Citations de François-Henri Désérable (577)
Parce que son boulot l'angoissait, la nuit, il grinçait des dents. On lui avait prescrit une gouttière occlusale, à porter pendant son sommeil ; quand il l'avait dans la bouche, ça le faisait zozoter. C'était devenu son rituel : avant d'éteindre la lumière, il mettait sa gouttière, il embrassait sa « férie » dans le cou, et s'endormait. Tina s'en accommodait. La tendresse, l'affection qu'elle avait pour lui palliaient le plaisir qu'elle n'avait plus avec lui – qu'elle n'avait jamais eu avec lui, allais-je écrire, mais qu'en sais-je ? -, et quand le désir était si fort qu'il lui fallait l'assouvir – et cela je le savais, elle m'en avait fait la confidence -, elle se levait, s'allongeait sur son canapé, allumait son ordi, allait sur Youporn, se faisait jouir rapidement puis retournait se coucher ; Edgar ronflait.
Voilà à quoi je pensais, pendant que lui pensait aux fleuves impassibles, au prince d'Aquitaine à la tour abolie, à la chair qui est triste, hélas, aux sanglots longs des violons de l'automne, plus prosaïquement à ses gamins qu'il faudrait aller chercher tout à l'heure à l'école, à sa femme qui lui avait demandé de passer au pressing, récupérer sa jupe en cuir noir, aux bas résille, aux jarretières en dentelle qu'il lui arrivait de porter là-dessous ; à rien, peut-être.
elle hésite entre une fac de lettres et ne rien foutre, certains prétendent que c'est un peu la même chose
(...) car elle trouve dans la jouissance un exutoire et un répit , la disparition provisoire du fardeau quotidien qu'est le métier de vivre.
- voilà ce qui d'emblée l'avait fasciné dans la fréquentation des manuscrits : ce contact direct et intime avec l'œuvre qui se forge , cette faculté qu'ils donnent à voir la pensée.
Dépouillez le chagrin d'amour des oripeaux du romantisme, et voilà ce qu'il en reste : un type assis sur le rebord d'un lit scellé sur le sol, dans une chambre sans verrou, qui regarde à travers la fenêtre grillagée, la tête appuyée sur la main.
A partir de là c'est donc une histoire de corps flamboyants qui se comblent, de cœurs qui cavalcadent au milieu de la nuit, de langues et de lèvres jamais rassasiées, de fièvre toujours ranimée, et disant cela je voyais le greffier lever les yeux au ciel - aux âmes dépassionnées la passion est obscène.
C'était ça, être parent : se débrouiller. C'était à la fois épuisant et sublime, au début surtout quand c'était ne plus dormir, et jour et nuit avoir les mains dans la merde, et nuit et jour se faire pomper tout son lait, et malgré tout on s'émerveillait d'un sourire, on s'émouvait d'une première dent, on était à l'affût d'un premier mot, on guettait les premiers pas, on se demandait ce qu'on faisait, avant, de tout cet amour, est-ce qu'on l'avait déjà en réserve ? On était sûr qu'on l'aurait désormais pour toujours.
On a beau en faire tout un cas, on a beau l'enrober de périphrases et l'embellir de métaphores, qu'est-ce que c'est que l'amour, in fine ? Des valves qui s'ouvrent et se ferment, comme des clapets.
[...]
L'amour est un mécanisme ascendant, on va du sol au ciel et l'on plane, dans un éther impalpable : on dit tomber amoureux mais c'est un abus de langage.
Moi, dormir avec vous ? Pourquoi pas mais l'ennui
C'est que vous ne puissiez fermer l’œil de la nuit
Pardonnez-moi d'être cru, j'ai dit, mais au début j'ai bien cru que ça n'était que du cul, leur histoire.
J'avais tort : ils s'aimaient.
Disons plutôt qu'ils commençaient à éprouver l'un pour l'autre des sentiments analogues à ce qu'il est convenu d'appeler de l'amour, mais l'assomption de l'amour passe inévitablement par les mots, et ces mots-là ils n'osaient se les dire, cet amour-là ils n'osaient se l'avouer, ou s'ils se l'avouaient ça n'était qu'à eux-mêmes : informulé, leur amour restait inoffensif ; il n'était, tout au plus, qu'un bégaiement du cœur - un passe-temps comme un autre, fugace et frivole, ne prêtant pas à conséquences.
Elle avait la connerie absolue comme d'autres ont l'oreille.
Planifiez votre vie, et la vie déjouera tous vos plans.
Venise, j'ai répété. Un amplificateur de sentiments : arrivez heureux à Venise, vous en repartirez dix fois plus heureux ; arrivez-y malheureux, et votre malheur s'en trouvera centuplé.
Rien, ni Du Bellay, ni Ronsard ni Labé ni Rimbaud ni Verlaine ni Mallarmé ni Musset ni Sappho ni Chénier ni Chedid ni Eluard ni Desnos ni Baudelaire ni Apollinaire - pas même Apollinaire ! -, rien ne vaut Aragon quand il s'agit de mettre l'amour dans des vers, et l'amour d'Aragon n'avait eu qu'un seul nom : Elsa.
Il disait aussi : la rupture amoureuse est pire que la mort, c'est le deuil pour soi-même d'une personne encore en vie, que d'autres pourront voir et entendre et sentir et toucher.
On a beau en faire tout un cas, on a beau l'enrober de périphrases et l'embellir de métaphores, qu'est-ce que c'est que l'amour, in fine ? Des valves qui s'ouvrent et se ferment comme des clapets.
Si l'on est Tina on fixe ses yeux dans les yeux de Vasco, et si l'on est Vasco on lui fait le coup du haïku dans le cou.
elle hésite entre une fac de lettres et ne rien foutre, certains prétendent que c'est un peu la même chose.
Il y a une volupté à se laisser ensevelir sous les mots
j'entendais les silences de Tina, et je songeais qu'il faudrait établir une typologie du silence, les décrire puis les classer, du silence suggestif au silence oppressant, du silence solennel au silence désolé, du silence monotone d'un coin de campagne en hiver au silence pieux des fidèles à l'église, du silence éploré des chambres funéraires au silence contemplatif des amants au clair de lune, tous, il faudrait les décrire, jusqu'aux silences radiophoniques de Tina.