Citations de Frédéric Boyer (114)
Je dois l’avouer à présent, la mémoire est le palais d’un voleur et d’un receleur. Une caverne d’Ali Baba. Le merveilleux château des erreurs. C’est sa beauté. A la question que je me suis longtemps posée, qu’avons-nous fait yeux Noirs et moi ? Je n’avais qu’une réponse : je ne suis pas resté assez longtemps.
le courage des sentiments. Accepter d'être ému, de le montrer, parce que l'émotion suspend à sa manière le jugement attendu.. L'éthique est un sursaut, jamais un jugement. C'est une force, celle de ... rester ... émouvant, ... ébranlé, déplacé.
La morale ne tranche pas. Elle répare. (P.10)
« Ne me pousse pas, je veux rester droit
Je t’en supplie, surtout quand le vent noir
Je voudrais retenir les minutes envolées
Je n’ai pas baissé les bras , oh chérie
Souvent le soir venu se croire
un arbre devenu
N’avoir plus ni mains ni pieds
ni cœur à percer
Surtout quand le vent noir » …
Il y a en nous une force qui s'oppose.
On lui cherche un nom depuis toujours : Satan ou le Diable, accusateur et diviseur.
Pour désigner tout ce qui nous divise de nous-mêmes et d'avec les autres.
Dans l'épreuve, parfois la liberté c'est de dire non.
La force, c'est de résister à la force.
La liberté commence quand nous savons limiter notre soif et nos désirs.
Quand nous faisons de notre faiblesse et de notre précarité de précieuses frontières à ne pas transgresser.
Quand nous déclinons l'invitation à posséder toujours davantage.
Il remarqua sur eux un bon nombre de choses qu'il n'avait jamais encore vues chez des hommes. La raideur molle de ces types qui penchaient leurs yeux défaits, vaincus, sur leurs falzars élimés. L'envie gauche de saluer qui embarrassait brusquement leurs bras et leurs mains. Et surtout ce doux rire vide, silencieux qu'avait quitté l'air du monde et qui se dessinait sur leurs lèvres gercées, muettes.
On grandit si vite, disent les mères pour se rassurer.
Le Kâmasûtra est ainsi un texte de littérature d’une rare préciosité, traité taxinomique sur la vie amoureuse, dialogue philosophique et politique, manuel de savoir-vivre, rituel et bréviaire érotique, poème aux longues énumérations sous forme de listes aux détails aujourd’hui parfois bizarres et bouleversants. Il met en forme la transmission d’un savoir qu’il contribue finalement à inventer, à autoriser comme tradition. Il s’attaque à cette double aventure : rendre lisible la sexualité dans la grande écriture théâtralisée de la vie, et l’écrire dans la langue par excellence de l’être, pour l’hindouisme, le sanscrit. D’une certaine façon, la sexualité transforme la vie en une pluralité de destins que déploient la parole et ses jeux.
(Préface)
"C'est la vie qui nous possède, avec toutes nos défaillances, les nôtres mais aussi celles de nos parents, de nos familles dispersées dans le temps. La vie est plus grande que celle que nous vivrons jamais, plus épaisse et incompréhensible que tous les rêves que nous ferons. Et nous ne pouvons pas faire autrement que vivre avec la vie devant nous, toujours un peu trop ample, une taille au-dessus. Et dans laquelle nous flottons comme d'étranges cosmonautes largués dans l'espace noir et étoilé."
Alors Roland sent que la mort l'étreint
Que de la tête dans le coeur elle descend
Dessous un pin est allé en courant
Sur l'herbe verte se coucher sur le ventre
Glisser sous lui l'épée et l'olifant
Tourne sa tête vers la foule païenne
Et il l'a fait parce qu'il veut vraiment
Que Charles dise avec chacun des siens
Le noble comte est mort en conquérant
L’exorcisme du poème, c’est la guérison de notre présent pour faire exister un passé neuf et jeune comme nous ne l’avons jamais été. [Cahier Roland]
tous ces sacrifices pour moi
à quoi bon ? dit Yhwh, ils m'écœurent
ces holocaustes de béliers
ce graillon de veau gras
ce sang de taureaux et d'agneaux et de boucs
je n'y prends pas plaisir –
quand vous paraissez devant moi
qui demande à vos mains de fouler mon enceinte ?
