Citations de François Foll (94)
Le maître apothicaire, homme à la quarantaine épanouie, avait épousé une femme à peine plus jeune que lui et qui était à peu près son contraire. Blanche et froide, raidie dans d’austères robes noires, dévouée et peu bavarde, ce qui allait bien ensemble, Hélène Mesnage aurait pu postuler au titre de modèle féminin de la rude discipline calviniste.
Chapitre 10
C’est ici, dans cette salle dont la seule issue ouverte sur l’extérieur était une petite porte donnant sur les jardins et permettant une fuite éventuelle, que Puységur avait, depuis une dizaine d’années, propagé la bonne parole calviniste et distribué les ouvrages destinés à favoriser la diffusion de la vraie foi.
Chapitre X
Si le destin n’avait pas été capricieux, Martin aurait poursuivi son existence de tâcheron illettré et mal aimé sans que rien ne vienne perturber l’inexorable cours des choses. Or il était écrit que sa vie ne serait pas celle d’une eau calme et saumâtre, mais bien celle d’un torrent de montagne.
Chapitre 9
(...) Martin avait désormais deux Évangiles : celui de la vraie foi catholique et de ses manifestations ostentatoires qu’on aurait pu appeler l’Évangile du jour et celui de la foi en la connaissance, caché dans un recoin du galetas et compulsé chaque soir sans en comprendre le sens mais en en retenant par cœur les gravures, l’Évangile de la nuit.
Chapitre 9
Il tomba à genoux, sortit les livres serrés contre sa poitrine et les posa côte à côte sur les tuiles : Le miroir de la vie humaine de Julien Macho et Le calendrier des bergers de Jehan Belot. Bien que ne sachant pas lire, Martin avait pourtant reconnu sans difficulté les ouvrages qui, un soir, avaient été présentés sous ses yeux au colporteur dont la mine et la faconde l’avaient frappé. Il se souvenait parfaitement de ce qu’il y avait aperçu et ce fut à la manière d’un Pierrot lunaire qu’il passa une bonne partie de la nuit à feuilleter les deux précieux volumes en peut-être son ange y avait posé les doigts.
Chapitre 9
(...) jusqu’à son dernier souffle les images macabres du martyre de cette famille qu’il aimait tant allaient former la trame de ses cauchemars.
Chapitre 8
– Tuez ! Tuez ! Vive Dieu et le roi ! (...)
– À la Seine ! À la Seine !
– À la Seine ! À la Seine ! Qu’on les brûle ! Qu’on purifie le royaume ! (...)
– Eh là toi ! Que fais-tu ? Tu ne veux pas désinfecter ta ville ? La délivrer de ses sanies ? Qui es-tu donc pour tourner le dos alors que tu dois saigner l’hérétique ?
Chapitre 7
(...) je croyais que nous nous étions entendus pour préserver notre famille (...) en instruisant nos enfants dans le strict respect de la religion catholique.
Chapitre 4
– Isabelle vient de me rapporter qu’elle a fait grand cas de ce que j’ai dit il y a trois ou quatre ans à propos de la religion catholique. Mes critiques à l’encontre des idolâtres ont, semble-t-il, marqué son esprit d’enfant au point qu’elle en ait conçu une éthique personnelle qui me semble éloignée des exigences de la vraie foi. Il y a quelque temps, elle s’en est ouverte auprès de vous, Élisabeth, et de vous aussi, Françoise. Or vous ne m’en avez rien dit. Pourquoi ?
Chapitre 4
(...) quand nous sommes à la messe chaque dimanche, je me sens portée vers Dieu, je récite mes prières avec ferveur, mais le soir, après les fatigues de la journée, c’est plus difficile !
– Mais, ma fille, avez-vous réellement la foi? Le Credo que je vous entends déclamer à Saint-Hilaire part-il vraiment de votre cœur? Avez-vous conscience que, jour après jour, c’est par l’expression de votre dévotion au Seigneur que vous travaillez au salut de votre âme ? Avez-vous conscience que la prière est précisément l’acte fondamental de cette dévotion ? (...)
– C’est vous-même, père, qui avez dit un jour qu’il fallait se méfier des idolâtres et que les prières répétées machinalement, matin et soir, n’étaient pas la garantie d’un comportement vertueux.
Chapitre 4
Vous trouvez qu’il est tard, Isabelle ! Ignorez-vous donc qu’à cette heure la plupart des jeunes femmes et filles de Paris aimeraient être à votre place? N’êtes-vous pas consciente de l’immense avantage que vous procure la possibilité d’apprendre, de bénéficier d’une instruction comparable à celle des enfants de princes en ce royaume? (...)
-Euh… pardon, père… je ne voulais pas vous offenser.
– Ce n’est pas moi que vous offensez, ma fille, mais le principe même de l’éducation des enfants !
