Citations de Frédéric Boyer (116)
On a pourtant appris que l'homme n'est que poussière et retournera à la poussière, s'interroge le Talmud. Mais le grand pharisien Gamaliel, au Ier siècle, aurait répondu que Dieu accomplit la volonté des hommes, qui par leur espoir, leur soif de justice, ne restent pas ainsi que poussière.
Comment raconter le commencement puisque par définition personne n'était là quand le monde a commencé ? La Bible répond de façon très originale à ce dilemme : le monde a été fait par la parole. Dix paroles créatrices nomment les éléments. Parce que "les frontières de mon langage sont les frontières de mon monde" et de sa création, pour reprendre une expression du philosophe Ludwig Wittgenstein. Parler, c'est créer notre monde, faire du monde ce monde connu et proche que je peux nommer. Albert Camus expliquera que "mal nommer un objet, c'est ajouter au malheur de ce monde". Ici, bien nommer les choses, c'est faire le bonheur du monde !
(Lecture du chapitre 1, La Création)
La Parole de Jésus propose au contraire d'apaiser les esprits et les corps. L'héroïne, c'est elle, la Parole qui scandalise, surprend, pour dire la joie opposée à la nuit du monde, non pas malgré les réalités de la mais enracinée dans ces réalités mêmes : souffrance, pauvreté, inquiétude... Cette Parole désigne l'excès nécessaire pour mettre en œuvre l'éthique du Royaume. La joie est accordée à ceux qui n'y prétendent pas ou plus. Les valeurs s'inversent et l'amour du prochain est inconditionnel. L'action de Jésus, comme sa parole, suscite une immense curiosité comme une incessante demande d'apaisement, de guérison, de salut. En réponse, son message met à l'épreuve les valeurs communes. Aux foules, il désigne les vies indignes, les vies qu'on ne veut pas voir et dont on ne veut pas s'occuper. Ce sont elles, semble dire Jésus, le sujet de la joie qui vient.
("Lecture" du chapitre 5 "La joie radicale")
C'est l'insécurité de vivre qui donne son prix au travail de vivre.
Oui, nous envoyons toujours de très jeunes gens se battre sur des frontières lointaines, à la démarcation vacillante et souvent idéologique de mondes en décomposition. Guerres dont la victoire n'est pour finir que le récit de défaites répétées, d'actions malheureuses sur des frontières incontrôlées.
il y a des vies auxquelles il manque à tes yeux une petite chose
parfois pour être une vie vraiment
il y a des vies auxquelles il manque à tes yeux une lettre ou un
mot, une parole, une faille, quelque chose quoi
et parce qu’elles manquent à tes yeux de cette lettre ou de ce
mot, de cette parole, de cette faille, et parce qu’elles manquent
à tes yeux vivants de cette autre petite chose, autre que la petite
chose qui fait que certaines vies en les vivant ne sont pas à tes
yeux une vie vraiment
et il y a des vies qui ne tiennent qu’à une absence toute leur vie
durant
Et une vie parfois qui te manquera toute la vie
Nous croyons nous enfoncer dans les bois humides de l’existence, mais nous nous retrouvons un beau soir à sec au pied de montagnes bossues et infranchissables.
A la fin, c'est devenu une femme seule de trente-six ans, mariée à un salaud comme moi.
J'ai deux petits garçons, disait-elle, un mari que je vois de temps en temps et qui habite aujourd'hui la plupart du temps au fond de notre jardin.(p.52)
Qui a répandu l'amour dans le coeur des indifférents? Qui a diffusé en moi cet amour inconnu de mon coeur? J'ai lu autrefois dans le Kâma Sûtra que les amants devaient commencer par jouer aux dés ou aux cartes, par compter les heures sur leurs doigts. Par cueillir des fleurs, par ramasser de petits cailloux brillants au bord de la rivière. Fruits lunes vêtements brodés sang secrets mots sentiers folies. Il n'y a plus qu'une seule personne vivante dans l'univers. J'y ai cru comme un saint croit à sa passion et au néant.
...Oh ta merveilleuse compréhension de moi
Hauteur
que je n'atteindrai jamais
Où aller loin de ton souffle ?
Où partir
loin de ta face ?
Si je monte au ciel tu es là
Si je m'étends chez les morts
tu es déjà là
Je prends les ailes de l'aurore
Je me pose à l'extrémité des mers
Même là c'est ta main qui m'emmène
Ta poigne
me tient
Si je dis oh les ombres m'emportent
Même la nuit
c'est la lumière autour de moi
Pour toi les ombres n'ont pas d'ombres
La nuit éclaire comme le jour
Comme l'ombre
comme la lumière
C'est toi qui as fabriqué mes reins
Tu m'as tissé
au cœur de ma mère
Merci je suis merveilleux
et de manière très étonnante...
