Citations de François Cérésa (94)
Seulement c’est bien connu, l’important n’est pas d’expliquer comment les choses se sont passées, mais comment elles ont été ressenties.
Quand je rencontrais de grands intellectuels au Nouvel Observateur, j’avais l’impression d’être au zoo.
Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien, se plaisait à dire maman qui n’avait pas lu Socrate.
Il me rappelle aussi mon vieux maître Hermann P. qui, comme lui, détestait Wagner. L'autre jour, il m'a dit qu'à chaque fois qu'il écoutait du Wagner, il avait envie d'envahir la Pologne. N'est-ce pas hilarant ? Comme lui encore, il n'a jamais vu d'aveugle dans un camp de nudistes.
(page 230)
Le temps, lui, se charge de tout. Parents unis, amants désunis, souvenirs, joies, tristesses : il s’en tape. Il efface, il brise, il détruit, il annihile.
–Ce n’est pas parce qu’on est malheureux qu’il faut emmerder les autres,....
Aujourd’hui, on est en plein cynisme. Nous sommes la société de la périphrase, des trembleurs, celle où les gens n’osent plus dire qu’un chat est un chat.
Tout est tellement normal quand il n’y a pas ce petit grain de sable qui vient perturber le mécanisme.
Gérard Philipe a connu la belle vie sur la Côte d'Azur. Il était le fils de Marcel Philip, un riche hôtelier et avocat qui fut collabo, sympathisant de Jacques Doriot sous l'Occupation, l'ancien maire communiste de Saint-Denis qui versa dans la collaboration, jusqu'à endosser l'uniforme allemand. À la Libération, Marcel Philip est condamné à mort. Pour éviter d'être arrêté, il fuit à Barcelone. Gérard Philipe, comme Dominique Fernandez, comme Jean-Pierre Azéma, comme Emmanuel Leroy-Ladurie, comme Dominique Jamet, est un fils de collabo. Lourd fardeau. [...]
Gérard n'a jamais renié ce père qui caracolait dans le monde interlope des aventuriers sans scrupules et des margoulins affairistes, proches des personnages de Modiano. Il lui rendra visite régulièrement et subviendra à ses besoins. Gérard est un fidèle. Un coeur pur. Dans son altière solitude, il suscite l'émotion. L'émotion ça ne s'explique pas. C'est inné. Comme un coup de foudre.
Gérard Philipe, p. 314
Pourquoi le fréquenter s’il est aussi épouvantable?
– Parce que c’est un joyeux drille dans ce monde de trembleurs et de lèche-bottes. Parce que l’on parle des écrivains. Parce que l’on partage des jeunes filles et des vieux whiskies. Parce que ce diable de Tasmanie est très britannique. Que voulez-vous, il est drôle, il est charmant, il est unique. Et insupportable. Un vrai paradoxe articulé. Vous savez ce qu’il m’a dit l’autre soir?
– Non.
– «En moi, la contradiction en tant que principe trouve sa raison d’être.» Ça vous classe un homme, non? Au moins, il est honnête. p. 82
Il suffit de penser à la phrase de Borges : « Heureux ceux qui peuvent se passer de l’amour. » ....… Flaubert l’a dit : « Être bête, égoïste et avoir une bonne santé, voilà les trois conditions voulues pour être heureux. » Seulement où irons-nous après, je vous le demande.
J'aime les coïncidences. Elles s'amusent avec le destin, qui est la cohérence des dieux, et la destinée, qui est l'incohérence des hommes.
(page 12-13)
Je ne résiste plus. Même plus à la résistance elle-même. Je suis à la dérive.
(…) Je ne me change pas les idées, ce sont les idées qui me changent. J’étais la joie, je suis le désespoir. J’étais l’enthousiasme, je suis le ressentiment. On m’a précipité dans un désordre où rien ne compte. Ni hier, ni aujourd’hui, ni demain.
- Je projette de fonder une vraie famille et de m'expatrier dans mon île.
Je tique. Le mot famille n'a jamais fait partie de son vocabulaire. Il est à la fois Faust, Peter Pan, Dorian Gray. Le mythe de l'éternelle jeunesse. L'inconscience portée à son incandescence.
(page 201)
Un malheur, ça se couve. Le mien est bien au chaud.
J’ai toujours été plus sensible à ceux qui font qu’à ceux qui disent. Les deux Jean n’ont rien à voir avec nos technocrates filiformes et chlorotiques qui parlent de tout sans rien savoir, chafouins et diplômés, qui rient sans rire, qui vivent sans vivre.
On dit que le soleil est l'artiste de la vie. En banlieue, il n'y avait pas d'artiste.
Louis Nucéra, le voisin niçois, le « donneur de sang » comme l’avait surnommé Cocteau, a dit : « L’ami est un égoïste qui pense aux autres. » L’amitié ne se définit pas, elle se vit. Avec l’amitié, on respire un air qui remplit les poumons. C’est de l’altitude.
À la différence de ces gens qui veulent briller partout et qui ne font que gesticuler, tu t’effaçais. Je crois à la vertu de l’effacement.
Athos, comte de la Fère, héros des Trois Mousquetaires. L'instinct chez lui est revêtu de noblesse. Il ne tient sa grandeur ni de l'obéissance ni du commandement. Tout ce que l'univers nous astreint à souffrir, il faut l'endurer avec force d'âme. Cet homme va jusqu'au bout de sa folie. Rien ne l'arrête. Il est le capitaine de Boëldieu dans La Grande Illusion, le capitaine Esclavier dans les Centurions, Alain Leroy dans Le Feu Follet. Un mercenaire. Un anarcho-syndicaliste. Un situationiste. Un prêtre-ouvrier. Opposé à la droite, à la gauche, à la vulgarité ambiante. Un inclassable. Au fond, un libertaire. Un iconoclaste qui se bat contre lui-même et contre tout le monde.
Athos, p. 32