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Citations de Françoise Sagan (1667)


Édouard était lui-même si loin de la notion d'ennui, chaque instant lui paraissait si fragile et si intense, qu'il n'avait jamais songé à se demander ce que Béatrice qui, elle, tenait les rênes du Destin, pensait de leur solitude à deux. Peut-être le trouvait-elle un peu plat, fade, en dehors de l'amour, et peut-être cette impression de tendresse et de rire partagés n'existait-elle que pour lui. Il était bien possible, en effet, qu'elle s'ennuyât. Si un condamné à mort, ne s'ennuie jamais, peut-être le bourreau bâille-t-il, lui, avant de se décider.
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Il arrivait parfois dans ces moments-là, soit qu'elle fût touchée par grâce de l'instant, soit que la félicité d'Édouard fût contagieuse, que Béatrice se retournât vers lui et lui dise « Je t'aime ». Il souriait alors, mais ne la croyait pas. Ces mots d'amour lui semblaient délicieux, certes, mais comme extraits d'une comédie démodée, ancienne, et qu'il aurait écrite cinq ans auparavant, un jour de folie. À la limite, Béatrice lui semblait jouer faux. Le fait qu'elle ne l'ait pas aimé une fois interdisait formellement qu'elle puisse l'aimer à présent. Il ignorait que l'on peut revenir sur ses indifférences aussi bien que sur ses amours. Il ignorait que le temps s'amuse à ces petits jeux bizarres, à ces retournements qui stupéfient toujours leurs témoins ; et qu'on peut se retrouver, un soir, mort de désir, devant celui ou celle que l'on souhaitait au diable, dix ans plus tôt. Néanmoins, ces mots, comme elle les lui disait quand même très rarement, il éprouvait une sorte de bonheur désespéré à les écouter, à les lui faire répéter, voire à les lui faire jurer. Il se disait, « Ce n'est pas vrai », n'étant pas assez lucide pour se dire : « C'est trop tard. » Car alors, il eût dû s'expliquer à lui-même pourquoi c'était trop tard – après tout, il était là et il l'aimait ! Mais à cela, il n'avait pas de réponse.
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Il ignorait encore que la mémoire n'a pas de ces esthétismes, que la mémoire n'a pas bon goût, et que l'image, pour lui, du bonheur perdu, ce serait une image anonyme et sans intérêt évident : Béatrice se retournant vers lui, par exemple, avant d'entrer dans un taxi. On ne se rappelle jamais, quand quelqu'un ne vous aime plus, sa voix, avant, disant « Je t'aime » ; on se rappelle sa voix disant « Il fait froid, ce soir » ou « Ton chandail est trop long ». On ne se rappelle pas un visage bouleversé par le plaisir, on se rappelle un visage distrait, hésitant, sous la pluie. Comme si la mémoire était, tout autant que l'intelligence, délibérément insoumise aux mouvements du cœur.
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Des phrases de Rimbaud et la voix tranquille de Béatrice au téléphone, derrière lui, cette voix posée, composée même, et qu'il avait entendue si décomposée et si peu posée, une demi-heure plus tôt. Sans se retourner, sans lâcher des yeux le jardin vert et les rideaux gonflés par le vent du soir, il tendait la main en arrière et rencontrait un flanc chaud et consentant. En même temps, dehors, les oiseaux féroces et tendres, faussement puérils, protestaient déjà contre la nuit qui les envahissait très vite, à présent. Les oiseaux semblaient l'avertir de quelque chose, ils lui disaient de bien faire attention, de bien regarder ces dessins de lumière, de bien s'imprégner de cette chaleur si proche, d'inscrire délibérément dans sa rétine, et à jamais, cette image précise : parce que c'était l'image du bonheur et qu'un jour, lorsqu'il ne serait plus, lorsqu'il ne l'aurait plus, ce serait aussi, pour lui, le souvenir même du bonheur, parfait puisque passé.
