The Postcard Killings (2020) - OFFICIAL TRAILER
Je me hisse sur la pointe des pieds et je pose délicatement ma bouche sur la sienne. Je le sens maladroit, sa main effleure mon bras, il n’ose pas écarter les lèvres.
C’est un timide.
- Moi aussi, j’ai passé une excellente soirée.
Il est tout pâle.
Un grand timide.
- Appelez-moi.
Il acquiesce machinalement, puis je le vois pencher légèrement la tête.
- Pour quelle raison devrais-je vous appeler ?
La question me désarçonne.
- Au cas où vous auriez envie que... qu’on dîne à nouveau ensemble.
- On a déjà dîné ensemble. Pourquoi recommencer ?
J’écarquille les yeux, comme hébétée.
- Je vous ai eue !
Et il éclate de rire.
- Si vous aviez vu votre tête.
Un à zéro. Il m’a bien eue, effectivement. Sa blague est gentiment ringarde, mais elle a fonctionné.
Les marches de l’escalier en volute grincent, comme il fallait s’y attendre. La demeure s’exprime de toutes parts, elle siffle et souffle et souffre telle une créature fatiguée, âgée de plusieurs siècles.
La vie n’est pas faite pour s’ennuyer. On est censé aimer son boulot, et non le supporter faute de mieux. On n’est pas censé s’engager avec quelqu’un parce que c’est le « moment », ou parce qu’on a envie d’avoir des enfants, mais parce qu’il vous fait vibrer.
J’abrite un monstre au fond de moi. Un monstre capable de somnoler pendant des jours et des mois sans donner de nouvelles.
[...]
Un monstre qui ne disparaîtra jamais.
Un monstre qui me rongera inexorablement jusqu’au jour de ma mort.
Le Rade est exclusivement fréquenté par les autochtones. Des commerçants, des ouvriers, un flic de temps à autre, et c'est aussi bien comme ça . L'été bat son plein dans les Hamptons, tous les rupins du coin ont investi leurs villas. Je n'ai rien contre les mecs qui portent un pull aux manches nouées autour du cou et les bonnes femmes liftées qui ne tarderont pas à ressembler au Joker, mais pas pendant mon jour de congé.
Nous abritons tous un monstre au fond de nous. Certains le laissent plus facilement sortir que d’autres, c’est tout.
La prison, pour ce que j’ai pu en voir de l’autre côté de la barrière, est un univers à part. En particulier pour ceux qui sont condamnés à perpétuité. Perdre espoir est un poison dangereux, capable de transformer n’importe qui en mort vivant.
J’en arrive à me demander s’il vaut mieux perdre son âme sœur, dans un accident ou à la suite d’un divorce, ou bien ne jamais la rencontrer. Est-il préférable de perdre l’être aimé, comme le veut l’expression, ou bien de ne jamais avoir aimé ?
Ce n’est pas que je me fiche de tout en dehors de mon boulot, c’est plutôt que le boulot de flic ne vous laisse jamais en paix. À force de côtoyer la mort, la misère et la souffrance, on n’est plus capable de les laisser au vestiaire en rentrant chez soi. Ces trucs-là ne partent pas au lavage et ne s’évanouissent pas quand votre amoureux vous serre dans ses bras. Ils vous polluent au point de vous rendre toxique, alors vous vous mettez en retrait de façon à n’infecter personne. Une partie de vous-même reste soigneusement enfermée au fond d’un placard.
Toute forme d'évolution est une réaction à des modifications de l'environnement. Certaines espèces parviennent à s'adapter, d'autres pas.