Psaume 139 (138) 6-14. trad. O. Cadiot, M. Sevin.
"Comment poursuivre ? " C'est la question de tous et de chacun personnellement. La question intime et collective à la fois. En réalité, c'est la question politique par excellence. Ou plus exactement, c'est la question cachée, intime, de toute politique. Où s'aventurer ? Que faire de la vie qui est là ? Cette espèce de chantier confus, de grande cabane hasardeuse dont nous sommes les locataires inconfortables.
p. 12.
La grâce, c’est ce moment de fatigue terrible avec lequel on sent inexplicablement qu’on commence à peine à respecter la réalité, toute la réalité. Ce moment, pas forcément un beau moment, où l’on sent bien que l’on n’est pas tout, que notre vie n’est pas pleine de tout comme quelque chose d’utile, d’agréable et de raisonnable. La grâce, c’est finalement quand nous n’avons qu’à être là, mais simplement, mais instamment, comme les choses sont là, comme la terre est là. Comme tout est là sans nous. Quand on se sent prêt à tout. Non pas quand on est détourné de la réalité mais le contraire très exactement. Quand on se sent prêt pour toute la réalité.
p.92
Midi sur la terre. Il fait nuit. (...)
Quelle nuit était-ce ? Celle du souvenir de la délivrance d'Egypte et de l'esclavage. Quand les pères racontent à leurs enfants la nuit du passage dans la mer.
Ou la nuit qui précède la Pâque quand les femmes font disparaître tout pain levé.
La nuit que chacun traverse quand il se sent triste à en mourir. On murmure une vieille prière dans le temps désert :
"Oh se dit le fou il n'y a pas de Dieu actions criminelles actions ignobles personne n'agit bien."
C'est la nuit du scandale quand on trébuche et que l'on chute dans la poussière.
Les rois protègent leur secret, mais Dieu révèle le sien : Faire le bien c'est guérir du mal.
Prière joyeuse : Jérusalem sera reconstruite. La paix reviendra.
Moi Tobit je vous dis que l'espoir est un roman. Et qu'une histoire merveilleuse peut guérir le monde.
Souvent nous attendons un temps meilleur.
Nous voulons le soleil.
Nous guettons les signes de l'été.
Nous voulons prévoir et connaître le temps qu'il fera, l'heure exacte du bonheur espéré.
Mais tout nous semble brouillé et indécis.
A ceux qui l'interrogent sur l'imminence de la libération, Jésus répond que nous avons sous les yeux les signes que nous avons si peur de ne pas voir.
Il suffit de regarder autour de soi.
Oh mes amis, l'espérance, la voilà. Elle avance dans la tempête, elle marche sur les cendres et dans le sang. L'espérance est notre pédagogue quand nous ne savons plus rien, quand nous n'avons plus d'appui où nous reposer, où reprendre souffle et raison. L'espérance nous apprend patiemment à penser possible ce qui nous paraît dans la situation présente impossible ou hors de portée. Elle nous apprend que notre vie excède ce que nous avons sous nos yeux. Aucune existence humaine ne peut ni ne doit être abandonnée à la détresse du temps présent. Ce que j'espère, je ne le possède pas aujourd'hui, mais j'en ai par l'espérance un témoignage, une trace vive devant moi. L'espérance permet que ce qui nous guide et nous accompagne ne soit plus seulement notre impuissance, notre malheur, mais l'image invisible de la guérison possible du monde.
Pour l'espérance précisément, quelque chose d'autre est possible, parce que ce n'est pas encore parce que quelque chose doit arriver. C'est la part imprescriptible de toute existence temporelle : se projeter, s'imaginer, avoir confiance en quelque chose qui n'est pas encore et qui peut, qui doit de toute nécessité se dire, s'écrire.
(Dans La Croix L'Hebdo no 56 6 novembre 2020)
Pour les chrétiens, Jésus est bien l'homme de la parole. L'acte de foi chrétien, c'est de reconnaître qu'il est la Parole incarnée, vivante. (…)
Ce n'est pas l'enseignement (de Jésus) qui est neuf mais c'est l'urgence de le transmettre et de l'incarner dans la vie. Un de ses forces, c'est de redonner de la vigueur à l'échange de la parole, de la remettre au cœur. Jésus pousse ses interlocuteurs à reconnaître non seulement qu'l transmet la parole, mais aussi qu'il "est parlé" par cette parole. D'une certaine façon, il dit encore à chacun d'entre nous : "Tu es cette parole." Il annonce que la parole s'adresse à tous.
("Conversation" dans "Panorama" no 576, septembre 2020)
Chaque nuit, à présent, il me semble que quelque chose, tu vois, me dit de tout abandonner.
ne me reste que vivre encore
et le désormais impossible nôtre
qu’est-ce que cette heure-là où tu n’es pas quand l’heure qui précéda tu tenais dans mes bras ?