Chapitre 4
Martin ne perdait rien de ce qui était dit. Après le globe terrestre et les planètes, il apprit ce qu’était l’astrolabe, la sphère des étoiles, la Grande Ourse, la Petite Ourse, Orion, l’étoile Polaire, Aldébaran, Bételgeuse et bien d’autres encore qui désormais peupleraient son imaginaire. Sa mémoire grande ouverte s’imprégnait d’images et de mots qui jamais ne s’effaceraient.
Chapitre 4
Oui, ma fille, ayez toujours à l’esprit ce que nous sommes relativement à l’immensité de l’Univers. Nous, pauvres humains sur ce globe terrestre où nous avons encore tant de choses à découvrir, et cette Terre ellemême, si fragile au regard de tous ces astres qui tournent autour d’elle. Là encore le grand Ptolémée nous a éclairés en décrivant le mouvement des planètes dont l’orbe nous encercle.
Chapitre 4
(...) les travaux de cet homme exceptionnel qu’était Ptolémée sont restés inexploités pendant près d’un millénaire. Son œuvre, Geographia, établie sur la base des connaissances du grand navigateur Marin de Tyr, n’a été traduite qu’au IXe siècle par les savants arabes de Bagdad et, ici en Occident – dont nous sommes persuadés être au centre du monde – il nous a fallu attendre la fin du siècle dernier pour que ce magnifique ouvrage soit interprété et publié à Bologne puis, un peu plus tard, à Ulm, en Allemagne. Cet exemplaire que nous avons le privilège de posséder est une copie traduite de Johannes Reger mais avec des cartes originales gouachées à la manière de celles peintes par Ptolémée. Retenez bien ceci, mademoiselle ! Car la connaissance du monde dans lequel nous vivons repose sur la transmission du savoir de génération en génération et cette transmission ne supporterait pas la moindre rupture.
Chapitre 4
(...) son ange blond était bien une émanation divine ! Et pourtant… elle était tellement sensible, tellement humaine, presque accessible… Un mystère dont corps et âme il était devenu captif.
Chapitre 4
Maintenant qu’il pouvait l’observer tout à loisir, Martin s’enfonçait dans une sorte de délire passionnel. Ce fut en apnée qu’il s’imprégna de ses gestes dont l’élégance ne lui semblait pas avoir d’équivalent chez les humains, de ses paroles qui étaient bues comme autant de philtres d’amour, de ses mimiques boudeuses ou attentives, au fil des explications paternelles, et qui lui paraissaient inspirées par le divin.
Chapitre 4
Il est vrai aussi que la jeune fille qui l’entraînait dans un tourbillon amoureux était d’une grâce peu commune. À onze ans, malgré ou peut-être à cause d’une taille plutôt modeste pour son âge, il émanait de tout son être une sorte de magnétisme enfantin et joyeux, nourri par les regards admiratifs qu’on lui portait depuis sa plus tendre enfance.
Chapitre 4
Martin savait ce qu’il avait à faire et, ici à la Licorne, il faisait avec plaisir car celui qu’il servait avait l’âme calleuse, comme ses mains. Frottée depuis son plus jeune âge aux aspérités blessantes de l’existence, elle s’était endurcie aux coups mais, simultanément, cette âme d’homme dur au mal s’était adoucie au contact. Martin l’avait compris dès le premier jour. L’âme d’Hubert d’Armillier avait la callosité des poignes qui sauvent les gens de la noyade.
Chapitre 3
Une fenêtre du premier étage de la demeure de l’ange s’ouvrit soudain et il la vit.
Complètement fasciné, il eut d’un coup la confirmation que son rêve était réalité. La blanche apparition de la veille était un être de chair, blond et rose, aux yeux brillant comme des pierres précieuses. La jeune fille se pencha avec grâce, cherchant du regard la mégère qui fendait la foule en vociférant. Au bout d’un moment, elle se retourna vers l’intérieur pour parler à quelqu’un, découvrant une nuque délicate émergeant d’un col de dentelle blanche et surmontée d’un chignon torsadé aux reflets d’or. Puis, laissant la fenêtre ouverte, elle disparut dans l’ombre de la pièce.
Chapitre 3
Ces personnages en robe, conscients de la supériorité leur conférait le statut d’intellectuels, portaient le même regard hautain sur les étrons et le ruissellement jaunâtre au centre de la rue que sur les étudiants braillards et paillards, nombreux dans le quartier, les loqueteux acharnés à survivre en tendant une main crasseuse aux passants, ainsi que toute la valetaille sale et malodorante courant ici et là sans précaution pour gagner son pain quotidien. Fort heureusement, de temps à autre, un ecclésiastique ensoutané et parfois même un noble enrubanné venaient rehausser l’attristant spectacle qu’offrait le tiers état.
Chapitre 3