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Édouard, quand il avait connu Béatrice, n'était rien qu'une dévotion absolue et le reflet d'elle-même qu'elle recherchait alors. Or ce reflet, grâce à Jolyet, pouvait se transformer en réalité. Et Béatrice, sachant qu'il y avait actuellement mille beaux jeunes hommes à Paris prêts à s'amouracher d'elle mais un seul directeur de théâtre prêt à la lancer, Béatrice avait froidement dit à Édouard qu'elle ne l'aimait plus. Et c'était sans doute ce qu'il n'avait pu supporter. Si elle l'avait trompé avec Jolyet et si elle s'était donné la peine de lui mentir, de lui cacher sa nouvelle liaison, il aurait pu verser dans la jalousie, voire dans le mépris. Mais elle avait été honnête et c'était pire que tout. Elle lui avait dit : « Je ne vous aime plus », ce qui était vrai. Mais il y a des cas où la sincérité, bien que tous les amants la réclament toujours à cor et à cri, il y a des cas où la sincérité ressemble à du mépris. Grâce à la facilité, l'évidence et l'honnêteté de cette rupture, Édouard avait gardé le sentiment de n'avoir rien été pour cette femme, sinon une occasion sensuelle et encore, si peu ; il était alors très jeune et très maladroit.
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Jolyet était un homme de cinquante ans, séduisant, allègre, désinvolte, et qui, d'une certaine façon, par son intelligence et sa liberté d'esprit, aurait pu beaucoup plaire à Édouard, cinq ans plus tôt, lorsqu'il l'avait rencontré. Malheureusement, André Jolyet était propriétaire d'un théâtre, malheureusement Béatrice lui plaisait physiquement et malheureusement, il l'estimait douée en tant que comédienne ; il lui avait donc offert deux premiers rôles : l'un sur la scène de son théâtre, l'autre dans son lit. Édouard, qui alors vivait depuis deux mois avec Béatrice, avait été proprement jeté à la porté. Il n'avait jamais su – et cela avait empoisonné son chagrin – si Béatrice avait suivi Jolyet par pure ambition ou pour un autre attrait. Il n'avait pu imaginer la vérité qui était pourtant simple : Béatrice avait aimé Jolyet parce qu'il lui donnait l'occasion de réussir. Et elle l'avait aimé sincèrement pour cela, sans nulle mesquinerie, ni calcul sordide. Car enfin, on se laisse bien aller, parfois, à aimer des gens, alors que cet amour vous prive de tout : de votre intelligence, votre humour et votre courage. Pourquoi aussi bien ne se laisserait-on pas aller à aimer ceux dont l'amour, au contraire, vous permet d'utiliser cette intelligence, cet humour et ce courage ? De même qu'il n'est pas plus moral d'aimer qui vous fait souffrir que de se laisser aimer par qui vous fait plaisir, de même peut-on aimer sincèrement quelqu'un pour son argent si cet argent vous donne le temps de rêver à lui, de lui acheter des fleurs, de chercher à lui plaire.
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Elle lui sourit et il lui sembla qu'elle l'avait compris, qu'elle savait tout, déjà, de lui, d'elle-même, et de leurs rapports. Pour la première fois, il eut l'impression évidente et folle qu'ils étaient complices (comme après tout devraient l'être ceux qui essayent, séparément bien sûr, mais ensemble, d'échapper à leur solitude natale). Seulement cette complicité, ils ne pourraient jamais, l'un et l'autre, ni l'admettre, ni en faire état, ni s'y réfugier, car c'était une complicité contre-nature, contre la nature même des liens entre les hommes, les femmes, les êtres aimants, les êtres aimés, les sujets et les objets ; c'était une complicité qui, en refusant tout rapport de force, rendait, de ce fait, leur amour, tel qu'il avait déjà existé une fois et tel qu'il existait encore maintenant, artificiel et faux.
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Il craignait tout d'elle, bien sûr, mais il y avait toute une partie de lui-même – et bizarrement une partie qui n'était pas sentimentale – qui lui faisait obscurément confiance. Elle le torturerait peut-être, un jour, mais elle ne lui « manquerait » – dans le vieux sens du terme – jamais. De cela, il en était sûr. Et même c'était sans doute à travers les souffrances qu'elle lui infligerait qu'il trouverait enfin la réponse aux questions, aux innombrables questions qu'il ne s'était jamais formulées, mais qui se bousculaient en lui depuis son enfance.