n'en jetez plus, de ces offrandes creuses
j'ai horreur de l'encens –
et la nouvelle lune
et le shabbat
et le rappel qu'on bat :
culte contraint et criminel
je n'en peux plus
et vos nouvelles lunes
et vos jours fériés
je les abhorre
ils m'épuisent, je les ai assez supportés –
tendez les paumes de vos mains
je détourne les yeux
moulinez vos prières
je n'y suis plus, je n'écoute plus
vos mains trempées de sang –
allez donc vous laver
allez vous nettoyer
détachez le mal de vos actes
que je ne le voie plus
mettez fin aux méfaits
apprenez le bien
recherchez le droit
corrigez la brute
défendez la veuve
les droits de l'orphelin
Très bien, expliquons-nous, dit Yhwh :
vos erreurs écarlates
blanchiront comme neige
comme laine blanchiront les plus rouges
si vous vous décidez
et si vous m'avez écouté
vous mordrez dans les biens de la terre
si vous vous arc-boutez
si vous m'avez résisté
c'est l'épée qui vous mordra
– oui la bouche de Yhwh a parlé
Comment a-t-elle fini putain
la ville indéfectible où le droit fleurissait ?
la justice va loger à l'enseigne des assassins –
ton argent n'est plus que raclure
ton vin est coupé d'eau
tes meneurs ? des crapules
une bande de voleurs
ils ne crachent pas sur les pots-de-vin
ils profitent des faveurs
ils déboutent l'orphelin
et la cause de la veuve
n'arrive pas jusqu'à eux
Isaïe, 1, 11-24.
Le Royaume vient dans cette part d'humanité que je fais venir en moi en accueillant la vie des autres, la vie et l'humanité de l'inconnu, de l'étranger.
Un jour vient où la vie ne suffit plus quand nous perdons le contact
avec ce que nous n’avons jamais vu et que nous espérions. Pourtant
approche le jour où je comprendrai que tu m’as toujours résisté. Et
je ne pourrai m’empêcher de m’accuser tout le temps inconnu qu’il
me restera à demeurer sans toi sinon me souvenir que ton cœur est
un livre peint aussi petit qu’un monde achevé. Et qui ne serait jamais
mien définitivement.
Un petit livre peint dans la nuit totale.
Ce premier jour, ce fut comme une prouesse, un éblouissement. Pourtant le ciel était bas, nuageux. Cody tenait à peine debout, craignant affreusement de manquer d'équilibre. Sa marche chaloupée, hésitante s'accommodait mal de la vitesse, de la précision de mouvement qu'il rencontra autour de lui. Il eut l'impression de recoudre son regard sur les autres, sur les ombres nues du monde. Sonné par la lumière, les bruits.
Ce n'est jamais le temps qui est perdu mais elle, l'enfance. Tout se perd, tout s'oublie de l'enfance, et les projets qu'elle a faits pour nous, et les mots qu'elle disait qui nous accompagnaient devenus de minuscules images indéchiffrables. Des hiéroglyphes dans un temple en ruine. Nous sommes tous dans le temps des petits explorateurs déçus qui répétons en boucle : quand je serai grand, quand je serai grand. Mais la plus grande solitude c'est elle, l'enfance. Elle est ce temps qui ne se livre qu'à celui qui s'y est senti seul. Elle est, notre vie durant, s'enfonçant dans l'obscurité de l'âge, cet avenir inlassablement derrière nous. L'enfance est toujours une découverte. Comme si après l'avoir bel et bien vécue, nous n'y croyions pas. Toujours pas. On la rêve toute sa vie durant plus qu'on ne l'a vécue. Et elle surprend quand on la redécouvre. Une fois l'âge adulte largement dépassé. Une fois poussée la porte de la maison du souvenir qui ne s'ouvre à nous qu'à partir du moment où le détail de ce que nous nommons les faits s'est effacé. Et que l'on se sent descendre dans le passé comme on sombre dans un sommeil éveillé, pour être confronté à de drôles de taches d'encre très sombres.
Nos identités ne peuvent être closes. Car la grande aventure, c'est la reconnaissance de l'autre comme enjeu de notre propre humanité.
Si un homme dit je suis cette chose égarée qui jamais ne retrouve sa chose égarée.
Song poème
petits seins
petite sœur
loin tout bas
machines à
découper nos
vies
données vendues
mangées
manteaux
partagés
fièvre
éteinte
monde minuscule
tatouages
cendres
douceur
évangélique
demeure pauvre
essoufflée
vivante
et nue
p.64-65
Autour de la maison où on vivait il y avait encore des champs et des chemins creux. La mélancolie des paysages anciens. On ne dit jamais combien les propriétaires de ces maisons neuves incarnent la solitude économique et sociale de notre pays. Ni combien la France laisse les gens seuls dans ces maisons de rien, construites un peu partout comme pour égaliser les foyers et les familles. Un drame se joue là. Un drame collectif qui traverse les couples, leur désir, la haine qu'ont les gens d'eux-mêmes et qu'ils cachent historiquement dans leurs fausses histoires d'union et de divorce, de réussite sociale et de précarité, de misère silencieuse. (p.49)
On a pourtant appris que l'homme n'est que poussière et retournera à la poussière, s'interroge le Talmud. Mais le grand pharisien Gamaliel, au Ier siècle, aurait répondu que Dieu accomplit la volonté des hommes, qui par leur espoir, leur soif de justice, ne restent pas ainsi que poussière.