber le mécanisme.
Pourquoi le fréquenter s’il est aussi épouvantable?
– Parce que c’est un joyeux drille dans ce monde de trembleurs et de lèche-bottes. Parce que l’on parle des écrivains. Parce que l’on partage des jeunes filles et des vieux whiskies. Parce que ce diable de Tasmanie est très britannique. Que voulez-vous, il est drôle, il est charmant, il est unique. Et insupportable. Un vrai paradoxe articulé. Vous savez ce qu’il m’a dit l’autre soir?
– Non.
– «En moi, la contradiction en tant que principe trouve sa raison d’être.» Ça vous classe un homme, non? Au moins, il est honnête. p. 82
Il suffit de penser à la phrase de Borges : « Heureux ceux qui peuvent se passer de l’amour. » ....… Flaubert l’a dit : « Être bête, égoïste et avoir une bonne santé, voilà les trois conditions voulues pour être heureux. » Seulement où irons-nous après, je vous le demande.
J'aime les coïncidences. Elles s'amusent avec le destin, qui est la cohérence des dieux, et la destinée, qui est l'incohérence des hommes.
(page 12-13)
Je ne résiste plus. Même plus à la résistance elle-même. Je suis à la dérive.
(…) Je ne me change pas les idées, ce sont les idées qui me changent. J’étais la joie, je suis le désespoir. J’étais l’enthousiasme, je suis le ressentiment. On m’a précipité dans un désordre où rien ne compte. Ni hier, ni aujourd’hui, ni demain.
- Je projette de fonder une vraie famille et de m'expatrier dans mon île.
Je tique. Le mot famille n'a jamais fait partie de son vocabulaire. Il est à la fois Faust, Peter Pan, Dorian Gray. Le mythe de l'éternelle jeunesse. L'inconscience portée à son incandescence.
(page 201)
Un malheur, ça se couve. Le mien est bien au chaud.
J’ai toujours été plus sensible à ceux qui font qu’à ceux qui disent. Les deux Jean n’ont rien à voir avec nos technocrates filiformes et chlorotiques qui parlent de tout sans rien savoir, chafouins et diplômés, qui rient sans rire, qui vivent sans vivre.
On dit que le soleil est l'artiste de la vie. En banlieue, il n'y avait pas d'artiste.
À la différence de ces gens qui veulent briller partout et qui ne font que gesticuler, tu t’effaçais. Je crois à la vertu de l’effacement.
Les gens qui ont perdu un être cher se ressemblent. Ils ressassent ce qu’ils étaient, ce qu’ils sont, ce qu’ils avaient, ce qu’ils n’ont plus. Moi, dans mes rêves, c’est toujours pareil. Victoire est là. Comme si elle n’était jamais partie. En dehors des douleurs, les regrets s’amoncellent. Oui, les regrets. Car les jouissantes perdues le sont à jamais. Quand je crois apercevoir Victoire au détour d’une rue, au sortir d’un commerce, elle me frôle tel un doux fantôme. J’éclate en sanglots. Où est-elle ? Je marche à tâtons, je titube, je hurle. Une fois j’espère, une autre je désespère.
Louis Nucéra, le voisin niçois, le « donneur de sang » comme l’avait surnommé Cocteau, a dit : « L’ami est un égoïste qui pense aux autres. » L’amitié ne se définit pas, elle se vit. Avec l’amitié, on respire un air qui remplit les poumons. C’est de l’altitude.
On gardait nos distances, l'amour et moi. Le célibat, ça sauve de tout. Surtout des émotions. Pas d'émotions, pas de blessures. Voilà le secret.