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Il marchait dans la ville, cherchant à se rappeler le nom des quelques êtres humains dont il avait partagé le temps, les émotions, les idées, parfois le lit. Il cherchait à se rappeler un visage, une voix, un personnage, dans l'énorme comédie humaine de son passé. Mais il ne voyait plus que des figurants anonymes. Piéton ailé dans un désert surpeuplé, il brûlait tous les feux verts et tous les clous qu'il avait jadis respectés. La seule circulation dont il supporterait désormais les règlements était celle de son sang.
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Le plus souvent, il se déroulait dans sa tête un film confus, mal mixé, un patchwork fait de bouts de poèmes, de musiques inachevées, de répliques manquées et de situations inextricables, qu'il se plaisait à rendre inextricables. Dans ces dernières, Béatrice jouait toujours le premier rôle. Il ne rêvait pas de la sauver des flammes ni de l'avoir à ses genoux, folle amoureuse de lui. Jamais. La réalité était déjà si éblouissante pour lui, malgré ses doutes et ses paniques, qu'il ne songeait pas à y ajouter un iota. Il ne voulait pas que ça change, il voulait simplement que ça continue. Ni en mieux ni en pire, puisque de toute façon, rien ne pouvait être mieux que Béatrice se glissant dans ses bras, et rien ne pouvait être pire que Béatrice s'en dégageant. Et cela lui arrivait dix fois par jour : cet éblouissement et cette déchirure. Il tremblait à l'idée que se dérange ce beau désordre, se freine cette chute ou que se consolide cet échafaudage. Il voulait que rien ne bouge à l'intérieur de cette toupie affolée qu'était devenue sa passion. Ni elle, ni lui.
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— Tu es folle, Béatrice. D'abord, tu es intelligente, et souvent plus intelligente que moi. Tu m'aides à écrire, à vivre. Je ne pourrais plus rien faire sans toi, je n'aurais plus envie de rien faire, tu comprends ?
Il avait relevé la tête, il la regardait, il semblait éperdument sincère. Béatrice sourit : bien sûr il avait besoin d'elle en ce moment puisqu'il l'aimait, et bien sûr elle l'empêcherait d'écrire un jour s'il souffrait trop. Et bien sûr il s'en remettrait aussi, un autre jour. En attendant, c'était un enfant.
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Il y arriva bien entendu trop tôt et se fit presque un devoir de s'y perdre ; il n'avait jamais pu oublier la réplique stupide que Béatrice prononçait dans une pièce, lors de leur première rencontre, cinq ans auparavant ; cette phrase qu'il venait écouter tous les soirs lorsque, rejeté par elle et fou de malheur, il utilisait ses derniers francs à louer une chaise de poulailler dans le théâtre où elle jouait. Elle avait le rôle minime, à l'époque, d'une soubrette, et elle devait dire : « Sachez-le, monsieur : pour une femme l'heure, ce n'est pas vraiment l'heure. Après l'heure, c'est quelquefois encore l'heure. Mais avant l'heure, ce n'est jamais l'heure. » C'était la réplique la plus longue qu'elle eût à prononcer, et bien qu'il la jugeât d'une platitude extrême, cette phrase avait toujours, chaque soir de cette triste période, serré le cœur d'Édouard ; car à cette époque-là, elle lui faisait penser que son heure à lui était passée et qu'elle ne reviendrait plus. Et sans aucun doute, une formule intelligente et sensible sur l'amour, le temps qui passe et ses ravages, l'eût moins frappé, en tout cas d'une manière moins cruelle et sournoise que cette niaiserie.
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L'image qu'il avait de Béatrice était stylisée, implacable et naïve à la fois, c'était celle d'une femme fatale, image dont rien, jusqu'ici, ne l'avait détrompé. Et là, en une seule soirée, il venait d'apprendre que cette femme avait supporté des ruptures et des rides, que cette statue avait des failles, des lézardes inconnues. Mais loin de diminuer son amour, cette pensée le redoublait. Par un phénomène classique pour les amants, tout ce qui se révélait dissimulé ou contradictoire chez cette femme lui apparaissait comme autant de signes d'humanité.
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C'était leur première sortie, une Première de cinéma, et ils avaient recueilli à leur arrivée le nombre prévisible de regards, de semi-félicitations, de mimiques surprises et de chuchotements. Les photographes et leurs flashes les avaient escortés jusqu'à leurs places, et Béatrice avait fait la panthère. Elle avait eu une façon de lui tenir le bras, de lui donner son manteau, de se pencher vers lui, comme indifférente à tout le reste – comme s'ils étaient seuls, justement – qui avait à la fois gêné et comblé Édouard. Il s'était senti ahuri, gauche, envié et mal compris. Mais néanmoins aussi triomphant que ridicule. Cette femme qui lui souriait, que certains hommes saluaient avec l'ombre d'un souvenir dans les yeux ou dans la voix, cette femme que beaucoup lui enviaient, car elle était spécialement belle et arrogante, ce soir-là, cette femme qu'il avait crue perdue et si miraculeusement retrouvée, cette femme était la sienne. Et tous ces regards, bien qu'ils leur soient adressés par des gens qu'il ignorait ou craignait instinctivement, étaient quand même autant de preuves : elle était à lui. Du coin de l'œil, il regardait ces pommettes écartées, ces yeux obliques, cette bouche droite très ourlée, ce visage qu'il avait défait à sa guise et mené jusqu'aux larmes parfois, durant ces nuits interminables et si récentes, et il éprouvait l'orgueil absurde et délicieux du propriétaire. Lui, Édouard, lui qui méprisait plus que tout le sens de la propriété et qui, dans sa morale et dans ses écrits, lui attribuait tous les malheurs du monde.
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Elle sortit, et il resta un instant dans le hall, puis, guidé par la lumière, retrouva la chambre bleue et les tulipes. Béatrice gisait en travers du lit, la main sur la bouche. Il la regarda et s'allongea sur elle. Et là, quand elle se mit à l'appeler, puis à le supplier, puis à l'insulter, là, il sut qu'il ne s'en remettrait jamais et qu'il avait été créé en somme pour la fidélité.
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Il aurait dû penser que de même, quand quelqu'un vous dit « Je t'aime », il n'indique que la date de son désir immédiat, le sien, jamais le vôtre, et qu'amoureux comme il l'était, et son amour étant permanent, tout rendez-vous ne pouvait être qu'un délai et toute date qu'un affront, une souffrance, le malheur, quoi…
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« C'est drôle, disait la voix de Béatrice – très haut, bien plus haut que lui-même, semblait-il, sur le lit –, c'est drôle que tu ne m'aies pas oubliée depuis cinq ans… »
Il ne répondait pas. Il écoutait son cœur battre, il recherchait son souffle essoufflé par l'amour, il essuyait la sueur de son front contre ce flanc si familier et si perdu. Il n'avait rien à lui répondre sinon que depuis cinq ans en effet, grâce à elle qui l'avait rejeté, il marchait près de ses chaussures, près de son propre corps et de son propre cœur, il marchait comme un vagabond à la fois inconscient et conscient de sa ruine, et que ce n'était que maintenant, sur cette épaule où il s'abandonnait, qu'il reconnaissait sa seule patrie.
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Ça, j'ai tout fait pour lui apprendre la vie, l'honnêteté, les bons principes, quoi... Mais l'affection, ça ne s'apprend pas...
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-Bien sûr, dit Maria sardonique et sentencieuse; la fête le samedi soir, c'est comme l'usine le lundi matin : du moment que c'est prévu, c'est emmerdant.
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Vous jouez, dit-elle.
Il est vrai que je joue , dit-il. Avec vous, j'ai joué le jeune et brillant avocat, et l'amoureux transi, et l'enfant gâté, et Dieu ne sait quoi. Mais depuis que je vous connais, tous mes rôles sont pour vous. Vous ne pensez pas que c'est l'amour?
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